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Lyon, Galerie Valérie Eymeric : exposition « Terrains libres », solo-show de l’artiste Komili du 6.4 au 13.5.23

La galerie Valérie Eymeric proposera à partir du jeudi 6 avril 2023, un solo-show de l’artiste Komili. Intitulé « Terrains libres », cette nouvelle exposition à Lyon permettra la découverte de toiles inédites.


Komili « Sur les ruines d'Aérocity » 130x162cm. Huile sur toile. 2022
Komili « Sur les ruines d'Aérocity » 130x162cm. Huile sur toile. 2022

Le silence éternel de ces espaces infinis…

« Paysages avec figures absentes » : ce sont ces mots de Jaccottet qui résonnent lorsque l’on pose le regard sur une toile de Komili, et qu’il se trouve absorbé par la musique silencieuse de ces lieux, aussi familiers qu’étranges, qui s’y dressent. Ces paysages urbains à la lisière du minéral et du végétal, presque toujours déserts de toute trace humaine, ne sont ni des « natures mortes », ni des « still alive », ni même entre les deux – ils seraient alors moribonds. Ils vibrent au contraire de présences cachées, d’absences momentanées, d’espaces qui émergent de la torpeur, enfin libérés de toute occupation bourdonnante, et qui se jouent des secrets que les ombres esquissent dans les recoins des couleurs.
Paysages avec figures absentes, mais auxquels rien ne manque parce qu’ils sont à la fois pleins et vides : pleins de leurs éclats de lumière, de leurs formes, de leurs matières et de leurs structures propres, vides de ce qui est peut-être seulement caché à l’angle de leurs horizons et de leurs perspectives en partie dévoilés. Les tableaux de Komili sont des fenêtresouvertes sur des lieux qui semblent pris au dépourvu, saisis par surprise dans un cliché volé, et qui donnent à voir autant qu’ils masquent encore.

On découvre d’abord des lieux qui se déploient à la jonction d’un espace, d’un temps et d’un point de vue uniques. Chaque coup d’œil jeté aux surfaces et aux coins des murs, des ouvertures, des plans embrasse un espace que la lumière a découpé dans un instant précis et fugace, et que l’artiste a elle-même saisi depuis un lieu et un angle de vue spécifiques. Mais si ces lieux sont attrapés par le pinceau du peintre comme le photographe prend un instantané, ici et maintenant, alors que verrions-nous depuis un autre angle, un autre espace, un autre temps ? Pourtant Komili ne donne pas à voir un ici et maintenant contingent, purement accidentel, qui ne serait qu’une mise en image du coup d’œil plus ou moins distrait du passant : elle nous fait plonger dans des lieux qui sont révélés, par-delà tout ancrage précis, dans ce qu’ils ont d’atemporel et d’universel, parce qu’ils débordent de leurs simples contours. Tel arbre, telle façade, tel chantier, sont peut-être un arbre, une façade, un chantier que l’on saurait rencontrer à nouveau dans l’épaisseur du réel, au détour d’une route et au hasard du coup d’œil. En cela ces lieux sont profondément familiers, comme toutes ces choses que l’on voit sans regarder, que l’on occupe ou traverse sans vraiment nous y arrêter. Mais amenés par la peintre à notre attention, ils deviennent étranges, fantastiques, d’une présence plus sourde et plus pleine que ce que l’on aurait pu croire, bien-au delà de ce que chacun de nos points de vue irréductiblement enraciné peut en saisir.
L’artiste nous entraîne dans ses toiles en refusant toutes les facilités narratives et les codes confortables : c’est qu’il s’agit de chercher à voir, à sentir, à retrouver ce quelque chose caché que le lieu porte en lui. Et pour cela il faut plonger sous le fil rasant des apparences : on entre dans le tableau par un angle de vue inattendu, qui nous enjoint à suivre les croisements des contours et des couleurs, des creux et des pleins de la matière, des découpes et des rais de lumière. Nulle part le regard ne peut s’arrêter définitivement : il embrasse d’abord un tout, puis se trouve immédiatement happé par une ligne, un relief, un reflet sur lesquels il glisse pour rebondir au bout d’une perspective inattendue, posée là dans cet équilibre et cette grâce d’osselets jetés par un démiurge formidable, et qui débouche alors sur un élément surréel ouvrant à son tour une autre dimension jusque là insoupçonnée du paysage. Dans ce rythme scandé et louvoyant se recompose encore et encore le tableau, avec ses ombres et ses passages, ses couleurs et ses profondeurs, ses masses et ses lignes faussement immobiles.

Mais si l’on pénètre assez loin dans ces lieux à ciel et fenêtres ouverts qui se plient, se déplient et s’imbriquent dans leur combinatoire propre, on sent émerger une présence intime et reposante. Le lieu prend vie et forme dans ces jeux de volumes, de nuances et de reflets qui se font muettement écho les uns aux autres. Ce qui semblait désert, inhabité, vacant, n’a alors plus rien d’un vide. C’est un creux, qui palpite de cette présence qu’ont aussi les ruines et les vestiges : celle des possibles, des secrets, des attentes, des résonances d’un passé ou peut-être d’un présent qui s’est tu un instant pour laisser respirer quelque chose de plus ample. Il y a dans les toiles de Komili un silence différent de celui de tout tableau : le silence de ce qui a été délaissé, oublié, renvoyé à soi-même, et qui peut seul alors bruire en paix de la rumeur de ces milles petites choses qui vibrent à l’insu de nos regards.
Bien loin d’être un décor, le lieu prend corps : il devient personnage, être à part entière respirant de son rythme et de sa pneuma propre, s’incarnant dans tout le grand format des tableaux. Ce lieu inoccupé qui se révèle sur la toile est en lui-même présence : elle seule remplit l’espace, elle seule importe, parce qu’elle seule perdure sous le flux des êtres, des choses et des figures absentes. En étant à la fois achevé et inachevé, ouvert et fermé, dehors et dedans, vide et plein, le lieu porte ce qui est, ce qui n’est plus, ce qui pourrait à nouveau être.
C’est là ce qu’il y a d’unique, de troublant aussi, dans les travaux de Komili : elle peint des lieux qui sont en même temps des non-lieux, des espaces-temps suspendus entre ici et nulle part, ailleurs et partout, maintenant et toujours. La question n’est plus où, ni quand, ni même vers où. Car au fil des passages et déambulations de l’œil entre les interstices, à travers les ouvertures, dans l’étrangeté nouvelle de ces lieux délestés de la linéarité de leurs fonctions, Komili fait émerger l’impression diffuse d’avoir atteint une autre familiarité, plus profonde, plus tranquille, plus universelle aussi : celle de la durée elle-même. En traversant distances, volumes et couleurs le regard trouve, dans l’épaisseur et la concrétude du béton et de l’écorce, la vibration muette de la permanence qui se cache sous l’usage indifférent des choses. C’est cela que Komili fait apparaître dans ses tableaux : ce qui se joue sous la fugacité du regard individuel, en-deçà de la semi-conscience de l’être, par-delà l’ici et maintenant de nos passages. Ses toiles ne sont pas des anecdotes sur ces lieux auxquels nul ne prend garde ; elles sont des révélateurs de ce que nous pourrions bien plutôt, nous, être des anecdotes dans des lieux qui nous gardent et qui s’étendent plus loin que nous-mêmes. Des points, des traits, des perspectives qui se meuvent et errent un instant dans les espaces, pour y laisser la trace géométrique de leurs trajectoires.

« Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l’éternité précédente et suivante – memoria hospitis unius diei praetereuntis* – le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraye et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ? ».

À cette angoisse pascalienne la peintre, portant la sagesse antique de ceux qui savaient aussi bien bâtir que philosopher à travers les siècles, répond en montrant, par deux fois, ce geste fondamental par lequel nous marquons les lieux et faisons le monde : la création qui cherche l’ordre, la mesure et la durée. Qu’il soit architecture ou peinture, structure construite ou cadrage cinématographique, chantier en attente ou toile achevée, c’est toujours dans ce même geste que l’on trouve les vestiges de notre finitude et de notre grandeur, les traces de nos passages, l’écho de notre conscience et de notre volonté de durer au-delà de nous-mêmes. Dans les infinis du réel nous construisons, nous habitons, nous créons, en déposant au creux des lieux et des choses la somme de nos courtes durées. Les tableaux de Komili sont ainsi autant de fenêtres elles-mêmes créatrices sur ce qui perdure, sur ce qui se moque de l’abandon de nos regards, sur ce qui pourtant se révèle si l’artiste le ramène, impérieusement, à la toile.
C’est là que se joue, dans le travail du peintre, toute l’œuvre dans l’œuvre : il s’agit de faire jaillir et de montrer cet élan vital qui se niche aux creux des créations humaines, ce qui résiste à la consommation et à l’usure et atteint ainsi, comme le disait Arendt, l’immortalité du monde. C’est pour cela que le pinceau est toujours maîtrisé, exigeant, en nuances mais aussi sans compromis : il invoque ces lieux pour nous faire pénétrer dans leur intimité, pour en révéler les contours, les perspectives et les couleurs imbriquées, et pour finalement faire éclater ce qui se trame et résiste sous la silencieuse et apparente immobilité des objets. Ces lieux oubliés, ignorés, à peine traversés, que Komili ramène à la vie et à notre perception attentive, ne sont pas des choses qui s’usent et qui meurent. Ils sont de ces œuvres qui, au même titre que les tableaux dans lesquels ils se trouvent pris en abîme, échappent au temps et nous ramènent à ce désir universel, celui qui est à l’origine de tout ce que l’homme creuse, construit, taille, crée, peint : durer. Dans la toile, les scansions graphiques et chromatiques des formes font palpiter la présence diffuse et tranquille de cette éternité cachée au sein de l’immanence, de cette permanence sereine et paisible dans laquelle, au bout du cheminement du regard, on peut enfin demeurer. Non pas simplement exister mais s’installer, se reposer et perdurer à travers les êtres, les choses et les lieux que l’on crée, car à leur tour ils poursuivront, déferont et recommenceront de l’œil, de la main et de l’esprit cette demeure humaine que nous partageons. C’est cette demeure que la peintre nous rend présente dans la toile, par-delà nos présences et nos absences. C’est en elle seule que la petite durée de nos vies peut traverser le silence des espaces infinis et éternels, et s’inscrire dans ces lieux que nous habitons, laissons et nous léguons les uns aux autres. Créer pour demeurer, un peu plus, un peu plus longtemps ; s’arrêter un instant, et pouvoir contempler les figures de nos passages, entre deux espaces et deux temps suspendus à ce que nous laissons être.
Blondine Desbiolles
Professeur de philosophie

Komili « Des nuages pour rêver ». 114x146cm. Huile sur toile. 2021
Komili « Des nuages pour rêver ». 114x146cm. Huile sur toile. 2021

Info+

Vernissage « Terrains Libres » le jeudi 6.4 de 18h00 à 21h00

Galerie Valérie Eymeric
33 rue auguste comte,
69002, Lyon


06 95 72 48 74
valerie@lagalerievalerieeymeric.fr

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 10 Février 2023 à 22:28 | Lu 122 fois

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