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Valence, Comédie de Valence : Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka, m.e.s. Richard Brunel

Donner la parole aux invisibles


Certaines n'avaient jamais vu la mer © Jean-Louis Fernandez
Certaines n'avaient jamais vu la mer © Jean-Louis Fernandez
Avec Simon Alopé, Mélanie Bourgeois, Youjin Choi, Yuika Hokama, Mike Nguyen, Ely Penh, Linh-Dan Pham, Chloé Réjon, Alyzée Soudet, Kyoko Takenaka, Haïni Wang ;
Et Natalie Dessay
Dramaturgie Catherine Ailloud-Nicolas Scénographie Anouk Dell’Aiera Costumes Benjamin Moreau
Son Antoine Richard Lumière Laurent Castaingt Vidéo Jérémie Scheidler
Assistante à la mise en scène Pauline Ringeade

Production La Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche Coproduction Festival d’Avignon ; Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne
Avec le dispositif d’insertion de l’École du Nord, soutenu par la Région Hauts-de-France et la DRAC Hauts-de-France

Tournée 18-19
19 > 24 juil. 2018 – 72e Festival d’Avignon
14 > 25 janv. 2019 – Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne
• 30 janv. > 02 fév. 2019 – La Comédie de Valence
• 13 > 15 mars 2019 – Théâtre Dijon Bourgogne, CDN de Dijon


Donner la parole aux invisibles, par Richard Brunel

Lorsque j'ai découvert le roman de Julie Otsuka, j'ai été saisi par l'émotion face à cet épisode méconnu de l'histoire américaine et par l’histoire de ces destins tragiques de femmes. Elles sont sur le bateau, si jeunes et si pleines d'espoir. Elles quittent définitivement le Japon pour rejoindre aux USA des hommes, leurs compatriotes exilés, qui, de lettre en lettre, leur ont décrit un monde idyllique, des épousailles harmonieuses, une vie de rêve en somme. Elles découvrent, en arrivant, le mensonge, l'imposture, le viol, le dur labeur dans les champs ou chez de riches Américaines. Désillusion, désespoir, résignation, loin de leur pays, loin de leur langue.

Elles tentent de survivre et de s'adapter, mettant au monde des enfants qui contrairement à elles sont américains, se comportent comme tels, étrangers à leur culture d'origine. Et puis survient Pearl Harbour. Les Japonais, de naissance ou d'origine, de première ou de seconde génération, deviennent les suspects, les ennemis de l'intérieur. On les cantonne, on les isole. Des camps sont construits, des trains y acheminent des familles entières. Sous les yeux des Américains, les Japonais disparaissent, laissant derrière eux les traces de leurs vies.

Au dernier chapitre du roman, Julie Otsuka suspend le récit des Japonaises, emportées loin de nous. Le chapitre attendu sur les camps n'est pas présent. Nous sommes, comme les Américains du dernier chapitre, renvoyés aux hypothèses, aux interrogations et à une certaine forme de stupéfaction ou de déni devant l'inimaginable. Nous subissons l'absence de ceux qui ont quitté le lieu où il était possible de vivre ensemble. Les Japonais deviennent des fantômes, des ombres, pour ceux qui sont restés, les voisins, les amis, les employeurs.

Dans ce texte, j'ai été saisi aussi par la façon dont cette langue précise, musicale, nous embarque dans une épopée ininterrompue, jusqu'au départ mystérieux, incompris, vers le destin voulu par les autorités américaines. Derrière le nous collectif, derrière le chœur apparent, c'est en réalité une choralité qui se déploie, celle de multiples individus dotés de noms, de micro-histoires, toutes différentes, toutes passionnantes. Julie Otsuka réussit l'exploit de dessiner, par ses mots, aussi bien des miniatures précises qu'un tableau gigantesque, les petites histoires dans la grande Histoire. C'est cela qui m'intéresse, cette parole donnée aux invisibles, cette individualité qui s'affirme à l'intérieur même d'une communauté. Je vais confier tous ces "je" à plusieurs actrices. Elles ne seront pas seulement des porte-voix, des porte-paroles, les témoins d'un temps révolu. Elles incarneront ces figures jusqu'à en faire des personnes. Face à elles, je vais placer plusieurs formes d'altérité. Des hommes, tour à tour maris, enfants ou employeurs. Et une femme, une Américaine, symbole d'une autre façon de se comporter, de s'habiller, de parler, de penser. Je souhaite sublimer la musicalité de la langue en l'ancrant résolument dans les corps, dans la force du mouvement, des actions et des relations. Je veux avant tout raconter une histoire, celle d’une époque douloureuse, d’un temps où tout à coup l'étranger ou le concitoyen d'origine étrangère, l'ami ou l'employé, est regardé avec méfiance ou sommé de prouver sa loyauté

Pierre Aimar
Mis en ligne le Jeudi 6 Décembre 2018 à 13:28 | Lu 204 fois

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