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Marseille, Théâtre de la Criée : Trissotin ou Les Femmes Savantes, de Molière, du 8 au 20 janvier 2019

Ingénieux ! Dire que ce fut un régal, sans aucun doute, mais le mot est trop faible pour cette pièce de Molière dont les thèmes sont toujours d’actualité et dont Macha Makeïeff a fait un chef-d’œuvre.


Les Femmes-Savantes © Loll-Willems
Les Femmes-Savantes © Loll-Willems
Cette metteuse en scène de théâtre, créatrice de décors et de costumes, directrice du Théâtre de la Criée conjugue ses créations avec le mot génie. Ici particulièrement, elle imprime son ADN. Le plaisir et la minutie qu’elle a mis dans son travail, son enthousiasme, sa puissance de création, son intelligence, imprègnent les acteurs et rejaillissent sur le public. Des décors et des costumes somptueux par le détail, l’exactitude, qui renvoient d’emblée aux années 70 ; des artifices et autres ‘trouvailles’ qui viennent ponctuer les scènes, présider à leur enchainement ou donner un souffle, une énergie, à un moment précis, avec une inventivité ingénieuse inusitée : enregistreur, micro karaoké, musiques, chants, mêlant lyrique et chanson napolitaine, mélanges improbables alambiqués, électricité en folie… Macha Makeïeff se délecte du verbe de Molière.
Créé en 2015, Trissotin ou Les Femmes Savantes, a réuni plus de 90 000 spectateurs et donné plus de 120 représentations, rencontrant partout un grand succès public et critique. Le spectacle en tournée en Chine en mars 2018, à l’invitation de l’Institut Français de Chine, a été ovationné à Guangzhou, Shanghai, Beijing et Tianjin !
Grande comédie de mœurs sur l’émancipation des femmes, Trissotin est à la fois une critique sociale intense et la photographie d’un désastre familial. Parce qu’un parasite s’y est introduit, la maison Chrysale est au bord de l’implosion ! Folie d’une mère toute-puissante, filles sacrifiées, femmes hallucinées, stratagèmes, ruse, violence inouïe des discours misogynes conçus comme autant de programmes pour les femmes et désarroi des hommes. Macha Makeïeff, dans cette relecture inédite de ce chef-d’œuvre, transpose judicieusement la pièce dans les années 70 et fait entendre avec force et malice la férocité et la drôlerie inégalée du texte de Molière.

Au service de Molière… et de la femme
En situant l’action dans les années 70, Macha Makeïeff rappelle que, bien que 68 soit proche, « le chemin des femmes vers la liberté est pavé de pièges… Dès qu’elles bougent, il semblerait que l’on ôte quelque chose à la stabilité du monde masculin et que surgisse la terreur du féminin, faute d’identifier ses limites. » La metteuse en scène fait un choix radical en refusant l’interprétation commune et la réduction du dramaturge à un défenseur de l’ordre patriarcal. Pour cela, elle complexifie le scénario et s’oriente de « l’ambivalence » selon son mot. En effet, explique-t-elle, « la façon dont on montrait non seulement les femmes, mais les hommes aussi, en l’occurrence dans Trissotin ou les Femmes savantes, témoignait de l’effacement de toute ambivalence : ces gens-là n’étaient pas ce qu’ils disaient. Or, si dans le texte et sur le plateau, les personnages ne sont pas ce qu’ils disent, la moitié du génie de Molière disparait. Ils sont tous absolument ambivalents. »

« L’illimité du désir féminin »
Dans une note d’intention en 2015, Macha Makeïef utilise cette formule choc « l’illimité du désir féminin ». Elle explique : « … Dès qu’une femme essaie de s’émanciper, elle le fait toujours d’une manière un peu extravagante, selon les hommes. Alors, elle est taxée de « folle ». Forcément. Sans cette manifestation de l’illimité, nous les femmes n’avons aucune chance de nous faire entendre – j’aurais bien aimé mettre cela au passé, mais aujourd’hui, cela continue. »
Les hommes ne s’en sortent pas mieux que les femmes. Ils sont presque égaux en douleur, en impuissance, en confusion dans ce combat permanent qui pourrait facilement transformer en tragédie cette comédie au verbe fort et haut. Un verbe qui ne s’arrête jamais et qui demande des interprètes virtuoses et hantés. Dans cette maison hallucinée, seuls la ruse, la fiction, le mensonge, le stratagème, le rire, la musique et quelques artifices, - c’est-à-dire le théâtre et ses armes - viendront à bout de la folie et de ses tourbillons.

Eternel Molière
Il y a des dramaturges qui traversent les siècles sans prendre une ride. Molière en fait partie. Il serait difficile d'associer ses textes à une période historique précise. La grandeur de Molière réside dans la définition de drames domestiques et quotidiens à travers des sentiments et des conflits communs à la plupart des familles de tous âges et de toutes nationalités. A travers une intrigue de famille, Molière joue sur les mécanismes de la comédie classique et aborde le rapport entre l’art et la vie, entre le vrai et le faux, entre le plein et le vide.

Qui sont vraiment Les Femmes savantes ? Quelle est la valeur de la culture dans la société ? Telles sont certaines des questions que le grand Molière avait certainement posées en écrivant "Les femmes savantes", qui a été mis en scène pour la première fois à Paris au Palais-Royal le 11 mars 1672.
Les Femmes savantes ont immédiatement connu un succès critique et public. En fait, cette comédie de caractère met au centre des réflexions importantes: d’une part, la valeur et la fonction de la culture et des intellectuels au sein de la société et, d’autre part, le besoin des femmes de s’émanciper sur le plan culturel.
Les thèmes sont toujours d'actualité, scellés par l'ironie subtile et piquante d'un maître de théâtre et d'un observateur attentif de la société. Ceux qui détiennent la culture détiennent le pouvoir. Est-il juste que les femmes soient reléguées aux rôles de domestiques ? La femme est coincée depuis des siècles. Lorsqu'elle a accès à la culture, elle est affamée. Et la nourriture est beaucoup plus utile à ceux qui ont faim qu’à ceux qui en sont déjà saturés.

Des acteurs virtuoses
On reste sans voix (contrairement aux acteurs !) devant de telles performances ! Chaque geste, chaque tirade est exploitée dans tous ses recoins : le double-jeu, la surprise etc. Ces comédiens ont la faculté magique de capter immédiatement l’attention des spectateurs dès qu’ils entrent en scène. Leur jeu est si parfait qu’ils vous transportent dans leur univers en vous captivant littéralement. Et pourtant, que la tâche est ardue ! Projeter sa voix, plus de deux heures durant, dans des alexandrins à bâtons rompus, qui n’en semblent pas, et sans en avoir l’air ! Derrière ce semblant de facilité et de naturel, on imagine sans peine les heures de travail, les gestes et les mots, mille fois répétés, jusqu’à la perfection. Le talent leur colle à la peau.
Qu’il s’agisse de Philaminte, d’Armande, d’Henriette, de Bélise, ou de Martine, les femmes de la maisonnée sont sublimes. Et les hommes n’ont rien à leur envier, avec une mention spéciale au sensationnel Trissotin et au remarquable Chrysale.

Un spectacle à savourer, dont on se délecte pendant et longtemps après.
Danielle Dufour-Verna

Trissotin ou Les Femmes Savantes du 8 au 20 janvier 2019 réservations : 04 91 54 70 54 / www.theatre-lacriee.com
De Molière, Mise en scène, décor & costumes Macha Makeïeff

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mardi 15 Janvier 2019 à 13:16 | Lu 265 fois

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