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Une histoire des cafés à Grasse dans les année 1900 au Musée d'Art et d'Histoire de Provence, du 2 juillet au 6 novembre 2016

Afin de valoriser une récente acquisition, un magnifique don de Madame Blanche Raineri, l’exposition estivale du Musée d’Art et d’Histoire de Provence vous invite à découvrir la ville de Grasse sous un angle original : celui d’une sociabilité à la française autour du « café-bar-restaurant » pendant la IIIe République.


Une histoire des cafés à Grasse dans les année 1900 au Musée d'Art et d'Histoire de Provence, du 2 juillet au 6 novembre 2016
Ce don - un piano mécanique à cylindre Nallino de 1923 gravé « Raineri Alexandre – Grasse » – nous transporte en effet au beau milieu d’une histoire festive et conviviale de la société azuréenne et grassoise. Véritable orchestre mécanique, ancêtre du juke-box, cette viole – appellation provençale du piano mécanique – est l’instrument typique des cabarets, des cafés de quartier et des hôtels de la « Belle Epoque » et des « Années folles ».
Ainsi, sans omettre une réalité historique parfois dérangeante et/ou déroutante propre à la IIIe République, le Musée d’Art et d’Histoire de Provence a souhaité vous plonger au cœur de ces lieux de vie, au son d’une java ou sur les pas d’un charleston, au détour des rues et des boulevards du Grasse d’antan. Le Musée d’Art et d’Histoire de Provence propose aux visiteurs de s’immerger dans l’ambiance et l’atmosphère de ces lieux de vie.

La France sous la IIIe République

Traditionnellement divisée en cinq phases, la IIIe République (1870-1940) est un régime parlementaire qui s’imposera en France pendant 70 ans : 1870-1879 avec des velléités de restauration monarchique, la « Belle Epoque » de 1879 à 1914, le premier conflit mondial 1914-1918, les Années folles 1919-1929 et la crise internationale des années 30.

Si elle incarne, aujourd’hui encore, les idéaux républicains et démocratiques associés à une économie libérale, elle n’en demeure pas moins une République aux contrastes violents où le meilleur côtoyait le pire. Les deux conflits mondiaux en témoigneraient.
Ainsi, aux régimes parlementaires répondaient le Boulangisme, l’anarchisme insurrectionnel et plus tard l’extrémisme radical ; au positivisme et au scientisme triomphants, le colonialisme et la xénophobie ; aux progrès industriels et financiers, des conditions de travail souvent inhumaines et des crises économiques et sociales aux conséquences terrifiantes.
Pour autant, la IIIe République a connu sa « Belle Epoque » et ses « Années folles ». Les progrès économiques, technologiques et sociaux révèlent une véritable amélioration des conditions de vie. Les droits et les libertés ne sont plus à la marge, les villes se modernisent, les Arts & Lettres rayonnent dans le monde, l’instruction devient publique et obligatoire et la notion d’individu au sein d’une démocratie émerge peu à peu.

Les lieux de sociabilité de la French Riviera sous la IIIe République

Villégiature, station climatique, hôtels de prestige, casinos, sports et loisirs, la French Riviera est au faîte de sa réputation pendant la « Belle Epoque ».
L’hiver dans le midi attire toutes les élites européennes. Ces « hirondelles d’hiver », venues d’abord pour se soigner, ne tarderont pas à « descendre » sur la Côte d’Azur pour des motifs plus triviaux : se divertir, voire s’« encanailler ».
Se conglomèrent alors dans la région plusieurs facteurs qui feront dire à certains contemporains que la Côte se pervertit. Prenez comme base la crème de l’aristocratie européenne, agrémentez de gratin haut-bourgeois, militarisez la frontière franco-italienne avec des milliers de soldats encasernés, libérez les débits de boisson (1880), tolérez la prostitution, saupoudrez le tout de luxe, de jeu et de stupre et vous aurez une idée de l’attractivité de la French Riviera à cette époque.
D’une hétérogénéité et d’une densité insoupçonnées, le « café-bar-restaurant » devient l’authentique poumon de la ville. Du boudoir à l’Assommoir, ce lieu de sociabilité et de divertissement est la personnification de l’« être-ensemble ». De la plus haute philosophie politique jusqu’aux plus viles rumeurs, de la simple distraction conviviale aux récréations moins avouables, les langues s’y délient et les corps s’y abandonnent. On y mange, on y boit, on s’y divertit… on y vit.

Typologie des cafés-restaurants de cette période, du national à la Provence

Sous la IIIe République, les débits de boissons sont libéralisés (1880) et leur nombre explose littéralement : ils sont plus de 480.000 en 1912, soit un débit pour 80 habitants (1 pour 248 en Allemagne, 1 pour 430 en Angleterre). C’est une spécificité française de la Belle Epoque et son corollaire pernicieux – alcoolisme, prostitution et jeux d’argent – n’a pas manqué d’inquiéter au plus haut niveau les autorités républicaines. Lieu de perdition pour les uns, de vie pour les autres, le café-bar-restaurant doit être les deux à la fois, un paradoxe bien français.

Les hommes et les femmes des cafés restaurants

Sous la IIIe République, tous les hommes vont au café. Centre névralgique de l’information de la nation et du quartier, haut lieu de la rumeur, le café est le creuset d’une alchimie complexe de la vie sociétale. Au village, le docteur peut rencontrer le paysan, la maire ses administrés. En ville, la ségrégation sociale est opérante. Le bourgeois ne se rendra pas dans un bouge populeux des bas-quartiers, l’ouvrier ne posera jamais le pied dans le café huppé d’un boulevard prestigieux. Pour autant, tous ces hommes, aussi différents soient-ils, aiment à y pratiquer les mêmes activités : parler, boire, manger, fumer, jouer et plus si affinités…

La prostitution sous la IIIe République

La IIIe République est pourtant considérée comme l’« Age d’or de la prostitution ». Une prostitution tolérée, voire légale, qui est vue comme un « mal nécessaire », une condition sine qua non au bon fonctionnement d’une société patriarcale en pleine mutation économique et sociale. Depuis la « maison close », légalisée en 1804 et étroitement surveillée, jusqu’à la prostitution clandestine qui, par essence, est sauvagement incontrôlable, le XIXe siècle voit la sexualité de ses contemporains radicalement se transformer.

Objet central de l’exposition : le piano mécanique

Piano mécanique à cylindre, appelé viole de marque Nallino, 1924
Piano mécanique à cylindre, appelé viole de marque Nallino, 1924
Ce don de Madame Blanche Raineri3 a été motivé par un aspect clairement affectif. Mme Roudière, descendante d’immigrés piémontais, est en effet issue de la IIIe génération d’une famille de restaurateurs devenus grassois au tournant du XXe siècle. Ces trois générations sont les témoins privilégiés d’une sociabilité grassoise tout au long de ce siècle.

C’est autour de 1920, au tout début des Années folles, que les grands-parents de Mme Roudière, Alexandre Raineri et Marguerite Raineri dit Margot, décident de reprendre un établissement à l’histoire mouvementée. Bâti à la toute fin du XIXe siècle par un oncle de la famille, il est revendu autour de 1914 à des « forains » qui le transforment en bordel et est enfin racheté par un autre oncle de la famille juste après-guerre. Comme beaucoup d’autres établissements à Grasse tout au long de la IIIe République, celui-ci devait être une sorte de troquet dont la principale attractivité était peut-être plus liée aux plaisirs charnels qu’à un besoin de sociabilité. Idéalement situé entre la gare P.L.M. (inaugurée en 1871), la caserne du Collet du 23e B.C.A. (à Grasse depuis 1888), le funiculaire (inauguré en 1909) et les usines de parfumerie au sud du centre ville, ce troquet allait céder progressivement sa place à un authentique café-restaurant convivial et familial par la ferme détermination de Margot et de son mari. A cet égard, jouissant certainement d’un soutien communautaire propre aux nouveaux immigrants italiens en Provence - les familles Raineri et Nallino sont toutes deux piémontaises - Alexandre Raineri ne tardera pas à se procurer, au moins dès 1924, l’une des dernières innovations de la manufacture de pianos mécaniques Nallino, il y fera graver son nom et celui de sa ville d’adoption : Raineri Alexandre – Grasse.

Pendant l’entre-deux-guerres (1920-1937 environ), le « Café-Restaurant de la Gare P.L.M. », plus communément appelé « Chez Margot » par les Grassois, deviendra un lieu convivial où ouvriers des parfumeries, employés de la gare, chasseurs-alpins, artisans et commerçants viendront se restaurer, se divertir et danser au son de la viole. Plusieurs années après, alors que Danièle Roudière avait repris le restaurant, rebaptisé « Le Richelieu » en 1967, les vieux Grassois lui demandaient encore de réactiver les vieux rouages du Nallino qui n’avait plus joué depuis la 2nde guerre mondiale. Au premier son des valses, des foxtrots, des one-steps ou des mazurkas, ces derniers se laissaient soudainement envahir par une mémoire qui les transportait au beau milieu de leur jeunesse à Grasse.

Pratique

Le Musée d’art et d’histoire de Provence (M.A.H.P.) rassemble, au sein de l’hôtel de Clapiers-Cabris, d’importantes collections consacrées d’une part à la vie quotidienne en Provence orientale depuis la Préhistoire, et d’autre part aux Beaux-arts et arts décoratifs du 17ème s. à la 1ère moitié du 20ème siècle.


Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 3 Juin 2016 à 13:25 | Lu 637 fois

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