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« Cœur de chien », de Raskatov, Opéra de Lyon, du 20 au 30 janvier 2014

Lors de sa création, Cœur de chien a d'emblée été un succès.
Il faut dire que la nouvelle de Boulgakov, dont le livret s'inspire et qui a été écrite en 1925, a matière à laisser libre cours à l'imagination débordante du metteur en scène Simon McBurney. Satire politique grinçante du régime soviétique et de la science, elle est étonnamment moderne et d'une densité thématique incroyable.


Dogs heart © De Nederlandse Opera. Monika Rittershaus
Dogs heart © De Nederlandse Opera. Monika Rittershaus
Pour ceux qui croyaient que l’usage de la projection vidéo dans les mises en scène avait atteint ses limites et anticipaient un éventuel retour à la simplicité, la production de Coeur de chien signée Simon McBurney balaie les préjugés. Elle frappe notamment par l’expression de tout le potentiel que ce media peut offrir à son public, du moment que la prédominance des chanteurs-comédiens est assurée. Si l’on doit à Simon McBurney la richesse théâtrale structurée et les fantaisies nerveuses du style Complicite, cet opéra n’aurait pu se faire sans l’approche polystylistique d’Alexander Raskatov de la nouvelle prophétique et déroutante de Mikhaïl Boulgakov. Alexander Raskatov a déclaré qu’il est « incapable de suivre une seule direction… l’opéra est probablement le seul genre où un compositeur est entièrement libre du choix de ses moyens stylistiques ». L’hommage qu’il rend à un autre maître, Alfred Schnittke, comprend de nombreuses références telles que Bach, Wagner, les chants pour les masses populaires soviétiques, la musique liturgique russe et ce que Schnittke appelait les « pseudo-citations ». Les projections vidéos de Finn Ross reflètent brillamment ce concept dès les premières secondes, en commençant par une tempête de neige à dimensions multiples avant de faire place aux bannières d’agitprop, aux scènes de foule d’archives, à une conférence de médecins, aux rayons X d’un crâne et à une approche artistique de séquences datées d’Edward Muybridge de courses de chiens et d’hommes.
La nouvelle fantastique de Boulgakov, qui raconte la tentative d’un médecin de métamorphoser un chien à la façon Frankenstein, reste toujours au coeur de l’opéra. Le décor conçu par Michael Levine et Luis Carvalho nous rappelle sans cesse ce grand appartement dépouillé où le professeur Preobrajenski, praticien suffisant, glisse doucement vers la folie, sous la présence d’un lustre aussi magnifique qu’inquiétant. Cependant, nous éprouvons plus de compassion pour l’objet de ses expériences. Au tout début, c’est un bâtard squelettique, savamment dirigé par Mark Down et ses compagnons marionnettistes du Blind Summit Theatre
À cet égard, les marionnettes sont devenues, au même titre que la conception vidéo, un élément omniprésent du théâtre britannique ; mais cet art, lorsqu’il est aussi habilement maîtrisé qu’ici, a le pouvoir de faire vivre le personnage. Ce chien, prénommé Charik, nous charme et nous trouble sans aucun doute en roulant ses yeux noirs d’un air suppliant, en se préparant à l’attaque ou en se laissant aller à des gratouilles sur le ventre tel un véritable chien à moitié sauvage. McBurney a déclaré que l’idée de lâcher 250 chiens pour l’épilogue choral du chaos canin lui avait traversé l’esprit à un moment donné. Mais ceci était pour le moins impossible. En revanche, les marionnettes chats traquées par l’incarnation semi-humaine de Charik lui volent presque la vedette. Boulgakov, créateur de ce félin inoubliable dans Le Maître et Marguerite ainsi que de ce matou qui déchire le rideau dans le roman théâtral intitulé La Neige Noire, en aurait sans doute rit lui aussi.
La virtuosité atteint son apogée avec les résultats gênants des opérations symétriques du professeur Preobrajenski sur un chien et un chien-homme. Tout d’abord, cette silhouette fascinante et la musique qui souligne une tension croissante. Puis, les flots de sang qui ruissellent de la scène, accompagnés d’un débordement alarmant lorsque l’homme-chien reste coincé dans la salle de bain avec un chat persécuté.
Enfin, Simon McBurney, tout comme Alexander Raskatov, sait quand il doit garder son calme et son sérieux. Une fois habitués à ses mouvements de chien étranges et à son apparence bizarre, nous éprouvons de la sympathie pour Poligraph Poligrapovitch Charikov, une création qui obéit à ce que ses gênes humains et canins lui ordonnent de faire. Lorsque la musique effervescente se termine sur une basse obstinée puis un rythme répétitif et mélancolique, les conséquences de cette opération tendent vers le tragique. Comme dans toutes les plus grandes satires et nouvelles russes, les rires meurent sur nos lèvres. C’est ce qui fait le génie de Boulgakov. Ici, la musique et la production rendent pleinement justice au Coeur de chien original, en déployant un spécimen parfait de théâtre total.
David Nice

Alexander Raskatov Composition

Né le 9 mars 1953, Alexander Raskatov étudie la composition au Conservatoire de Moscou dans la classe d’Albert Leman jusqu’en 1978. Au début des années 1990, il quitte la Russie pour l’Allemagne. En 2004, il rejoint la France, où il s’installe en région parisienne en tant que compositeur indépendant.

En 1990, il est compositeur en résidence à l’Université de Stetson (USA ) puis à Lockenhaus (Autriche) en 1998. Il reçoit de nombreuses distinctions, comme le prix de composition du Festival de Pâques de Salzbourg en 1998, ainsi que d’importantes commandes d’oeuvres, notamment du Théâtre Mariinsky, du Stuttgarter Kammerorchester, du Sinfonieorchester Basel, du Dallas Symphony Orchestra, du London Philharmonic Orchestra, de l’Ensemble Hilliard et de l’Ensemble Asko-Schoenberg.
Son travail se caractérise par des influences de Stravinsky et de Webern, notamment à travers un développement subtil des sonorités et un traitement rigoureux de l’écriture. Ses nombreuses oeuvres vocales sont inspirées de textes de poètes russes tels que Blok, Bratynski, Chlebnikov ou Brodsky.
Alexander Raskatov est également très attentif à l’esthétique des Futuristes russes des années 1920, comme Mossolov et Roslavetz. Irina Schnittke lui a confié la restauration de la 9e Symphonie écrite par son mari, décédé en 1998.
Alexander Raskatov s’intéresse à la musique de chambre instrumentale et vocale et aux sonorités symphoniques. Son premier opéra, A Dog’s heart est une commande du Nederlandse Opera d’Amsterdam (saison 2008-2009). Un second opéra, Le Puits et la Pendule, d’après Edgar Allan Poe, est en cours d’écriture.

Informations pratiques

Orchestre de l’Opéra de Lyon
Ensemble vocal “Il canto di orfeo“
Direction musicale Martyn Brabbins
Mise en scène Simon McBurney
du 20 au 30 janvier 2014
lu 20, me 22, ve 24 à 20h - di 26 à 16h
me 29, je 30 à 20h
Tarifs de 10 à 78 € - durée : 3h10 environ


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Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 6 Décembre 2013 à 12:43 | Lu 410 fois

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