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Marseille, Théâtre Toursky, Fausse Note avec Christophe Malavoy & Tom Novembre

Ecrire : « aucune fausse note dans cette pièce » est d’une facilité outrageuse. Et pourtant ! Que dire quand le titre résume tout : le texte, la performance, le talent et le message, -rigoureusement précédé par son pronom indéfini –aucune- ne semble plus approprié que ces deux-là !


Christophe Malavoy & Tom Novembre © DR
Christophe Malavoy & Tom Novembre © DR
Deux comédiens fascinants
Ce 19 janvier, le public du théâtre Toursky a accueilli avec ferveur ce face à face poignant entre deux acteurs saisissants. Christophe Malavoy et Tom Novembre forment un duo autant inattendu qu’efficace. Le binôme fonctionne à merveille dans une pièce où le mystère le dispute au suspense dans un crescendo minuté au cordeau. Christophe Malavoy sublime le comédien sans forcer le geste : subtil, mesuré. Le spectateur adhère d’emblée au personnage et évolue avec lui. Christophe Malavoy nous y a habitués, il est admirable !
Si, au tout début, Tom Novembre donne l’impression d’entrer plus difficilement dans ce rôle ardu – peut-être est-ce voulu par la mise en scène - il s’en empare à bras le corps et c’est un comédien fascinant qui, au final, met le public à genoux.

Nous sommes au Philharmonique de Genève dans la loge du chef d’orchestre de renommée internationale, H. P. Miller.
A la fin d’un de ses concerts, ce dernier est importuné à maintes reprises par un spectateur envahissant, Léon Dinkel, qui se présente comme un grand admirateur venu de Belgique pour l’applaudir. Cependant plus l’entrevue se prolonge, plus le comportement de ce visiteur agaçant devient étrange et oppressant.
Fausse note est une pièce marquante qui pose le problème de la responsabilité : est-on le même à 60 ans qu'à 17 ? Doit-on répondre de ses actes malgré le temps passé et l'oubli ? Ces questions sont au cœur de la pièce qui présente la confrontation de deux personnages dont l'un a commis un crime. Peut-on et doit-on pardonner ? Et la notion de crime contre l'humanité ?

Un huis clos fiévreux
Certes, le scénario se devine rapidement, mais n’entrave rien de ce huis-clos fiévreux. La pièce questionne ‘’là où ça fait mal’’. Avec ce passé trouble qui vient te frapper en pleine ‘gueule’, Didier Caron mène le spectateur sur le chemin de la responsabilité en abordant la délicate question de la relation père-fils ou comment, sournoisement, l’être humain peut être amené à l’indicible. Et l’interrogation vient à point nommé dans une Europe qui oublie son histoire. Ce qui arme le bras de l’assassin, c’est l’obéissance au père et l’admiration qu’il lui voue. Ce qui fait tenir debout le fils du ‘Juif’ assassiné, c’est le désir de vengeance: il le doit à son père. L’apaisement, le pardon est-il au bout ? Pas sûr ! La réflexion ? Sûrement !

Les chemins de l’indicible
D’innombrables chemins peuvent mener à l’indicible. La Shoah c’était hier ! Les camps d’extermination, c’était hier ! Laval, c’était hier ! A la surprise des Allemands, ce sont les Français qui les premiers proposent que les enfants juifs soient inclus dans les trains de la déportation. Et dans la pièce, Léon Dinkel est de ceux-là, qui assiste muet au meurtre de son père pour une fausse note jouée au violon. Faute impardonnable pour le commandant du camp amoureux de Mozart ! Jeu sadique pour initier le fils. Si le chef d’orchestre semble regretter son geste au point d’en être torturé, sa violence reprend vite le dessus quand il voit sa vie basculer. Au final, l’impact de l’éducation et le ‘bourrage de crâne’ ont fait de lui un individu qui ne réussit pas à se libérer du joug.

Hier comme aujourd’hui, un nombre important de Français, se trouvant confrontés à des problèmes complexes choisissent, comme il arrive souvent, la voie de la facilité. En 1943, ce faisant, ils ne se sont pas laissé fléchir par la plus effroyable des souffrances humaines qu'ils aient contribué à infliger : l'angoisse d'un enfant. Plus que toute autre chose, la politique de Vichy à l'égard des enfants juifs montre comment des responsables ont pu dresser un mur entre eux et la réalité, se retrancher dans la routine, et bercer le peuple d'illusions quant à leur propre rectitude, jusqu’à en espérer laisser dans l’ignorance, souvent aujourd'hui encore, les crimes monstrueux dont ils se sont rendus complices.
La Méditerranée s’emplit de cadavres, de gens qui fuient la misère et la guerre, d’enfants dont certains ont cousu dans leur veste et protégé de plastique leurs bulletins de notes comme billets de passage. Nous pourrions bientôt, à notre tour, être jugés pour ‘crime contre l’humanité’.
Merci au Théâtre Toursky pour avoir programmé Fausse note, un face à face poignant, servi par deux interprètes magnifiques, qui interroge sur notre propre humanité.
Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mercredi 23 Janvier 2019 à 03:49 | Lu 287 fois

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