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« La Légende d’une Vie », de Stefan Zweig, Théâtre Toursky

Distribution éblouissante pour ce bijou de psychologie et de critique sociale


Natalie Dessay et Macha Méril © DR
Natalie Dessay et Macha Méril © DR
« Un coup de talon est nécessaire pour que cette ville redevienne fraternelle… Rassemblons-nous sous le signe des poètes »

Richard Martin a accueilli ainsi un public enthousiaste en ce samedi 30 novembre où, fidèle à sa réputation de haut lieu de la culture, le Théâtre Toursky donnait une pièce de Stefan Zweig : « La Légende d’une Vie » avec Macha Méril, Natalie Dessay, Bernard Alane, Valentine Galey et Gaël Giraudeau, dans une mise en scène de Christophe Lindon, adaptation de Michael Stampe.

Vienne, 1919. La veuve du poète Karl Franck, Léonore, a transformé la vie du maître en légende.

Ce soir-là, les poèmes de Friedrich, leur fils, doivent être lus en public devant la meilleure société. Le jeune homme cherche à s’extirper du souvenir de son père, poète devenu icône nationale. Il étouffe dans la maison familiale où tout est organisé par sa mère, femme autoritaire et intransigeante, autour du culte du grand homme. Mais c’est l’apparition d’une mystérieuse femme qui vient semer le trouble. Cette femme, Franck l’a aimée, il lui a écrit des lettres enflammées et lui a dédié une pièce de théâtre que tout le monde croyait perdue. La légende se fissure…
Tout le génie de Zweig est là : on glisse du vaudeville à une pièce métaphysique sur la création, sur les pouvoirs, les devoirs des héritiers d'un grand personnage disparu : tout publier, censurer, couper, rectifier ? Chaque mot est pesé, travaillé dans le sens de l’efficacité ou de l’ambivalence.

Détruire l’image du père-icône permet de rendre au grand poète son humanité, de rendre un père à son fils et la vie à la mère.
On retrouve dans cette pièce magnifique, l’engouement de Stefan Zweig pour la psychanalyse. Ses personnages sont scrutés, analysés, décortiqués, mis à nu. On assiste à la re-naissance de personnages débarrassés de cette deuxième peau collante, un carcan confectionné pour la société, pour les autres.

Une distribution éblouissante

L’action serrée, les dialogues vifs, il fallait de grands acteurs pour tenir des rôles aussi puissants, rendre les sentiments les plus contradictoires. Macha Méril et Natalie Dessay sont habitées, sublimes. Bernard Alane campe un magnifique Hermann Bürstein, biographe du grand Karl Franck, Valentine Galey et Gaël Giraudeau tirent leur épingle du jeu avec brio. Et ce sont ces dames qui emportent la palme à l’applaudimètre. Le décor, une grande colonne dorée et des panneaux translucides quadrillés de noir, plante immédiatement la situation. La musique appuie le scénario à point nommé, le violoncelle se faisant vibrant, ténébreux. Les comédiens sont à l’aise dans cette belle mise-en-scène sobre et percutante. Plus de quatre rappels et des bravo retentissants ont clôt la soirée.

Stefan Zweig, écrivain prolifique, pacifiste et internationaliste

Ecrivain autrichien (Vienne 1881- Petropolis, Brésil, 1942) Stefan Zweig est le fils d'un riche industriel. Il suit des études classiques avant de mener une vie mêlant création littéraire et voyages. Amis d'autres intellectuels à travers l'Europe (Romain Rolland, Sigmund Freud, Émile Verhaeren), il vit très mal la Première Guerre mondiale et l'exacerbation des nationalismes qu'elle entraîne. Il restera dans l'entre-deux-guerres l'un des représentants les plus caractéristiques de la culture européenne, qu'il continuera à défendre avec ardeur.
Chassé de son pays par le nazisme, il s'exile en Grande-Bretagne puis au Brésil, où il se donne la mort, désespéré de voir l'Europe soumise au joug hitlérien.
A la fin des années 20, Zweig collabore avec le périodique viennois Almanach de psychanalyse et resserre son amitié avec Freud.
En 1933, les œuvres de Zweig sont brûlés par les nazis et l’écrivain est fier de partager son sort avec, entre autres, des célébrités telles que Thomas et Heinrich Mann, Franz Werfel, Sigmund Freud et Albert Einstein.
Il quitte l’Autriche en 1934 et demande la nationalité britannique après l’annexion de l’Autriche par le troisième Reich.

Il rejoint le Brésil en 1941, où il se suicide (version officielle) avec sa seconde épouse, par l’absorption de barbituriques le 23 février 1942. Il souffrait, dit-on, de crises de dépression dues à son exil et à son manque d’espérance pour le futur de l’Europe dominée par la violence et l’autoritarisme. Les corps des époux furent retrouvés habillés sur le lit. Quelques détails saugrenus firent, au départ, penser à un homicide commis par des sympathisants ou des agents secrets de l’Allemagne nazie pour qui Zweig était L’intellectuel juif le plus dangereux, mais la version officielle du suicide fut retenue.

Il est fort possible que vous rencontriez à nouveau ces merveilleux acteurs dans cette pièce rare car, forts de leur succès, ils se produisent partout. Courez-y !
Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Jeudi 5 Décembre 2019 à 14:51 | Lu 728 fois

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