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Les désastres de la guerre.1800-2014. Exposition du 28 mai au 6 octobre 2014 au Louvres-Lens

Pourquoi préférons-nous la paix à la guerre ? Cette exposition nous invite à le comprendre. Elle montre en quoi les artistes ont contribué au mouvement de désenchantement face à la guerre, qui s’amorce au début du 19e siècle, lors des campagnes napoléoniennes.


Nick UT « Napalm Girl », village de Trang Bang, Vietnam du Sud
Nick UT « Napalm Girl », village de Trang Bang, Vietnam du Sud
Depuis toujours placée au centre des valeurs de la société, la guerre comme épisode inévitable allait de moins en moins faire consensus. Après les campagnes napoléoniennes, en 1819, Benjamin Constant pouvait écrire : « Chez les modernes, une guerre heureuse coûte infailliblement plus qu’elle ne rapporte ».

Alors que l’art était depuis toujours dominé par la bataille héroïque, la guerre fut alors de plus en plus représentée sous toutes ses faces, y compris ses conséquences les plus atroces sur les humains, les animaux, la nature, les villes, les choses.

En 12 séquences, l’exposition pose les jalons majeurs de cette histoire méconnue, à travers une vingtaine de conflits et 450 œuvres, dont près de 200 photographies.

La photographie de guerre en 12 époques

La photographie joue un rôle majeur dans les représentations des désastres de la guerre, à partir de la guerre de Crimée (1853-1856). Inventée en 1826, elle sert tout d’abord aux gouvernements, qui envoient des photographes « couvrir » le champ de bataille en servant leur propagande pour justifier une guerre lointaine, à rebours des alliances habituelles. Armés d’un matériel encore très lourd et contraints par des techniques encore rudimentaires, avec pour consigne de ne représenter ni morts, ni blessés, les photographes privilégient le terrain qui entre ainsi dans le champ de la guerre comme un nouveau protagoniste de la bataille (Fenton), alors que le panorama (Langlois) offre la sensation au spectateur d’entrer dans la guerre. L’exactitude supposée de la photographie lui confère des vertus qui échappent, par nature, aux représentations peintes. Cette exactitude n’alla cependant pas sans subterfuges et mises en scène.

Les premiers morts sont photographiés, non pas comme on a l’habitude de le dire, lors de la guerre américaine de Sécession, mais par le Français Jules Couppier, lors de la guerre d’Italie de 1859, puis par l’Anglais Felice Beato, lors de la seconde guerre de l’Opium, en 1860.
C’est pourtant pendant la guerre de Sécession (1861-1865), que se multiplient les prises de vue des morts et des blessés et où la photographie prend une place cruciale dans la reproduction de guerre. Même si ces images ne peuvent pas encore être publiées autrement qu’en traduction gravée dans la presse, le travail de médiatisation de la guerre par les photographes vient de commencer (Brady) et avec lui, la mise en scène et l’instrumentalisation des cadavres et des choses, au besoin déplacés pour faire « plus vrai » (Gardner, O’Sullivan). Puis, les prises de vue de Barnard et d’autres reporters contemporains montrent l’autre côté de la guerre, non pas seulement les combattants mais les civils et leurs lieux quotidiens ravagés dans les villes et les campagnes ; les ruines des villes sudistes frappent ainsi les esprits.

Alors que la guerre franco-prussienne (1870-1871) fut surtout l’occasion de prendre et de diffuser des images de ruines parisiennes très appréciées du public à travers les albums (Andrieu, Liébert), c’est la Grande Guerre de 1914-1918 qui démocratise l’usage de la photographie sur les champs de bataille. L’inflation d’images est frappante sous la forme de cartes postales, d’affiches, de reportages dans la presse mais aussi de très nombreuses photographies d’anonymes. Les soldats ont souvent des appareils portatifs, prenant surtout des vues de leur vie quotidienne. Les photographes militaires sont nombreux à couvrir les événements, y compris les plus crus même si leurs images ne sont pas toujours diffusées pour des raisons de propagande — il faut éviter la démoralisation tout en attisant la haine de l’ennemi. Certains sortent du cadre de cette propagande pour représenter les conséquences fatales de la guerre (Boudinhon, Sander).

La guerre d’Espagne (1936-1939)
assure un nouveau tournant dans l’histoire des représentations. Les photographes qui partent au cœur du combat deviennent des héros romantiques prêts à risquer leur vie — Taro, la compagne de Capa meurt écrasée par un char — pour témoigner du supplice des populations civiles bombardées par les forces franquistes et de l’héroïsme des combattants républicains — Centelles ou Chim de leurs côtés, donnant aussi leurs clichés à la presse pro-républicaine avide d’images prises sur le vif.

Durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) se multiplient les photographies alors que se posera la question de ce qui est représentable tant la violence est extrême, s’agissant de la shoah, en particulier. Ce sont pourtant la photographie et les films qui permettent d’authentifier la barbarie nazie (Baltermants, Blumenfeld, Bourke-White, Hains, Heartfield, Miller, Rodger) quand ces images ne sont pas prises par les bourreaux eux-mêmes. Quant aux bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, en août 1945, les photographies des Japonais puis des Américains sont soumises à la censure ; elles furent instrumentalisées ensuite par la propagande américaine pour montrer la force des Alliés, comme cette image de Gonichi Kimura d’une femme marquée dans sa chair.

La guerre d’Indochine (1946-1954) et la guerre d’Algérie (1954-1962) sont largement couvertes par les photographes de l’armée française. Leurs images servent de source d’inspiration durable aux artistes, s’élevant parfois au rang d’icônes au même titre que certains chefs-d’œuvre. Ainsi, cette image d’anonyme, prise au Port de Bou Zadjar le 14 mai 1956, d’un adolescent gisant dans le sang, replié sur lui-même — non signée, elle vient du fonds des archives militaires de l’ECPAD. Pour la guerre d’Algérie, les images de torture sont largement censurées.

La guerre du Vietnam (1954-1975) marque un nouveau tournant, dans un contexte occidental de sit-ins et de manifestations anti-guerre. En 1972, la photographie de Nick Ut (qui obtiendra le prix Pulitzer, un an plus tard) est diffusée à grande échelle dans le monde entier et joue un rôle crucial dans la décision américaine de se retirer. L’enfant nue qui fuit terrorisée sous les bombardements américains au napalm traumatise l’opinion publique internationale. Plus généralement, les photographes n’hésitent pas à montrer la mort (Caron), réagissant aux 7 millions de bombes lâchées par l’armée américaine (Griffiths) et aux exécutions (Adams).

Dans les guerres de notre temps (1967-2014), le rôle des photographes s’accroit toujours davantage mais la frontière entre photo de presse et œuvre d’art s’efface toujours plus (Caron, Peress), quand elle ne sert pas aux collages. Les images de l’horreur envahissent toujours plus l’espace domestique (Bourcart, Dashti). La photographie de guerre reprend parfois le format de la peinture d’histoire où posent les protagonistes comme chez Luc Delahaye en Syrie, récemment. Mais le phénomène nouveau nait de la profusion d’images qui circulent sur internet (dont les insupportables scènes de torture à la prison d’Abou Ghraib).
Les questions de l’instrumentalisation des images, au cœur de la reproduction photographique des désastres de la guerre prennent ainsi une dimension exponentielle dont le contrôle échappe aux censeurs comme aux spectateurs.

Pratique

Exposition du 28 mai au 6 octobre 2014.
Tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h. Nocturne jusque 22h les vendredis 6 juin, 5 septembre et 3 octobre.
Tarif plein : 9 €.
Gratuit pour les moins de 18 ans.
Livret de visite et guide multimédia gratuits.

Musée du Louvre-Lens
99 rue Paul Bert
62300 Lens (France)
T : +33 (0)3 21 18 62 62
www.louvrelens.fr

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 28 Mars 2014 à 12:39 | Lu 384 fois

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