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« Le Malade imaginaire ». Un Molière jeune et facétieux au théâtre de La Criée à Marseille

Au cœur de Marseille, ce théâtre prend le nom de l’ancienne Criée aux poissons. Il en conserve le nom et peut-être même quelques échos de voix résonnant en coulisses ! Un lieu aussi vivant ne pouvait que devenir l’antre des saltimbanques. Fauteuils rouges, salle comble, ovation et spectateurs debout ce samedi 26 octobre 2019 pour la dernière représentation de la pièce de Molière, une production de la Comédie Française : « Le Malade imaginaire », au Théâtre de la Criée à Marseille.


© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage
Molière, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, vit au XVIIe siècle, pendant une partie du règne de Louis XIV dont il est un temps le protégé. C'est un homme de théâtre complet : auteur, acteur, metteur en scène et chef de troupe. Tout jeune, il se lie avec une comédienne, Madeleine Béjard, prend le nom de Molière et fonde l'Illustre Théâtre qui fait rapidement faillite. Il devient comédien ambulant. En 1659, Les Précieuses ridicules connaissent un gros succès. En 1672, il compose le Malade imaginaire, sa dernière pièce. Alors qu'il joue la pièce, il meurt, pris de convulsions sur scène, en 1673. Excommunié parce qu’acteur de théâtre, il est inhumé à Paris, au cimetière du Père Lachaise. Il est sans conteste le plus célèbre des dramaturges français.
« Bien plus qu’un moment de théâtre, une vibration qui traverse les siècles. Comme si planait sur la Troupe le permanent souvenir du fauteuil gardé à Paris sous sa cloche de verre, celui où a commencé son agonie. Faire rire quand plane l’ombre de la mort. Celle d’Argan le personnage hypocondriaque, celle de Molière, l’acteur malade si peu imaginaire. Mêler la farce et la satire, la cruauté et le carnaval, le mensonge et la vérité, le poumon drolatique de Toinette et le poumon expirant de Molière, la mise en scène de Claude Stratz réussit ce tour de force. Après avoir déclenché en 2001 une avalanche de louanges, elle est depuis devenue légendaire, une des plus belles, des plus humaines dans la longue histoire de la Maison. Douze ans après la mort de Claude Stratz, une reprise brillante ! »*

« Plus que tout, les hommes meurent de leurs remèdes, pas de leur maladie »
Dans Le Malade imaginaire, Molière fait appel à toutes sortes de comique : le comique de caractère qui permet de dénoncer les ridicules d’un personnage type, ici Argan, le comique de situation, multipliant les scènes absurdes ou ridicules et les quiproquos, le comique de mots qui repose sur le texte, la farce, notamment dans la gestuelle et la satire.

Une pièce jubilatoire et actuelle
C’est à un Argan malade de la mort que nous avons assisté. Tout s’y prête : le décor, l’ambiance crépusculaire, les sons, la musique. Au lever de rideau, la pièce est sombre, éclairée seulement par une bougie tenue en main par un homme sur un fauteuil qui ressemble à s’y méprendre à une chaise roulante améliorée, astucieuse invention indispensable au déroulement de la pièce. Le vent s’engouffre en sifflant dans ce logis sans couvrir la voix d’Argan qui agite désespérément sa cloche en appelant Toinette, la servante. Le décor est planté, le ton est donné. Pas vraiment ! Dans les films, les sons, la musique précèdent l’action. C’est le cas ici, qu’il s’agisse du vent - de plus en plus violent -, ou de la musique de fond. A certains moments clés, de légers trémolos de violon, lointains, nous disent : « attention, la tragédie pourrait subitement se substituer à la farce ! »- et la scène suivante arrive avec plus de force, plus de virulence, plus de verve, plus de modernité. Bien sûr, le clavecin est là, notes surannées, mélange de douceur et de préciosité. Nous voici transportés à la cour du roi Soleil, cette cour si vénéneuse à l’égard de Molière. On sait que le roi avait soixante-dix-neuf médecins à son service. En assistant à la représentation du Malade imaginaire, Louis XIV aurait dit : « Les médecins font assez souvent pleurer pour qu'ils fassent quelquefois rire. »

Jouissif !
La mise-en-scène est signée du regretté metteur-en-scène Claude Stratz. Géniale est un adjectif trop faible : des polichinelles en ombres chinoises – si simples et pourtant fabuleux - des pans de murs qui tombent avec fracas pour céder place aux personnages… La modernité de la pièce ne se discute pas – Molière est intemporel, son langage universel, les personnages, complexes tranchant avec un texte d’une simplicité lumineuse - mais le renouveau, la fraîcheur, l’engouement que ce Malade imaginaire provoque ici, reposent sur la mise-en-scène, les costumes, le décor, les lumières, le son et la magnifique interprétation des comédiens. C’est talentueux, désopilant, nouveau, réjouissant.
Guillaume Gallienne campe un Argan irrésistible. En avançant dans le jeu, le comédien monte en puissance. S’il est bon au départ, Guillaume Gallienne devient excellent puis sublime et emporte haut la main l’éclatante approbation du public. L’acteur se révèle être une véritable bête de scène et se taille la part du lion mais ses compagnons ne sont pas à la peine ! Les applaudissements, la satisfaction, la reconnaissance – méritée -, l’ovation du public est pour eux tous.
Mentions spéciales : Julie Sicard, Toinette, pétillante en diable, une jubilation en soi ! Alain Lenglet, un Béralde d’anthologie. Coralie Zahonero, une sémillante Béline Les Monsieur Diafoirus et Monsieur Purgon de Christian Hecq sont remarquables. Le rôle de Cléante est tenu brillamment par un charmant comédien, Yoann Gasiorowski. Celui d’Angélique, habilement interprété par la jeune et jolie Elissa Alloula. Quant à la petite Louison, fraîche et enjouée, elle est surprenante, talentueuse et prometteuse. Mentions spéciales également pour Jorris Sauquet au clavecin et les voix fascinantes de la soprano, du ténor et du baryton basse. Claude Stratz fait un écrin de la dernière pièce de Molière et la troupe de la Comédie Française la fait briller de mille feux.

Une satire intemporelle
Molière, indémodable et notre maître à tous, adore la satire qui s’attaque aux mœurs de son temps, à un défaut humain, en les ridiculisant par la moquerie et à la société à laquelle il s’adresse, multipliant les figures de style. Le discours est marqué par les hyperboles avec des adjectifs emphatiques et un vocabulaire précieux. La scène où Argan est travesti en médecin est d’une drôlerie étincelante tout en posant appuyant là où ça fait mal et sur ce que dénonce Molière : la pratique du mariage arrangé, l’égoïsme des bourgeois, l’appât du gain, l’immobilisme, l’attitude rétrograde, l’ascendant des charlatans sur les esprits fragiles avec les questions clés sous-jacentes – toujours - dans l’œuvre de Molière : Qu’en est-il de l’homme et de la société ?
Molière plait et fait réfléchir, encore, et toujours.
Danielle Dufour-Verna*


Distribution

Mise en scène de Claude Stratz sur la comédie en trois actes de Molière

Avec la troupe de la Comédie-Française : Alain Lenglet, Coraly Zahonero, Guillaume Gallienne, Julie Sicard, Christian Hecq, Yoann Gasiorowski, Elissa Alloula, Clément Bresson et Prune Bozo*, Marthe Darmena*, Marie de Thieulloy*

Soprano Élodie Fonnard*, Donatienne Michel-Dansac*
Ténor Étienne Duhil de Bénazé*, Jérôme Billy*
Baryton-basse Ronan Debois*, Jean-Jacques L’Anthoën*
Clavecin Jorris Sauquet

* en alternance

Scénographie et costumes Ezio Toffolutti
Lumières Jean-Philippe Roy
Musique originale Marc-Olivier Dupin
Travail chorégraphique Sophie Mayer
Maquillages, perruques et prothèses Kuno Schlegelmilch
Assistanat à la mise en scène Marie-Pierre Héritier
Assistanat à la scénographie Angélique Pfeiffer
Assistanat aux maquillages et prothèses Elisabeth Doucet et Laurence Aué

Production de la Comédie-Française

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mardi 29 Octobre 2019 à 13:43 | Lu 794 fois

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