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« Charlie Bauer est amoureux », triomphe au Théâtre Toursky

14 février : jour des amoureux. Il ne pouvait y avoir date mieux choisie pour la deuxième programmation au Théâtre Toursky à Marseille de la pièce « Charlie Bauer est amoureux », adaptée du livre éponyme d’Alain Guyard et mise en scène par Dominique Fataccioli. Carton plein et succès retentissant pour les deux dates.


© DR
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Le pouvoir de l’amour
« Nos mots se feront balles traçantes »
Depuis « La tension, les armes, le danger » clamé par un Charlie Bauer fébrile et révolté, cette pièce montre le cheminement d’un homme, de la violence exacerbée à son combat autrement, car il sort de prison avec deux licences en psychologie et en philosophie, et un doctorat d’anthropologie sociale. La violence, c’est celle des Quartiers de Haute Sécurité, la violence d’une administration concentrationnaire toute puissante, sans limites qui veut annihiler l’être jusqu’à sa propre négation.
Mais cette pièce, coup de cœur au Festival d’Avignon 2019, c’est avant tout le pouvoir d’une femme, Renée. L’ivresse de son amour, ses lettres enflammées, leur échange bouillonnant, vont le sauver de l’enfer. Pour cet homme que l’administration veut briser, en faire une brute qu’on écrase d’un revers de la main, pour cet homme perdu : -« Je ne comprends rien à ce que je suis » dit-il à Renée-, elle est la bouée de sauvetage, la main tendue, l’air qu’on respire quand on manque se noyer, la vie. Elle lui raconte les oiseaux, les arbres, les longues promenades, la couleur de l’eau et du ciel. Elle partage avec lui son impatience, l’envie de son corps, de ses lèvres. Cette pièce c’est la démonstration éclatante du pouvoir de l’amour et de l’intelligence de deux êtres.

Ecrou 152 277 qhs le 19 avril 1976
« Les droits de l’homme s’arrêtent aux portes des prisons »
S’il est ardu de mettre en scène les lettres échangées par Renée, professeure de Français, et Charlie Bauer, incarcéré, Dominique Fataccioli réussit le challenge haut la main, habillant d’une infinie poésie les mots les plus crus, plongeant les spectateurs dans l’humidité poisseuse et la noirceur des cellules, stupéfiant, quand un trait de lumière fendant l’obscurité, devient la vitre d’un parloir, unissant deux êtres au-delà des mots, palpitant, quand des mains fiévreuse s’attardent sur des vêtements, cherchant la peau…
« Je veux le goût de ta salive, de ta sueur »
Une scène enfumée trouée d’éclairs de lumière blanche, un Charlie Bauer colossal, en tricot de corps ; son retour de la torture, mains et crâne bandé ; la douceur et la chaleur dévoilées d’une jambe de femme détachant son bas du porte-jarretelles ; les mains de la femme aimée, à genoux dans l’ombre devant lui, mains que l’on devine par la lumière qu’elles diffusent, taches blanches vibrantes, parcourant lascivement le corps d’un Charlie Bauer immobile dans l’ombre, une scène d’un érotisme brûlant ; des livres empilés servant de tabouret au prisonnier ; un livre à la couverture orange :‘Œuvres’ de l’anarchiste Bakounine, coincé dans la ceinture de l’homme, orange, unique couleur dans cet univers carcéral noir et angoissant; une kalachnikov brandie à bout de bras ; un homme debout qui ne plie pas sous le joug et une femme qui le porte par son amour, par sa colère vibrante, par sa sensualité, par le goût de vivre qu’elle lui insuffle ; c’est l’histoire d’un combat transcendé par la passion, l’histoire d’une résurrection, l’histoire de deux êtres que rien ne devait se faire rencontrer et que pourtant tout rapproche. Les lettres qu’ils s’échangent sont des messages de vie qui les aident mutuellement à survivre et à avancer. Ces lettres lues deviennent mouvement, témoignage d’une raison chancelante, d’un monde où l’horreur est le quotidien, où l’amour, salvateur, déploie sa source de vie. Le spectateur est immédiatement happé, immergé dans ces tourments. Il tremble, s’insurge, aime avec eux. Même si le spectateur connait la fin véritable de l’histoire de Charlie Bauer, s’il sait que Charlie va mourir dans les bras de Renée, son épouse, chez lui, en pleine force de l’âge, terrassé par un infarctus, cette pièce les rend, l’un et l’autre, éternels. Un chef-d’œuvre.

Charlie Bauer
« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » (Victor Hugo)
Au lendemain de la guerre d’Algérie, Charlie Bauer, alors jeune homme, anarchiste, communiste, prend les armes pour dévaliser les riches et distribuer le butin dans les quartiers pauvres de Marseille… Pour cela, Charlie Bauer passera 25 ans de sa vie en prison. Il deviendra l’ami de Jacques Mesrine rencontré dans les années 70.

« Le rapport avec l’autre c’est l’intelligence que je peux avoir avec l’autre pour créer ensemble ; créer les conditions d’une harmonie, sociale, politique, humaine, évolutive, révolutionnaire. Chacun a cette capacité’ (Charlie Bauer)

Révolutionnaire, Charlie le restera jusqu’à la fin de sa vie mais il combattra autrement, passant « des balles aux concepts pour des raisons tactiques ». Il sortira de prison avec de nouvelles armes : deux licences en psychologie et en philosophie, et un doctorat d’anthropologie sociale.
C’est aussi en prison qu’il rencontre Renée, professeure de philosophie. Elle croit dans le pouvoir des mots. Ils s’écrivent, se cherchent et s’affrontent par écrit avant de s’aimer. Éperdument… Passionnément… Leur vie fût un combat, contre une société qu’il faut changer mais aussi un combat pour s’aimer, un combat que Renée Bauer continue. Elle est présente dans la salle, ce soir, lors de la représentation de la pièce, au théâtre Toursky. Charlie Bauer est à nouveau vivant devant elle. C’est à la fois un bonheur immense et une douleur intense. Mais le principal, dit-elle, est de garder son souvenir et de porter son combat, celui que revendiquait Charlie Bauer qui avait pris pour adage la phrase de Victor Hugo «Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. »

Sublimes Hervé Fassy et Laurence Preve
« Ce rôle, je l’ai porté comme un étendard » (Laurence Preve)
La ressemblance d’Hervé Fassy avec Charlie Bauer est impressionnante. Avec une voix chaude et puissante, bien articulée et une présence scénique stupéfiante, Hervé Fassy, cheveux et barbe noires, incarne sublimement Charlie Bauer, sa véhémence, sa conviction profonde, sa révolte. Il étoffe son personnage, restitue les sentiments sans forcer le jeu dans ce rôle difficile où la voix, le visage et le corps s’expriment avec une sobriété de gestes. Le verbe est chair. Ce rebelle au grand cœur lutte pour ne pas sombrer dans la folie. Dans cette geôle de torture, papillon sur son épaule, l’amour vient l’effleurer, le bercer, panser ses plaies, le nourrir d’un délicieux nectar, délicieux mais terrible car inaccessible. Hervé Fassy est Charlie Bauer. Il se dresse devant les spectateurs et plante ses yeux dans les leurs. Ils ne l’oublieront plus !
Quand on connaît Laurence Preve, cette jeune femme souriante, cultivée, réservée, on sait qu’elle a porté ce rôle comme un étendard, on sait aussi que l’émotion peut la submerger à l’écoute d’une poésie. Présence fabuleuse, envoûtante, de Laurence Preve qui possède cette faculté d’intérioriser ce rôle, de faire sien l’amour de Renée pour Charlie. Entente parfaite entre les deux comédiens Laurence Preve-Hervé Fassy, amoureux à la scène comme à la ville. Le duo fonctionne à merveille. La voix limpide de Laurence Preve, la fraicheur, la clarté, la beauté éblouissante, sensuelle de l’actrice contrastent avec la voix puissante, la beauté animale et le corps musclé d’Hervé Fassy, et en accentuent l’érotisme. Laurence Preve, montre ici plusieurs facettes de son talent, passant de l’amoureuse lascive à la femme revendicative, de la tendresse à la colère, toujours avec retenue. Le timbre de voix est d’une remarquable souplesse, les gestes de la femme amoureuse particulièrement travaillés, élégants, délicats, glissent sur le corps martyrisé, supplicié de Charlie. C’est Renée qui par ses mots, par ses gestes, fait rejaillir l’humain enfoui en Charlie, Renée et ses robes fleuries, pétales tendres au parfum éphémère. L’amour, pas la mort. Hervé Fassy et Laurence Preve, qui travaillent régulièrement avec la compagnie ‘Pleins Feux’, sont incontestablement deux très grands acteurs, à suivre...

Dominique Fataccioli
Metteur en scène, scénographe, Dominique Fataccioli s’est attaché à la réalisation de ‘Charlie Bauer est amoureux’ avec la minutie et le talent qui le caractérisent. Ici, les effets de lumière partagent la scène à parts égales avec les interprètes. Ils dynamisent, accompagnent, aiguisent, habillent les mots et en magnifient le sens.
Dominique Fataccioli se lance avec une première mise en scène en 1992 au Festival d’Avignon avec ‘Alias Colombo’ qui connait un succès remarquable et travaille depuis sur différentes réalisations. La pièce ‘Charlie Bauer est amoureux’ est promise à un avenir brillant, d’autant plus que Fred Nicolas qui avait produit le court métrage ‘Rouge Bandit’ sorti en 2009, prépare un film de fiction, un long métrage sur la jeunesse de Charlie Bauer. Fred Nicolas, présent au Théâtre Toursky, a adoré la pièce et en a fait une captation. C’est, dit Dominique Fataccioli, cette amitié qu’il aime, et cette complémentarité entre cinéma et théâtre.
Pour le Festival d’Avignon 2020, Dominique Fataccioli fait la scénographie de ‘Le chemin des passes dangereuses’ une pièce de Michel Marc Bouchard, dramaturge québécois, qui sera donnée au Théâtre des Corps Saints. En automne 2020, résidence à La Factory, théâtre de l’Oulle en Avignon avec la Cie Azacusca pour un travail d’après le Cantique des Cantiques.

Renée Bauer
« Nous tendons, nous essayons, nous nous battrons pour faire entendre, non pas un rapport sacral à la révolution car ce n’est pas sacral, mais pour lui donner toute son authenticité. Dans révolution, il y a évolution, et je lutte, je me bats pour l’évolution de l’humanité et ma propre évolution. Dès lors qu’un individu évolue, lui-même étant la représentation de l’humanité, c’est l’humanité entière qui évolue, parce que l’homme est une multitude, est une humanité en soi ». (Charlie Bauer)
C’est ce à quoi s’emploie dorénavant Renée Bauer en portant la parole de Charlie. Le mot de la fin sera pour cette femme exceptionnelle, humaniste, intelligente et tendre. Elle fait part de son plaisir de voir apprécier qui était Charlie Bauer. Savoir qu’il n’est pas mort est, pour elle, quelque chose d’essentiel. A l’issue de la représentation, lors du verre de l’amitié, elle s’adresse à Richard Martin : « Merci de faire le lien entre tous ces hommes, chacun à sa manière, peintre, poète et autre magicien, pour que cette pièce existe et avance. »
Le lien ? Renée Bauer connaissait bien Axel Toursky, le poète, qui était venu voir le magnifique portrait que Charles Floutard avait fait d’elle car elle était son modèle : « La demoiselle de légende ». Richard Martin, qui connaissait très bien Charlie Bauer mais pas Axel Toursky, a nommé son théâtre du nom du poète qui venait de mourir. Une rencontre fraternelle, par-dessus le temps. La boucle est bouclée. Que vivent les idées d’humanité qui rapprochent les hommes et la culture qui permet aux hommes de les exprimer.

Cerise sur le gâteau, le groupe ‘Tense of Fools’ a composé, spécialement pour cette pièce, une excellente musique entre puissance et légèreté, élément indispensable de cette production où les acteurs, le metteur en scène, les lumières et l’auteur, sont indissociables.

‘Charlie Bauer est amoureux’ qui sera sans-doute au Festival d’Avignon 2020 est une pièce à ne rater sous aucun prétexte !

De Alain Guyard. Mise en scène et Scénographie : Dominique Fataccioli Avec Hervé Fassy & Laurence Preve Musique : Tense of Fools Costumes : Eliana Quittard

Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Samedi 22 Février 2020 à 12:39 | Lu 996 fois

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