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Marseille, Théâtre Toursky, Ode a l’amour : « Je reviens de loin » sublime l’absence

S'intéressant aux relations entre imaginaire et réalité, Je reviens de loin est une pièce qui, tout en s'appuyant sur des faits ou des détails concrets, nous fait vivre à l'intérieur de l'esprit d'une femme, Camille. Elle est partie, elle a laissé mari et enfants. Ils évoluent sous nos yeux, vaquent et s'interrogent sur son absence. Cependant, ont-ils une existence réelle ou sont-ils rêvés, réimaginés par Camille ?


© DR
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Remarquable
A quoi, de préférence, ou à qui, tient le succès de la pièce ‘Je reviens de loin’ de Claudine Galéa mise en scène par Ivan Romeuf, musique de Wilfrid Rapanakis Bourg, présentée les 5 et 6 février au Théâtre Toursky devant un public conquis : à l’auteure, au metteur en scène, aux comédiens ? Sans-doute aux trois. Un spectacle remarquable.
En scène quatre comédiens : les jeunes et talentueux Louna Guilberteau et Antoine Léon, le chevronné Ivan Romeuf et la merveilleuse Marie-Line Rossetti. Tous quatre endossent leurs rôles à la perfection, donnant corps et âme à des personnages profonds, délicats, tout en finesse. Les protagonistes de l’histoire, ce sont les sentiments et il faut un sacré talent pour les illustrer sans en avoir l’air.

Louna Guilberteau et Antoine Léon : enthousiasmants et pleins d’avenir !

« LUCIE. – Non.Tu me hurles dans les oreilles et dans la bouche et partout dans le corps.
Je joue fort plus fort que toi. Ça tue ta force. Alors je m’élève et j’entends la musique. Je l’entends derrière toi qui cries fort »

« PAUL. – Moi je veux que ce soit maman qui me fasse mon chocolat.
MARC. – Elle te le fera demain. »

Louna Guilberteau et Antoine Léon, qui interprètent respectivement Lucie et Paul, les enfants, subjuguent le public par l’intériorité de leurs rôles. Exercice difficile s’il en est, Antoine excelle dans les morceaux mi-chantés avec juste ce qu’il faut de fantaisie et de mélancolie. Louna, enfant rebelle, mais qui ne manque pas de tendresse, surprend par une impétuosité, une fougue, à un moment précis, qui donnent une énergie exceptionnelle à l’ensemble. Pour employer une expression de notre temps : « Ils déchirent ! ». On n’a pas fini d’entendre parler de Louna et d’Antoine.
Ici, tout est en demi-teintes, tout sauf l’amour. Cet amour, il est dans chaque mot : révolte, souvenir, dénégation, refus, supplication, et dans chaque geste, message à la fois subliminal et explicite.

Belle puissance scénique d’Ivan Romeuf
« C’est la nuit Camille c’est la nuit il faut rentrer.
Camille ma chérie rentrons maintenant viens.
Viens Camille. »
Ivan Romeuf joue de sa stature pour imprimer plus de fragilité encore à son personnage, une brisure qu’on devine, un abattement, une amertume, une affliction à peine cachée sous le masque de la normalité et du devoir du quotidien. La voix est claire, le timbre chaud. Ivan Romeuf, c’est indéniablement une présence scénique superbe : du grand art !
Ivan Romeuf a mis en scène plus de 160 pièces qu’il a également jouées et dont il a imaginé, pour certaines, éclairages et décors. Il poursuit son travail avec une recherche méticuleuse de l’excellence, une envie permanente de rester à l’écoute et en éveil sur un monde perpétuellement en mouvement.

Captivante Marie-Line Rossetti
« Puis je suis allée voir les enfants. Lucie avait rejeté draps et couvertures et elle serrait ses peluches contre elle, Paul suçait encore son pouce, un léger ronflement s’échappait de son petit nez enrhumé. J’ai fait un pas dans la chambre et puis aussi sec je suis ressortie en faisant attention de ne pas faire grincer la porte pour qu’ils ne se réveillent pas. »

« Ma maison n'a pas changé. Nous avons eu du bon temps ensemble.
Il n'a pas agrandi le garage.
Il avait dit. J’agrandirai le garage.
Les roses trémières ont poussé.
Il n'y a plus de balançoire. »

Il fallait incontestablement Marie-Line Rossetti pour interpréter Camille, la mère, l’épouse. Beau projeté de la voix qui reste intérieure, douce, délicate. Comme le sont les gestes, le déplacement lent. Tout est précieux, aérien, qu’il faut retenir, ne pas laisser s’effacer : le temps comme les mots, les mots comme les souvenirs, les sourires, la réalité et les rêves. Camille, le personnage, possède l’âme de la comédienne tout entière, jusqu’au frissonnement de la peau qu’on devine glacée sous le manteau de fourrure. Un rôle difficile, interprété avec brio par une actrice impressionnante de sensibilité.

Une mise en scène Magistrale qui rend visible l’invisible
« LUCIE. – Je peux avoir une tranche de jambon et un œuf pour ma crêpe ?
MARC. – Tu m’en fais une Lucie, je vais refaire un café.
PAUL. – Je peux goûter le café papa ?
CAMILLE. – Dis oui, allez, dis-lui.
MARC. – Oui.
PAUL. – Ouahou ! »
La mise en scène d’Ivan Romeuf est intelligente, adroite, étonnante, en un mot, lumineuse : superpositions, mises en parallèle, oblitérations, permutations, combinaisons, ruptures, retours, voix off, entrelacement des paroles et des voix, musique, bruit de vagues. Le lieu est intemporel. La mère et le groupe formé par son mari et les deux enfants ne se voient pas. Chacun poursuit son idée et son discours, intérieur ou pas. Pourtant, ils se répondent et reprennent souvent en totalité ou partiellement les mêmes phrases. Ils s’avancent, au risque de se toucher, de se frôler. A plusieurs moments de la pièce revient un leitmotiv, repris par les deux entités sur scène, comme la strophe phare d’un poème ou le thème principal, fondamental d’un opéra. Formule incantatoire pour contrer le désarroi, la souffrance, l’angoisse, réminiscences, volonté de ne rien briser, de répéter pour ne surtout pas oublier, thérapie ? Tout cela à la fois. Cette mise en scène magique nimbe l’ensemble d’un voile de poésie.
L’âge des comédiens, en contraste avec le texte, ajoute à l’impression de malaise, entre inconscient, imaginaire et raison. C’est l’élément perturbateur qui déstabilise et transporte de la réalité au rêve, du rêve à la réalité.

Une écriture au scalpel
« Ce que je cherche dans l’écriture c’est la peau des gestes, aller à l’extrême tactilité, à l’extrême sensualité, avec une forme de précision qui restitue une forme de vérité. »
Cette phrase de Claudine Galéa résume son œuvre et ‘Je reviens de loin’ en est un parfait exemple. L’écriture est ciselée. L’auteure fait preuve d’une créativité, d’une inventivité, d’une ingéniosité et d’une parfaite maîtrise de sa plume dans les situations, les dialogues, l’enchainement, le fond et la forme. On ‘déguste’ du ‘Claudine Galéa’ comme on le ferait d’un carreau de chocolat noir délicatement trempé dans un café viennois, avec gourmandise et délectation. Claudine Galéa est journaliste, écrivaine et dramaturge. Elle est lauréate du Grand Prix de littérature dramatique en 2011 Pour Au Bord, du Prix Collidram pour Au Bois et du Prix radio SACD pour l'ensemble de son travail radiophonique.

« CAMILLE. – Non. Non.
Elle n’a pas du tout changé ma maison. Ils ont repeint le portail.
Si je pousse le portail. Il est ouvert. Ils continuent de le laisser ouvert.
Je peux faire le tour.
Les fenêtres de la chambre ne sont pas fermées.
Quelqu’un a oublié d’éteindre dans l’escalier.
Les roses trémières ont poussé.
Il n’a pas agrandi le garage. »

Ode à la folie ? Ode à la vie plus forte que tout ? Ode à l’amour !
Pour que les spectateurs arrivent au niveau d’émotion ressenti ce soir-là, il faut l’adresse et la capacité de la transmettre. Cela s’appelle virtuosité, à tous niveaux.
Quand le noir se fait, une seconde de silence, le temps de reprendre ses esprits, puis le crépitement des applaudissements. Merci.
Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Samedi 9 Février 2019 à 11:55 | Lu 380 fois

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