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Bâle, Fondation Beyeler : Balthus, du 2 septembre 2018 au 1er janvier 2019

Avec l’exposition Balthus, la Fondation Beyeler présente l’un des derniers grands maîtres de l’art du 20e siècle, également l’un des artistes les plus singuliers et les plus controversés de l’art moderne.


Balthus, La Partie de cartes, 1948 – 1950. Huile sur toile, 139.7 x 193.7 cm. Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid © Balthus
Balthus, La Partie de cartes, 1948 – 1950. Huile sur toile, 139.7 x 193.7 cm. Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid © Balthus

Cette présentation d’envergure, dont la planification a débuté en milieu d’année 2016, prend pour point de départ l’œuvre majeure Passage du Commerce-Saint-André (1952–1954), qui se trouve à la Fondation Beyeler depuis de nombreuses années en tant que prêt permanent d’une importante collection privée suisse.

Dans son travail aux facettes et aux lectures multiples, vénéré par certains et rejeté par d’autres, Balthus, de son vrai nom Balthasar Klossowski de Rola (1908–2001), trace une voie artistique alternative, voire opposée aux courants des avant-gardes modernes et des représentations que l’on peut s’en faire. Dans cette voie solitaire, le peintre excentrique se réfère à un large éventail de prédécesseurs et de traditions artistiques allant de Piero della Francesca à Poussin, Füssli, Courbet et Cézanne. Mais un examen plus attentif révèle aussi les impulsions de certains courants artistiques modernes, notamment la Nouvelle Objectivité ou le Surréalisme, qui offrent un contexte aux stratégies parfois provocatrices de mise en scène picturale de Balthus et aux dimensions abyssales et insondables de son art. Sa distanciation fondamentale du modernisme, démarche que l’on peut presque qualifier de postmoderne, mène pourtant Balthus à développer une forme toute personnelle d’avant-garde, qui apparaît d’autant plus pertinente aujourd’hui. Balthus s’affirme en effet comme l’artiste de la contradiction et du trouble, dont les œuvres à la fois sereines et fébriles font se rencontrer des contraires qui mêlent de manière unique la réalité et le rêve, l’érotisme et la candeur, l’objectivité et le mystère, le familier et l’étrange. Dans ce jeu de contrastes, Balthus combine des motifs de la tradition artistique à des éléments empruntés aux illustrations populaires de livres pour enfants du 19ème siècle. Ses tableaux sont empreints d’ironie tant implicite qu’explicite, réfléchissant et s’interrogeant par là sur les possibilités et les impossibilités figuratives et esthétiques de l’art du 20ème siècle et au-delà. Les paradoxes s’étendent aussi à la personne de Balthus, qui dans un geste de modestie tenait à être considéré comme un « artisan » tout en adoptant la posture et le statut de l’aristocrate intellectuel cultivant des liens étroits avec de grands philosophes, écrivains, gens de théâtre et cinéastes de son temps. Sa longue vie, qui a coïncidé avec la quasi-totalité du 20ème siècle, a ainsi oscillé constamment entre ascèse et mondanité.

L’artiste entretenait des liens étroits avec la Suisse. Il a passé son enfance à Berne, Genève et Beatenberg, épousé la Bernoise Antoinette de Watteville et vécu avec elle en Suisse romande et alémanique. Les dernières décennies de sa vie ont eu pour cadre l’imposant Grand Chalet à Rossinière. Depuis les années 1930, une profonde amitié le liait par ailleurs à Alberto Giacometti, artiste pour lequel Balthus avait la plus haute estime.

L’exposition rétrospective de la Fondation Beyeler est la première qu’un musée suisse consacre à Balthus depuis dix ans. C’est aussi la première présentation d’envergure de son travail en Suisse alémanique.
L’exposition réunit 40 tableaux clé de toutes les phases de sa carrière, des années 1920 aux années 1990. À travers cette sélection, c’est pour ainsi dire la quintessence de l’œuvre de Balthus que découvrira le visiteur, fruit d’une carrière très longue qui n’aura pourtant produit que quelque 350 travaux.

Parmi les temps forts de l’exposition figurent entre autres des toiles telles La Rue (1933), scène de rue parisienne avec des figures mystérieuses paraissant comme figées dans leurs poses sur une scène de théâtre. Cette suspension qui frappe les actions des personnages dans les œuvres de Balthus est aussi apparente dans Les Enfants Blanchard (1937), acquis en 1941 par Pablo Picasso, avec lequel Balthus entretenait une relation amicale. La Jupe blanche (1937) est probablement le plus beau portrait réalisé par

Balthus de sa première épouse Antoinette de Watteville. Le Roi des chats (1935) est un rare autoportrait dans lequel Balthus, alors âgé de 27 ans, se figure avec un maintien assuré sous les traits d’un dandy élégant accompagné d’un chat. Les chats jouent un rôle important dans la vie et dans l’œuvre de Balthus: ils apparaissent régulièrement dans ses tableaux, souvent en tant qu’alter ego de l’artiste. Avec La Partie de cartes (1948–1950), toile rarement prêtée, l’exposition présente une œuvre à la tension ensorcelante. Le portrait Thérèse rêvant (1938), qui a récemment fait l’objet d’une attention internationale, fait également partie de l’exposition. C’est l’un des exemples les plus précoces et célèbres des représentations caractéristiques de Balthus de jeunes filles au seuil de l’âge adulte, qui recèlent une tension difficile à cerner entre insouciance enfantine et érotisme séducteur. Le monumental Passage du Commerce-Saint- André (1952–1954) condense de manière particulièrement forte le souci intense du peintre de rendre visibles les dimensions de l’espace et du temps et de révéler leur rapport avec les figures et les objets – aspects fondamentaux de son art.

Présentées dans le cadre de la Fondation Beyeler, les œuvres de Balthus apparaissent comme les représentantes d’un modernisme qu’on pourrait dire « autre » tant elles opèrent en véritable contrepoint à la notion de modernisme qui a guidé Ernst et Hildy Beyeler dans leur activité de collectionneurs. Elles élargissent et complètent ainsi d’une certaine façon la vision de l’art moderne que propose notre musée. Bien que Balthus ne soit pas représenté dans la collection du couple Beyeler, plusieurs œuvres importantes de l’artiste ont été vendues ou entremises par leur galerie, dont la scandaleuse et légendaire Leçon de guitare (1934), Jeune fille à la fenêtre (1957) et la version des Trois Sœurs peinte en 1964.

Exposer Balthus est un défi particulier pour un musée. Aujourd’hui encore, l’artiste est fréquemment associé à ses représentations de jeunes filles et de jeunes femmes qui continuent à provoquer parfois un certain malaise chez les spectateurs et à susciter des débats sur les limites de la représentation artistique. En novembre 2017, l’importante toile Thérèse rêvant (1938) a provoqué un scandale public au Metropolitan Museum of Art de New York lorsqu’une pétition lancée en ligne a exigé son décrochage ou sa recontextualisation en raison des connotations érotiques de l’image. Malgré l’écho important rencontré par la pétition, le Metropolitan Museum a décidé de laisser en place l’œuvre contestée. En pleine controverse, le tableau nous parvient donc aujourd’hui sous de nouveaux auspices en tant que symbole d’un débat culturel ravivé.

La présente rétrospective Balthus doit elle aussi être l’occasion d’un débat et d’une réflexion sur les possibilités et les fonctions de l’art. L’art est tout particulièrement porteur d’ambiguïté et de perspectives multiples sur le monde. Par-delà le bon et le beau, cela inclut également les aspects insondables, déroutants, déplaisants ou provocateurs de l’imaginaire et de la condition humaine dans sa vérité. Cette complexité et cette richesse qui sont non seulement celles de l’art mais celles du monde en général, c’est précisément aux musées qu’il incombe de les explorer et d’en être les médiateurs critiques, afin d’inciter le spectateur à l’exercice de la pensée et du questionnement. Dans ses multiples facettes, l’œuvre de Balthus apporte une contribution importante à cette dimension réflexive essentielle de l’art en tant que forme d’expression libre.

L’exposition est accompagnée d’un important programme de médiation artistique qui inclut entre autres une table ronde réunissant des intervenants de haut niveau et des visites guidées spéciales le dimanche suivies de discussions. Un mur de commentaires dans le musée présentera les voix de défenseurs et de détracteurs de Balthus et permettra aussi aux visiteurs d’y exprimer leur opinion. Dans les salles d’exposition, des médiateurs artistiques se tiendront à la disposition du public pour dialoguer.

Pour réaliser cette grande rétrospective, la Fondation Beyeler a pu s’assurer un grand nombre de prêts inestimables de musées au rayonnement international dont le Metropolitan Museum of Art et le Museum of Modern Art à New York, le Centre Pompidou à Paris, le Hirshhorn Museum à Washington et la Tate à Londres. De nombreuses œuvres majeures en provenance de collections privées européennes, américaines et asiatiques, auxquelles le public n’a normalement pas ou peu accès, feront pour certaines

leur première apparition en public. L’exposition est placée sous le commissariat de Dr Raphaël Bouvier, conservateur, et Michiko Kono, conservatrice adjointe.

Le catalogue de l’exposition, publié par Hatje Cantz, propose des textes instructifs des historiens de l’art Olivier Berggruen, Yves Guignard et Juan Ángel López-Manzanares portant sur la vie et l’œuvre de l’artiste. À noter également, un texte personnel du cinéaste et photographe Wim Wenders, qu’une amitié étroite liait à Balthus et à sa famille. Beate Söntgen, professeure d’histoire de l’art, consacre un article aux représentations de jeunes filles de Balthus. C’est également sur ce sujet largement débattu que se penche le texte de Michiko Kono, qui traite des figures féminines dans les œuvres de Balthus. Raphaël Bouvier discute dans son article des divers aspects de la dimension temporelle qui s’ouvrent dans la conception artistique de Balthus et auxquels il donne forme dans l’ensemble de son œuvre.

La rétrospective Balthus est réalisée en coopération avec le Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid, l’un des plus prestigieux musées d’Espagne. L’exposition y sera montrée sous forme légèrement différente en début d’année prochaine.

Biographie

29 février 1908
Balthus (Balthasar Klossowski de son vrai nom) naît à Paris. Il est le second fils d’Erich et Else (ou Elsa) Klossowski, née Spiro. Ses parents, un historien de l’art germano-polonais et une artiste juive allemande, font grandir leurs deux garçons dans un environnement empreint d’art et de culture. Pierre Klossowski, le frère de Balthus, de trois ans son aîné, deviendra un écrivain et artiste célèbre.

1914 Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la famille Klossowski doit quitter Paris à cause de sa nationalité allemande et part pour Berlin.

1916 Balthus s’établit en Suisse avec sa mère et son frère, d’abord à Berne, puis à Genève, où il entre au collège.

1920 Else, qui se fait désormais appeler Baladine, devient la muse et la maîtresse du poète Rainer Maria Rilke, qui reconnaît et encourage le talent artistique précoce de Balthus.

1921 Publication de l’album Mitsou, quarante images par Baltusz, avec une préface de Rilke.

1924 La famille rentre à Paris. Au Louvre, Balthus copie des toiles de Poussin et se prend bientôt d’enthousiasme pour les vieux maîtres.

1926 Pendant un séjour en Toscane, Balthus copie des oeuvres de Piero della Francesca et de Masaccio, dont l’influence se fera souvent sentir par la suite dans ses tableaux.

1930 Balthus tombe amoureux de la petite soeur d’un de ses amis de jeunesse, la Bernoise Antoinette de Watteville, qui devient l’un de ses modèles de prédilection. Mais Antoinette refuse d’abord d’unir son existence à la sienne.

1934 Première exposition personnelle de Balthus à la Galerie Pierre à Paris. Sept oeuvres majeures y sont présentées, parmi lesquelles La Rue, La Toilette de Cathy et La Leçon de guitare. Ces peintures font scandale.

1935 Balthus reçoit plusieurs commandes de portrait de personnes fortunées. Il dessine les décors et les costumes pour Les Cenci d’Antonin Artaud et collabore à d’autres productions théâtrales. En octobre, il s’installe dans un nouvel atelier, cour de Rohan, dans le sixième arrondissement parisien.

1936 Il se met à travailler à des séries de peintures pour lesquelles Thérèse Blanchard lui sert de modèle. Le motif de la jeune fille devient l’un de ses thèmes cardinaux.

1937 Mariage avec Antoinette de Watteville.

1938 Balthus expose pour la première fois ses oeuvres aux États-Unis, à New York chez Pierre Matisse, qui devient l’un de ses principaux galeristes.

1940 Après l’invasion de la France par les Allemands, Balthus quitte Paris avec son épouse. Le couple se réfugie d’abord à Champrovent, en Savoie.

1941 Pablo Picasso fait l’acquisition de Les Enfants Blanchard à la galerie de Pierre Colle.

1942 Le couple reprend la fuite et trouve refuge en Suisse, d’abord à Berne puis à Fribourg et Genève.
Naissance de leur premier fils Stanislas.

1944 Naissance de Thadée, le second fils de Balthus et Antoinette.

1946 L’artiste revient à Paris, sans sa famille.

1952 Il se met à travailler à son monumental chef-d’œuvre Passage du Commerce-Saint-André.

1953 Balthus s’installe au château de Chassy, en Bourgogne, grâce au soutien d’un groupe de collectionneurs et de mécènes, parmi lesquels Pierre Matisse, Claude Hersaint et Alix de Rothschild. Il y peint de nombreuses toiles et achève Passage du Commerce-Saint-André. En s’établissant à Chassy, Balthus prend le titre de comte Klossowski de Rola.

1961 Balthus est nommé directeur de l’Académie de France à Rome, installée dans la Villa Médicis.
Pendant les seize années à ce poste, l’artiste consacre le plus clair de son temps à la restauration du palais romain et ne peint qu’un petit nombre de tableaux.

1962 Lors d’un voyage diplomatique au Japon, Balthus fait la connaissance de Setsuko Ideta, qui devient sa compagne et son modèle.

1967 Balthus et Setsuko se marient.

1968 Une importante rétrospective Balthus est organisée à la Tate Gallery de Londres.

1970 Balthus fait l’acquisition du Castello di Montecalvello, près de Viterbe, au nord de Rome.

1973 Harumi, la fille de Balthus et Setsuko, naît à Rome.

1977 Balthus s’installe avec sa famille à Rossinière, un village des Alpes vaudoises, dans le légendaire « Grand Chalet », une imposante bâtisse en bois datant du XVIIIe siècle. Il y dispose d’un atelier où il peindra jusqu’à un âge avancé.

1983 Le Centre Pompidou à Paris et le Metropolitan Museum of Art de New York lui consacrent une grande rétrospective.

1991 Balthus reçoit le Praemium Imperiale japonais pour l’ensemble de son oeuvre.

18 février 2001
Balthus meurt dans son « Grand Chalet » de Rossinière à l’âge de presque quatre-vingt-treize ans.

Pratique

Beyeler Museum AG
Baselstrasse 77, CH-4125 Riehen / Basel
www.fondationbeyeler.ch

Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler: tous les jours de 10h00 à 18h00, le mercredi jusqu’à 20h


Beyeler Museum
Mis en ligne le Samedi 1 Septembre 2018 à 09:49 | Lu 492 fois

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