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Interview : Marc Levy, des œuvres miroir pour un romancier magistral, par Danielle Dufour Verna

« Chaque être humain contient en lui la plus grande bibliothèque du monde. »


Marc Levy @ Christian Geisselmann.jpeg
Marc Levy @ Christian Geisselmann.jpeg
« Le bonheur c’est les autres », répond Marc Levy à ma question. L’homme est tout entier dans cette affirmation, mais si une phrase seulement devait résumer Marc Lévy et son œuvre, se serait celle-ci : « chaque être humain contient en lui la plus grande bibliothèque du monde, ne serait-ce que l’histoire de sa propre vie, de ses émotions. » Marc Levy aime la différence, la diversité, c’est en elles qu’il puisse ses inspirations. En un mot, Marc Levy aime les hommes qui composent, chacun avec leurs vies propres, cette humanité qui nous est donnée. Aurais-je rencontré un sage ? En l’écoutant, je me suis surprise à penser à l’arbre à palabre. Si mon métier ne m’obligeait pas à poser des questions, nous serions restés là, je pense, à écouter longuement ses réflexions, à les commenter, à goûter à l’instant. Réfléchir, scruter, rechercher, analyser, comprendre, prendre le temps, Marc Lévy possède à fond son métier d’écrivain et il le sert avec passion. Mais, peut-être Marc Lévy, par ses écrits, par ses quêtes identitaires, non seulement veut il s’ouvrir aux autres mais a t’il aussi, simplement, l’envie d’exister ?

Talent et succès
À 18 ans, Marc Levy s’engage dans la Croix Rouge et il y passe 6 ans. Puis, après avoir créé une société spécialisée dans les images de synthèses en France et aux États-Unis, il dirige un cabinet d'architecture. 
À 37 ans, il écrit une histoire à l'homme que deviendra son fils Louis. Et si c'était vrai, publié en 2000 aux Éditions Robert Laffont, connaît un succès immédiat. Peu avant la sortie du roman, Steven Spielberg (DreamWorks) en acquiert les droits d'adaptation cinématographique : Just Like Heaven, avec Reese Whitherspoon et Mark Ruffalo, s'est classé premier du box-office américain à sa sortie en 2005.
Depuis Et si c'était vrai  Marc Levy a écrit 22 romans, qui figurent dès leur parution en tête des ventes annuelles en France et connaissent un succès international. 
Son nouveau roman, "NOA", a été publié en France le 17 mai 2022.
Traduits en 50 langues, ses 22 romans ont été publiés à plus de 50 millions d'exemplaires faisant de Marc Levy l'auteur français le plus lu dans le monde.
En 2021, Marc Levy co-écrit avec Sylvain Runberg une bande dessiné "L’Agence des invisibles", illustrée par Espé. Il a également adapté son best-seller "Le Voleur d'ombres" avec l'illustrateur Fred Bernard (triple Goncourt Jeunesse).
L’adaptation en série de son roman "Toutes ces choses qu'on ne s'est pas dites" (Canal Plus/StarzPlay), avec Jean Reno dans le rôle principal et réalisé par Miguel Courtois, sera diffusée en 2022.
Par ailleurs, d’autres de ses romans sont actuellement en cours d'adaptation audiovisuelle (cinéma et séries) : "Elle & Lui" (PS From Paris), "Le Voleur d'ombres", "Replay" (Si c'était à refaire), ainsi que la série 9 coécrite avec Costa Gavras.
À l’étranger, ses romans sont régulièrement classés en tête des listes de best-sellers internationales, et dans certains pays comme la Chine, ils sont de véritables phénomènes d'édition.
 Marc Levy a réalisé un court métrage, La lettre de Nabila, pour Amnesty International,  et a  écrit des chansons pour différents artistes, dont Johnny Hallyday. 

En dédicaces pour « Noa », avec l’association « Parlez-moi d’un livre » présidée par Laurence Guglielmo
Le porte-drapeau de la littérature française vit à New-York, attiré par la diversité de sa population. Son œuvre marque notre génération et ses livres se vendent par millions. Fin politologue, fin pédagogue, écrivain éminent et talentueux, connu et reconnu internationalement, nous avons rencontré le souriant et décontracté Marc Lévy lors d’une séance de dédicaces à l’occasion de la sortie de son dernier roman « Noa », à la librairie Prado-Paradis à Marseille, invité par l’association ‘Parlez-moi d’un livre’, dont le but est la promotion du livre pour la connaissance, l'éducation, l'insertion et la réflexion. Nous avons pu discuter avec lui à bâtons rompus.

Interview

Danielle Dufour Verna – Vous avez dit ‘l’adage qui dit que l’histoire ne se répète pas est faux’
Marc Levy –ça ne veut pas dire que l’histoire se répète forcément mais l’histoire peut se répéter. D’ailleurs dans l’histoire de l’humanité, les grandes tragédies sont répétées plusieurs fois parce que si vous mettez les mêmes ingrédients et que vous reproduisez les mêmes circonstances, vous avez généralement les mêmes effets.
DDV –Je voulais justement parler de votre homophonie au niveau de votre nom propre Levy, que vous partagez avec Primo levi.
Marc Levy –Moi je suis secundo (rires)
DDV –Vous qui êtes sensible aux questions de société et d’histoire, avez-vous pensé à cette homophonie ?
Marc Levy –Non, je suis trop humble pour cela ! Plutôt, j’aime trop l’humilité pour avoir pensé une seule seconde à cette homophonie. Mais, puisque votre première question était sur la répétition de l’histoire, le partage culturel et familial des mêmes drames de l’histoire a pour effet de créer, je pense, chez l’être humain, des centres de préoccupation, de vigilance et d’attention communs. Si, dans votre famille ou dans votre vie, vous avez été victime ou témoin de la discrimination, de la haine, du rejet, de la détestation ou de la persécution, vous êtes par définition beaucoup plus sensible, beaucoup plus vigilant et beaucoup plus attentif aux premiers signes qui se manifestent dans la société et qui auront pour effet de reproduire, qui auront les mêmes conséquences.
DDV –C’est le cas aujourd’hui ?
Marc Levy – En ce moment, oui, vous voyez bien que la polarisation de la société, la montée des extrêmes, la culture de la détestation de l’autre qui s’est développée notamment sur les réseaux sociaux, la surenchère des chaines d’information continue, a pour effet de provoquer des disfonctionnements dans la démocratie qui sont plus profonds. Quand vous avez une élection où il y a plus de 50 pour cent de la population qui ne va pas voter, vous voyez bien qu’il y a une dégradation de la compréhension par les gens de ce qu’est une démocratie et de l’extraordinaire privilège que celui d’avoir le droit de voter.
DDV – Vous avez anticipé ma question qui était « Vous qui vivez à New-York, quel regard avez-vous sur la France d’aujourd’hui… »
Marc Levy –La France est un pays remarquablement accompli et extrêmement privilégié dans bien des domaines. Par exemple, il n’y a pas de sécurité sociale aux Etats-Unis. Les Etats-Unis d’Amérique sont un des pays du monde où un problème de santé peut vous conduire à perdre tous vos acquits et même à vous mettre à la rue parce que vous ne pouvez pas payer pour vos problèmes de santé. Vous avez aux Etats-Unis des gens qui sont atteints de maladie et qui n’ont pas les moyens économiques de se soigner.
DDV – N’avez-vous pas la crainte justement que le modèle américain finisse par s’imposer en France avec la montée en force du RN ?
Marc Levy –Non, cela fait partie des contradictions françaises. De toute façon, une fois qu’on a voté pour un candidat, on le déteste. Donc, plus le Rassemblement National montera dans les sondages, plus il sera en charge de responsabilité, plus il sera détesté par les gens qui l’ont mis au pouvoir.
DDV –Vous êtes donc assez optimiste ?
Marc Levy –Je ne suis pas optimiste mais je pense qu’il y a une culture de la démocratie en France qui n’existe pas aux Etats-Unis et qui est dans notre ADN. Donc même si la France connait par moments des périodes de turbulence –je me souviens quand-même de la première élection de Chirac qui était opposé au père de Marine Le Pen- il y a quand-même un sens républicain en France qui, je crois, est très ancré dans la population. Donc la marge de manœuvre des autocrates est assez limitée. Même une fois qu’ils sont au pouvoir, elle reste assez limitée.
DDV –Vous vivez à New-York. Est-ce une ville qui vous inspire, ou est-ce que ce sont les gens, leur mode de vie qui vous inspire ?
Marc Levy – Ce qui m’inspire à New-York c’est que j’ai toujours été attiré par la diversité, c’est ce qui me fascine le plus, c’est ce qui m’intéresse le plus, comprendre la différence. C’est une source d’enrichissement, de vie formidable, de comprendre la diversité. Quand on écrit, on aime lire et chaque être humain contient en lui la plus grande bibliothèque du monde, ne serait-ce que l’histoire de sa propre vie, de ses émotions. Donc il y a autant de parcours de vies qu’il y a d’êtres humains. Si on arrive à briser la carapace et à s’intéresser à la différence et aux émotions de l’autre, à faire tomber la colère, le jugement. Alors votre propre vie se nourrit de façon considérable. New-York est une ville assez particulière où vous avez 330 communautés différentes qui cohabitent sur un bout d’île, donc c’est un laboratoire extraordinaire. Il suffit de se promener dans la rue et de regarder.
DDV –Vous abordez tous les sujets dans vos livres : amour, politique, démocratie, société etc. Y-a-t-il un sujet plus qu’un autre qui vous tienne à cœur ?
Marc Levy – La quête identitaire parce que je pense que c’est un des grands enjeux de l’existence. Dans le parcours d’une vie, la quête identitaire, c’est ce dont on parle le moins mais c’est finalement ce qui est au cœur de nos vies. Et cette quête identitaire est en mouvement parce que notre identité évolue à la fois sous le prisme de l’âge mais elle évolue aussi sous l’impact du vécu. Et l’impact du vécu va affecter notre perception identitaire. Vous avez une perception identitaire chez beaucoup de gens qui est prisonnière du milieu social, religieux ou culturel et il y a beaucoup de difficulté à exister, à résoudre cette question identitaire. Il y a même d’ailleurs un grand nombre de sociétés où cette question est un interdit parce que vous n’avez pas le droit de sortir de votre condition religieuse qui prime.
DDV – C’est d’une contemporanéité incroyable votre raisonnement sur les religions, mais cette quête identitaire s’affirme de plus en plus par ailleurs…
Marc Levy –Elle s’affirme de plus en plus dans les sociétés libérales et de plus en plus combattue dans les sociétés autocratiques. Ce n’est pas pour rien, par exemple, qu’en Afghanistan, la condition de la femme qui était enseignante, commerçante, est ramenée sous une burqa. Interdire à la femme, ce n’est pas seulement la peur des hommes de leur propre sexualité, c’est lié à la condition d’annihiler la condition identitaire de chaque individu parce que c’est le moyen de régner et d’installer une autocratie.
DDV –Et à cette quête identitaire, on finit par y accéder ?
Marc Levy – Comme toutes les quêtes identitaires, elles se vivent, elles se déploient. Et plus on avance dans la vie et plus elle se déploie et moins elle se résume. C’est d’ailleurs pour cela que cette recherche d’identité n’est jamais accomplie. Je ne suis pas sûr qu’on meure en ayant trouvé, je ne sais même pas d’ailleurs s’il faut avoir trouvé. Mais ce qui est important et ce qui vous fait vivre et ce qui vous empêche de vieillir et de continuer à chercher. Ce n’est pas une question du quant à soi, ce n’est pas une recherche égotique. En ayant conscience de cette quête identitaire, on s’empêche de s’enfermer dans un milieu qu’on a parfois créé soi-même, mais surtout, on est nécessairement ouvert aux autres. Il y a un effet miroir, un effet de prisme, le principe de ce qu’on est en train de faire, la conversation. En m’interrogeant sur la question identitaire et en vous répondant, je vous oblige à vous poser des questions sur votre propre identité. Il est possible qu’à la fin de cette interview vous rentriez chez vous et que ça vous fasse vous poser des questions, pas parce que je suis un oracle, mais simplement parce que c’est ça le principe d’une conversation par rapport à un monologue.
DDV – c’est un peu votre but en tant qu’écrivain, ou est-ce le plaisir d’écrire, de la recherche ?
Marc Levy –Non, c’est juste la conscience d’être en vie et la chance de l’être, de pouvoir vivre ma vie, pas la regarder.
DDV –Un besoin d’écrire ?
Marc Levy –Comment vous dire, il y a une forme de mystification exagérée. J’ai entendu un certain nombre de mes confrères dire ‘moi j’ai besoin d’écrire’. En fait je crois qu’ils n’arrivent pas à dire ce qu’ils cherchent vraiment à dire. Quand ils disent j’ai besoin d’écrire, ils veulent dire ‘j’ai besoin de communiquer’ et le seul moyen que j’aie trouvé, c’est d’écrire parce qu’à l’oral, je ne sais pas le faire. On écrit sur le papier ce qu’on n’arrive pas finalement à dire à haute voix. Le musicien joue, pas parce qu’il a besoin de jouer Bach ou Mozart, parce qu’à chaque fois qu’il joue Bach ou Mozart, et à chaque interprétation, il exprime quelque chose qui est ancrée en lui et il la communique à l’auditoire qui vient l’écouter.
DDV – Vos détracteurs disent de vous que votre écriture est facile, vos écrits fades, voire plats, jugement que je ne partage pas. Y aurait-il deux clefs pour ouvrir le chemin qui mène à vos livres et que pourrait-on répondre à ces détracteurs ?
« Comment tu savais que le cheval il était dedans ? »
Marc Levy -Je vais répondre à votre question en vous racontant un petit dessin de six vignettes que j’avais trouvé merveilleux. Sur la première vignette, on est sur la place d’un petit village en Provence, il y a une grue qui dépose un bloc de marbre au milieu de la place. Dans la deuxième image, il y a un petit monsieur qui arrive avec son strapontin et il a un marteau et un burin à la main et il y a un petit garçon qui le regarde alors qu’il donne les premiers coups de marteau. Dans la troisième image, il y a un bus scolaire qui vient chercher le petit garçon, ce sont des bus pour partir en colonie de vacances. La quatrième image, le bus scolaire revient, c’est la fin des vacances et sur la place du village, il y a le petit monsieur sur son strapontin et il y a la statue d’un cheval et, avec une lime, il est en train de poncer le sabot du cheval. Le petit garçon s’approche de lui et lui dit, au monsieur : « Comment tu savais que le cheval il était dedans ? ». Vous voyez, ça, c’est mon métier. Tout le monde n’est pas obligé d’aimer le cheval, mais c’est beaucoup de travail. Celui qui est parti en vacances ne sait pas, il arrive au moment où la sculpture parait d’une simplicité incroyable, tellement simple qu’elle en est facile, ce n’est pas si facile que cela.
DDV –Marc Levy, quelle est votre conception du bonheur ?
Marc Levy – ah ! Très simple question (rires) !! Le bonheur, c’est les autres. C’est vraiment les autres. Quand je dis c’est les autres, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bonheur personnel. De toute façon le bonheur ne prend sa perspective que quand il est en interaction avec les autres. D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, compte tenu de combien il est difficile d’être parent, plus personne n’aurait d’enfant.
DDV –Mais ne fait-on pas des enfants pour soi-même ?
Marc Levy –Non, je crois qu’on les fait pour eux. On a ça dans notre cerveau parce qu’on est quand même prévenus par les grands-parents. Et on a été soi-même tellement critiques avec les parents qu’on sait à quoi on s’attend. Donc on les fait pour eux mais à la seconde où vous avez des enfants, vous ne vivez plus pour vous, vous vivez pour eux. Le bonheur n’est pas un état constant. On n’est pas tout le temps conscient de son bonheur. Il y a un travail pour se rappeler les bonheurs et il y a des moments de la vie où on est très malheureux. On parlait de la quête identitaire, le bonheur, c’est aussi un quête.
DDV –Quels sont les écrivains qui vous ont donné du bonheur ?
Marc Levy –Romain Gary, Steinbeck, Prévert et d’autres. Zola, Camus, Hugo, font partie de mon sérail littéraire, mais je dirais que Gary a représenté beaucoup pour moi.
DDV – Ceux-là vous ont accompagné quand vous étiez jeune, vous ont inspiré ?
Marc Levy – Même moins jeune. Gary, toujours. Gary a provoqué chez moi des émotions assez rares. Les personnages de Gary me donnaient envie d’être, envie d’aimer, envie de vivre, envie de respirer à pleins poumons, envie de ne pas m’attarder trop longtemps à mes problèmes. Gary a été un guide, ça l’est toujours d’ailleurs. J’ai des grands moments de doute existentiel et je me dis, pourquoi je fais ce métier. Je vais rouvrir un bouquin de Gary, je lis deux pages et je me dis ‘tiens, c’est pour rêver un jour à en écrire une comme ça’. Il y a chez Gary cet amour de l’autre qui est extraordinaire.
Danielle Dufour Verna










Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mercredi 27 Juillet 2022 à 14:29 | Lu 332 fois

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