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Paris, Galerie Sabine Bayasli : Elvire Caillon - Léonard Martin, « Sparring partner ». Expo du 24 mars au 23 avril 2022

Dans une série de peintures et gravures réalisée autour de 1588, Cornelis Cornelisz. van Haarlem saisit le moment fugace où quatre antihéros de la mythologie grecque, Phaeton, Ixion, Tantale et Icare, chutent après avoir tutoyé les sommets.


Elvire Caillon, Face au mur, huile sur toile, 162 x 130 cm, 2022
Elvire Caillon, Face au mur, huile sur toile, 162 x 130 cm, 2022

Léonard Martin, huile sur toile 146 x 114 cm
Léonard Martin, huile sur toile 146 x 114 cm

Elvire Caillon et Léonard Martin - Sparring partner

L’instant de la peinture est celui de cette hésitation dans les possibles. En grec c’est cette energeia, une vague qui s’enfle, avant le telos, avant la fin, avant de s’abattre sur la plage.
Pascal Quignard

Dans une série de peintures et gravures réalisée autour de 1588, Cornelis Cornelisz. van Haarlem saisit le moment fugace où quatre antihéros de la mythologie grecque, Phaeton, Ixion, Tantale et Icare, chutent après avoir tutoyé les sommets.
Ce qui retient l’attention, c’est le flottement acrobatique de ces corps suspendus dans les airs : l’action est certes bien en cours, mais son achèvement reste indéterminé, et son élan se fixe sans contexte – plongeon dans un instant incertain, que Pascal Quignard relève, sous le terme de gérondif, comme l’un des fondamentaux de la peinture.

C’est bien la peinture, son histoire, son étendue et sa capacité à laisser flotter les corps au beau milieu de leurs actions, mythologiques ou quotidiennes, qui réunit ici Elvire Caillon et Léonard Martin.

La dimension narrative des scènes répertoriées par Elvire Caillon repose avant tout sur le dynamisme de personnages souvent affairés à travailler, à charrier toutes sortes de barda ou pris dans un dialogue inaudible avec d’autres figures sans visage, parfois au contraire démobilisés, se laissant aller à la sieste ou à la vacuité de l’observation vide de leur occupation même, mais toujours absorbés.
Absorption dans ce quelque chose qui les captive, d’abord, et qui génère en eux une attention, une tension, dont la densité les met à distance du regardeur (repliés dans leur cheminement, certains ne nous dévoileront pas leur face, déjà tournée vers une destination indevinable).
Absorption aussi dans la couleur d’aplats vifs ou pastels composant autour d’eux un nuage, un brouillard ou un mirage dans lesquels surnagent quelques éléments de décor : une peinture en train d’être faite, une île agrafée dans le ciel, une nacelle sans ballon, les fils de fer d’un échafaudage, ou encore une rue dont on imagine voir surgir, dans l’image d’après la peinture, une voiture déboulant de gauche ou de droite et dont l’attente a permis d’attraper de dos le passant à l’arrêt.
Magie de la peinture : la gravité n’existe que pour être défiée, et tout peut s’envoler.

Les envols des dessins de Léonard Martin cultivent quant à eux une dimension inquiétante : masses rabelaisiennes croquées dans des poses grotesques au moment de perdre presque leur équilibre de marionnettes, cherchant à atteindre on ne sait quoi ou on ne sait qui se trouvant de l’autre côté d’un passage entre deux découpes de papier, fantômes japonais échevelés dont les traits hachés laissent penser que ce sont eux qui poursuivent les damnés dont les cuisses empêtrées de chair et de carton ne parviennent pas à finir la course salvatrice, mains avides de se refermer sur les tissus adipeux de fuyards invisibles, regards passionnés par cet enfer de pauvres hères en course vers d’appétissants désirs ou d’ardents pincements…

Le même enchevêtrement enclenche d’une toile à l’autre une machine infernale qui, grâce aux grands formats, expose avec obscénité les pieds noués, les bras tordus, les culs rebondis pris dans les orgies et les pièges d’épais corps à corps et des obstacles mous de grilles tordues comme des drapés.

Et pourtant, ce qui se joue dans les oeuvres de l’un comme de l’autre de ces deux sparring partners, c’est au final davantage un dialogue amoureux cherchant à se faufiler dans les contorsions de l’histoire de l’art que l’entraînement à ce combat titanesque qui depuis Zeuxis oppose le mouvement de la vie et la peinture qui aspire à la capturer dans ses filets – mais à ce dialogue comme à ce combat, aucune fin n’est à ce jour connue.

Sparring Partner est la première exposition en duo dans une galerie parisienne de Elvire Caillon (née en 1989, vit et travaille à Paris) et Léonard Martin (né en 1991, vit et travaille à Paris) ; ils y poursuivent un dialogue entamé lors de leurs résidences récentes à la Villa Médicis, à Rome, et à la fondation Lafayette Anticipations à Paris.
Leur complicité les avait auparavant portés à présenter leur travail commun sur scène, à Nanterre-Amandiers et au Théâtre de la Cité Internationale, pour deux étapes de création soutenues par la fondation Hermès.
Jean-Christophe Arcos
critique d’art et commissaire d’exposition

Info+

Galerie Sabine Bayasli
99 rue du Temple
75003 Paris
www.galeriesabinebayasli.com
contact@galeriesabinebayasli.com
06 34 29 40 82

Du mardi au samedi de 12h à 19h et sur rendez-vous

Pierre Aimar
Mis en ligne le Samedi 12 Mars 2022 à 03:43 | Lu 295 fois

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