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Avignon Off. Une rencontre théâtrale magique : « Comment j’ai dressé un escargot sur tes seins » de Matei Visniec, Théâtre Florentin.

En cette chaude journée de juillet, dernier jour du festival, j’assiste à la pièce de Matei Visniec, ce dramaturge génial et décalé, donnée au Théâtre Florentin. Représentation à 11h20, la bonne heure. La salle est en accès direct dans cet ancien atelier de sculpture. J’entre.


Salvatore Caltabiano photo Philippe Hanula
Salvatore Caltabiano photo Philippe Hanula
Fin de la représentation et retour sur Marseille.
Assimiler, mûrir l’instant, sans y penser vraiment, intégrer le moment. Impossible de prendre l’autoroute, trop fade, trop anonyme. J’emprunte les petites nationales bordées de champs jaunies par le soleil, de meules de foin, de pins agrippés à la colline, dont les branches tendues me saluent au passage. Le chant des cigales… La magie continue, se perpétue, s’installe. Un bonheur simple, savouré. Il existe des spectacles –et je viens d’assister à l’un d’entre eux- qui, violettes ou papillons, viennent se nicher dans un coin du cœur –du cœur ?

« Comment j’ai dressé un escargot sur tes seins »
« Le fait de m’avoir donné la permission de dresser Basile sur vos seins me touche profondément… J’avais dressé mon papillon sur la surface de mes nuits blanches… Basile préfère les seins de Madame… »
L’auteur, Matei Visniec, est maître de ces univers où l’imaginaire s’empare du quotidien pour lui tordre le cou faisant ainsi naître le merveilleux de chaque situation.

Visniec, dramaturge roumain, c’est du style, de la poésie, de la vérité et un peu de nos vies dans ces textes qui interrogent sans pour autant prendre la tête de ses lecteurs. Cet auteur joue avec nos codes, nos préjugés et nos envies.
« Comment j’ai dressé un escargot sur tes seins » est une histoire passionnelle et viscérale entre un homme et une femme, racontée par Lui de façon très métaphorique, voire même surréaliste, et qui donne à l’amour toute son intensité. Matei Visniec pratique l’humour noir et ironique, prête littéralement vie aux mots, et anime les objets à la manière d’un marionnettiste. ‘« Comment j’ai dressé un escargot sur tes seins »plonge le spectateur dans un monde décalé, à part, suscitant la réflexion plus que la dérision. « Matei Visniec nous ensorcelle et tord la réalité avec bonheur. »

Quatre hommes et une femme en parfaite osmose : l’auteur Matei Visniec, l’acteur Salvatore Caltabiano, le metteur en scène Serge Barbuscia, la mise en musique, Eric Craviatto et la voix délicieuse de Dorothée Leveau, font de ces 1 heure et 10 minutes que dure la représentation, un intervalle suspendu à la respiration du public et, disons-le sans détour, un chef d’œuvre.

« Quand tu prends conscience de la mort, tu donnes tout l’amour ! Moi, je n’ai plus de temps à perdre pour autre chose. » (Serge Barbuscia)

L’Amour à mort
Dans un décor épuré, Serge Barbuscia signe une mise en scène efficace, essentielle. On entre de plain-pied dans l’univers de Visniec.
« Je reste le seul miroir crédible de ceux qui me font souffrir »
On visualise d’entrée ce cœur fugueur, facétieux, dérangeant, cet organe-personnage qui se plait à penser par lui-même. Quand une raquette de tennis et un foulard de soie se transforment en belle aux cheveux longs, immense devant cet homme aux abois, on n’y croit pas seulement, elle prend vie devant nos yeux. Derrière le foulard, les mains de l’acteur dessinent avec volupté le corps de cette femme qui le hante : « …Mon escargot est fou de vous… Basile, ne te précipite pas ! Votre peau nous raconte des histoires ahurissantes !...» Quand un coffre en bois devient cocon, refuge, lit, table, c’est du génie ! Quand l’homme, pieds nus, déplace le caisson au ralenti, intensifiant la sensation d’effort, c’est onirique, élégant et esthétiquement parfait.

La mise en scène de Barbuscia souligne un texte exigeant, accentuant la poésie dans le burlesque. Il aime ses acteurs. Salvatore Caltabiano est littéralement sublimé dans cet exercice. La musique d’Eric Craviatto vient battre en écho dans chaque poitrine, langage, sortilège d’un cœur vagabond, pépiements d’oiseaux ou chant céleste. Elle accompagne, précède, suit, personnage à part entière de la pièce.

La voix de Dorothée Leveau est là pour nous ramener à une sorte de réalité off. C’est elle qui habite en lui, le possède tout entier : « Madame, vous m’habitez trop fébrilement. » C’est elle également qui clôt le spectacle : « je te quitte, je ne t’aime plus… Oui, oui, au-revoir, je veux être libre !» Mais au fait, qui enferme l’autre ?

Salvatore Caltabiano est admirable. Il tient en haleine, de bout en bout, les spectateurs littéralement captivés, alternant les moments calmes et les paroles dites avec précipitation, la tendresse, le doute, l’étonnement, l’irritation, la tristesse. Les déplacements, les gestes sont travaillés, mesurés, au millimètre, accomplis avec un naturel époustouflant. La voix est chaude, claire, l’élocution nette, qu’il parle avec véhémence, dans la précipitation, dans l’effervescence de son désarroi, ou qu’il s’exprime en écho de son moi intérieur. Une performance splendide pour ce bel acteur qui n’hésite pas à mouiller sa chemise une énième fois tant la passion –perceptible- de son métier l’habite. Perfection du jeu, technique et talent conjugués font de Salvatore Caltabiano un comédien exceptionnel. Avec son interprétation, on passe de l’étonnement au sourire, de la surprise à l’émotion. A-t-on jamais entendu parler de ‘ma’ ‘mon’ (sexe), sans le nommer, mais avec autant de poésie ? Non, assurément. De la délicatesse pour énoncer des vérités cruelles, de la poésie là où l’amour déchire, Salvatore Caltabiano est définitivement un formidable comédien, promis à une grande carrière.

Ici, le metteur en scène et le comédien ne font qu’un, et c’est fondamental. Dans ce texte difficile et décousu où l’on peut craindre que le spectateur se perde, étrangement, il y a de l’ordre et des repères, l’approche est facilitée. Les effets de surprise, que le comédien interprète à la perfection, infligent un dynamisme fabuleux à la pièce. A n’en pas douter, Visniec n’a pu qu’apprécier le travail de ces hommes qui le servent aussi bien, donnant à son texte toute sa saveur. Les applaudissements répétés du public et le succès étaient, évidemment, au rendez-vous.
Avec Matei Visniec, Serge Barbuscia, Salvatore Caltabiano, Eric Craviatto et Dorothée Leveau, l’Art conserve ses lettres de noblesse.
Du théâtre comme on l’aime, intelligent, subtil, audacieux.
Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Samedi 4 Août 2018 à 10:48 | Lu 716 fois

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