Quelques repères historiques :
1845–1945 : Il a fallu que la route de Marseille fût construite en 1840 et que la voie ferrée y achemine en 1859 les voyageurs pour que Cassis devienne accessible plus aisément que par mer ; du coup, en ces temps où, avec Loubon et Guigou, la peinture provençale prend son essor, le site cesse d’être objet de curiosité pittoresque pour devenir paysage, soit motif esthétique et objet de recherches picturales. Un siècle plus tard, un monde s’achève, une autre histoire commence, celle des loisirs de masse : la route s’est élargie, le vignoble et les calanques avoisinantes ont été classés, le port est devenu station balnéaire, le voyageur est remplacé par le vacancier, l’hivernant par l’estivant, le cinéma et la bande dessinée tendent à prendre le relais des peintres.
Tradition et modernité
Faisant pièce à l’impressionnisme autant qu’à l’académisme, l’école de paysagistes marseillais est assidue sur les lieux : vues de calanques sublimes chez Ponson, doux enclos du port chez Garibaldi, scènes de la vie quotidienne saisies par Guigou, autant de façons de restituer à une clientèle bourgeoise le décor de ses balades favorites, d’accompagner l’essor des Excursionnistes locaux et de poursuivre en images l’ode à la Provence éternelle dont Mistral s’est fait le chantre en 1867 dans « Calendal ».
Mais qu’en 1884 la fougue effervescente de Monticelli touche les façades du port ou qu’en 1889 Signac restitue le miroitement de la lumière sur la plage ou sa réverbération sur le Cap, et c’est tout autre chose qui se joue : entre expressionnisme et pointillisme, la modernité vient de débarquer. Dès lors, autant qu’une certaine douceur de vivre, la lumière du Sud déployée par Van Gogh et les recherches de Cézanne sur le motif attirent les novateurs du Nord. Année décisive, 1907 : entre fauvisme et cubisme, Derain et Friesz trouvent leur voie à Cassis, l’un vers le cloisonnement des formes, l’autre vers l’arabesque baroque. Parisiens, Manguin et Picabia s’éprennent du lieu, tout comme les Marseillais Camoin, Verdilhan et Girieud.
Les années folles sont à Cassis celles d’un « Montparnasse méditerranéen » mais aussi du « Bloomsbury sur Méditerranée » : peintres parisiens ou bretons, coloristes écossais, libertaires anglais mais aussi peintres irlandais, grecs, roumains, allemands, russes, américains et même australiens et néo-zélandais y côtoient les artistes du cru. Dernier afflux notable : les réfugiés de la Deuxième Guerre, avant qu’ils ne soient contraints par l’occupant de s’exiler plus loin. Seul restera le résistant Rudolf Kundera.
Un haut lieu de la peinture
Collioure et l’Estaque firent date ponctuelle. A Cassis, un siècle durant, ce sont plus de 200 peintres qui ont confronté leur art au paysage. S’y sont rencontrés ou succédés amoureux du référent et fervents des signes exaspérés de l'art, tenants de la forme et partisans de la couleur, les uns assagissant les autres et les seconds enfiévrant les premiers. Que de variations sur le village, la vie du port, les plages, l’abrupt du Cap, la douceur des vignes, « l’étincelance » des calanques !
Irisé par Signac, alangui par Garibaldi, éclaboussé d'or par Monticelli, recomposé par Ponson, soulevé par Olive, étiré par Courdouan, détaillé par Guigou, dramatisé par Seyssaud, cerné par Derain ou Guindon, baroquisé par Friesz, noirci par Picabia, éclairci par Peploe ou Fergusson, renoirisé par Camoin, investi par la sensualité de Manguin, rêvé par le pastel de Lévy-Dhurmer, cubisé par Herbin ou Fry, délinéé par de Staël, caricaturé par Grosz, subverti et réinventé par Wols et Dubuffet, Cassis a vu sa géométrie fluctuer au gré des styles et ses images brassées en perturber la stricte ordonnance. Ce « paradis terrestre », comme le nomme Picabia – et Virginia Woolf n’hésite pas à le déclarer « absolute heaven » –, est, dit Friesz, « riche de toutes les variations possibles » ; Manguin, de son côté, y découvre « de partout des arrangements merveilleux ».
Mais ce « pays où il y a de splendides paysages, certainement plus beaux que ceux de Collioure » est, de l’aveu de Derain, « trop beau ». Et de commenter : « C’est noble, c’est grand, c’est épatant ». Ce paradis est aussi le désespoir du peintre. Par l’ampleur de son site et l’ardeur de ses couleurs, Cassis est devenu un défi à relever. Pour nombre d’entre eux, le relever fut l’occasion de se révéler à soi.
Par delà son renom de petit port de pêche ou de station balnéaire, Cassis apparaît ainsi non seulement, et sur une longue période, comme un centre d’attraction international et un foyer incomparable de création, mais surtout un haut lieu de la peinture où se sont affrontés un paysage et ses représentations.
1845–1945 : Il a fallu que la route de Marseille fût construite en 1840 et que la voie ferrée y achemine en 1859 les voyageurs pour que Cassis devienne accessible plus aisément que par mer ; du coup, en ces temps où, avec Loubon et Guigou, la peinture provençale prend son essor, le site cesse d’être objet de curiosité pittoresque pour devenir paysage, soit motif esthétique et objet de recherches picturales. Un siècle plus tard, un monde s’achève, une autre histoire commence, celle des loisirs de masse : la route s’est élargie, le vignoble et les calanques avoisinantes ont été classés, le port est devenu station balnéaire, le voyageur est remplacé par le vacancier, l’hivernant par l’estivant, le cinéma et la bande dessinée tendent à prendre le relais des peintres.
Tradition et modernité
Faisant pièce à l’impressionnisme autant qu’à l’académisme, l’école de paysagistes marseillais est assidue sur les lieux : vues de calanques sublimes chez Ponson, doux enclos du port chez Garibaldi, scènes de la vie quotidienne saisies par Guigou, autant de façons de restituer à une clientèle bourgeoise le décor de ses balades favorites, d’accompagner l’essor des Excursionnistes locaux et de poursuivre en images l’ode à la Provence éternelle dont Mistral s’est fait le chantre en 1867 dans « Calendal ».
Mais qu’en 1884 la fougue effervescente de Monticelli touche les façades du port ou qu’en 1889 Signac restitue le miroitement de la lumière sur la plage ou sa réverbération sur le Cap, et c’est tout autre chose qui se joue : entre expressionnisme et pointillisme, la modernité vient de débarquer. Dès lors, autant qu’une certaine douceur de vivre, la lumière du Sud déployée par Van Gogh et les recherches de Cézanne sur le motif attirent les novateurs du Nord. Année décisive, 1907 : entre fauvisme et cubisme, Derain et Friesz trouvent leur voie à Cassis, l’un vers le cloisonnement des formes, l’autre vers l’arabesque baroque. Parisiens, Manguin et Picabia s’éprennent du lieu, tout comme les Marseillais Camoin, Verdilhan et Girieud.
Les années folles sont à Cassis celles d’un « Montparnasse méditerranéen » mais aussi du « Bloomsbury sur Méditerranée » : peintres parisiens ou bretons, coloristes écossais, libertaires anglais mais aussi peintres irlandais, grecs, roumains, allemands, russes, américains et même australiens et néo-zélandais y côtoient les artistes du cru. Dernier afflux notable : les réfugiés de la Deuxième Guerre, avant qu’ils ne soient contraints par l’occupant de s’exiler plus loin. Seul restera le résistant Rudolf Kundera.
Un haut lieu de la peinture
Collioure et l’Estaque firent date ponctuelle. A Cassis, un siècle durant, ce sont plus de 200 peintres qui ont confronté leur art au paysage. S’y sont rencontrés ou succédés amoureux du référent et fervents des signes exaspérés de l'art, tenants de la forme et partisans de la couleur, les uns assagissant les autres et les seconds enfiévrant les premiers. Que de variations sur le village, la vie du port, les plages, l’abrupt du Cap, la douceur des vignes, « l’étincelance » des calanques !
Irisé par Signac, alangui par Garibaldi, éclaboussé d'or par Monticelli, recomposé par Ponson, soulevé par Olive, étiré par Courdouan, détaillé par Guigou, dramatisé par Seyssaud, cerné par Derain ou Guindon, baroquisé par Friesz, noirci par Picabia, éclairci par Peploe ou Fergusson, renoirisé par Camoin, investi par la sensualité de Manguin, rêvé par le pastel de Lévy-Dhurmer, cubisé par Herbin ou Fry, délinéé par de Staël, caricaturé par Grosz, subverti et réinventé par Wols et Dubuffet, Cassis a vu sa géométrie fluctuer au gré des styles et ses images brassées en perturber la stricte ordonnance. Ce « paradis terrestre », comme le nomme Picabia – et Virginia Woolf n’hésite pas à le déclarer « absolute heaven » –, est, dit Friesz, « riche de toutes les variations possibles » ; Manguin, de son côté, y découvre « de partout des arrangements merveilleux ».
Mais ce « pays où il y a de splendides paysages, certainement plus beaux que ceux de Collioure » est, de l’aveu de Derain, « trop beau ». Et de commenter : « C’est noble, c’est grand, c’est épatant ». Ce paradis est aussi le désespoir du peintre. Par l’ampleur de son site et l’ardeur de ses couleurs, Cassis est devenu un défi à relever. Pour nombre d’entre eux, le relever fut l’occasion de se révéler à soi.
Par delà son renom de petit port de pêche ou de station balnéaire, Cassis apparaît ainsi non seulement, et sur une longue période, comme un centre d’attraction international et un foyer incomparable de création, mais surtout un haut lieu de la peinture où se sont affrontés un paysage et ses représentations.