
Don Giovanni. Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
L’action se déroule dans l’Espagne catholique du XVIe siècle, empreinte de ferveur et de rigueur spirituelle. L’intrigue relate les aventures tumultueuses d’un séducteur libertin et cynique, Don Giovanni, tout en distillant subtilement les principes de la morale chrétienne, tels que le péché de chair et la sacralité du mariage.
Ce mythe du baroque espagnol, exacerbé dans un contexte de dévotion et de répression, a subjugué des générations de dramaturges fascinés par l’ambiguïté de Don Juan. Ainsi, Molière, en 1665, brosse le portrait d’un personnage athée, rebelle et cynique dans sa comédie Dom Juan ou le Festin de pierre. Comédie de mœurs aux multiples facettes, elle mêle traditionnellement tragique et bouffonnerie, pathos et surnaturel. Sous la frénésie de ses conquêtes féminines, Don Giovanni se raille de l’Église et de l’ordre établi, défiant Dieu jusqu’à la damnation.
Le rideau se lève sur une scène surprenante où Don Giovanni a fusionné avec le Commandeur – figure patriarcale mourante – semblant plongé dans une rétrospection fiévreuse avant d’être terrassé par un arrêt cardiaque. Cette assimilation entre le jeune libertin et le patriarche, bien que peu crédible, introduit l’ouverture dynamique de l’opéra, ce qui laisse le spectateur quelque peu pantois.
Puis, de duels en meurtres, nous sommes propulsés dans une dramaturgie enrichie d’effets visuels (vidéo en noir et blanc) et sonores (sourds battements de cœur, etc.) dans un XXe, voire un XXIe siècle revisité mais clinique. Le décor, s’il se veut fonctionnel, manque néanmoins de grâce et d’ampleur.
Sur scène, une distribution de chanteurs, aux qualités vocales inégales, offre toutefois de beaux moments d’interprétation, sincères et habités. L’ensemble demeure cependant nébuleux et troublant pour le spectateur, l’intrigue se dispersant dans une profusion de distorsions, de superpositions et de distanciations. Le metteur en scène Robert Icke ose ce syncrétisme audacieux entre un jeune Don Giovanni et un imposant Commandeur, malheureusement peu audible (Clive Bayley), deux incarnations temporelles d’un même homme, mais deux inadéquations. Cette démarche, aussi inventive soit-elle, s’avère confuse et déconcertante. Par ailleurs, la présence d’une enfant en pyjama, serrant un ours en peluche et figurant dans des scènes à la lisière de la séduction, effleure de manière provocatrice le tabou de la pédophilie et suscite un malaise palpable dans l’assistance.
Sur le plan musical, la direction de Sir Simon Rattle, chef britannique signant ici ses débuts aixois dans Mozart, impose à l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise des tempi vifs, conférant à l’ensemble instrumental, trop massif, une nervosité parfois excessive.
Parmi les interprètes, André Schuen, unanimement salué, s’impose dans le rôle-titre, livrant une prestation vénéneuse, profonde et nuancée. Sa voix, mêlée à celle de son valet Leporello, incarné par Krzysztof Bączyk – sensationnelle basse profonde, transformée pour les besoins de la production en un domestique blasé personnifiant la conscience morale de son maître – s’illustre notamment dans le fameux « Air du catalogue », où il égrène, sans aucun humour, la liste quantifiée et classée par pays des conquêtes de son padrone.
Véritable épicentre émotionnel de l’œuvre, la flamboyante Golda Schultz, dans le rôle de Donna Anna, impressionne par son intensité vocale et sa présence scénique, suscitant l’enthousiasme du public. Elle incarne avec force la victime emblématique du drame, flanquée d’un Don Ottavio servi par le ténor polynésien Amitai Pati, volontairement mis en retrait et, de fait, malgré un joli timbre, un peu falot.
À l’inverse de Donna Anna, Magdalena Kožená, mezzo-soprano qui interprète le personnage de Donna Elvira, bien que déterminée et investie, peine à convaincre pleinement, parfois débordée par la tessiture exigeante de son rôle.
Quant au jeune couple formé par la soprano néo-zélandaise, Madison Nonoa (Zerlina), à la voix fragile exprimant avec justesse les tensions entre cœur et raiso, et son fiancé, incarné par la basse polonaise Paweł Horodyski (Masetto), ils composent pour préserver leur mariage des attaques de leur seigneur et maître, un admirable duo d’artistes.
Cette production, revendiquée comme transgressive et engagée, peine cependant à convaincre pleinement. La mise en scène, résolument contemporaine, soulève des questionnements sans toujours offrir de résolution claire. Pourtant, le mythe de Don Giovanni demeure d’une brûlante et indispensable actualité, interrogeant en profondeur nos conceptions occidentales et modernes du rapport amoureux. À l’heure où certains exaltent toujours la liberté amoureuse, le libertin impénitent n’a pas fini de susciter débats et réflexions.
Catherine Richarté-Manfredi
Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, Dimanche 6 juillet 2025, 17h
Direction musicale
Sir Simon Rattle
Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise
Mise en scène / Robert Icke
Scénographie / Hildegard Bechtler
Costumes / Annemarie Woods
Lumières / James Farncombe
Chorégraphie / Ann Yee
Vidéo / Tal Yarden
Son / Mathis Nitschke
Dramaturgie / Klaus Bertisch
Distribution
Don Giovanni / Andrè Schuen
Leporello / Krzysztof Bączyk,
Donna Anna / Golda Schultz, Soprano
Donna Elvira / Magdalena Kožená, Mezzo-soprano
Don Ottavio / Amitai Pati, Ténor
Le Commandeur / Clive Bayley, Basse
Zerlina / Madison Nonoa, Soprano
Masetto / Paweł Horodyski, Basse,
Cascadeur / Marc Sonnleitner
Ce mythe du baroque espagnol, exacerbé dans un contexte de dévotion et de répression, a subjugué des générations de dramaturges fascinés par l’ambiguïté de Don Juan. Ainsi, Molière, en 1665, brosse le portrait d’un personnage athée, rebelle et cynique dans sa comédie Dom Juan ou le Festin de pierre. Comédie de mœurs aux multiples facettes, elle mêle traditionnellement tragique et bouffonnerie, pathos et surnaturel. Sous la frénésie de ses conquêtes féminines, Don Giovanni se raille de l’Église et de l’ordre établi, défiant Dieu jusqu’à la damnation.
Le rideau se lève sur une scène surprenante où Don Giovanni a fusionné avec le Commandeur – figure patriarcale mourante – semblant plongé dans une rétrospection fiévreuse avant d’être terrassé par un arrêt cardiaque. Cette assimilation entre le jeune libertin et le patriarche, bien que peu crédible, introduit l’ouverture dynamique de l’opéra, ce qui laisse le spectateur quelque peu pantois.
Puis, de duels en meurtres, nous sommes propulsés dans une dramaturgie enrichie d’effets visuels (vidéo en noir et blanc) et sonores (sourds battements de cœur, etc.) dans un XXe, voire un XXIe siècle revisité mais clinique. Le décor, s’il se veut fonctionnel, manque néanmoins de grâce et d’ampleur.
Sur scène, une distribution de chanteurs, aux qualités vocales inégales, offre toutefois de beaux moments d’interprétation, sincères et habités. L’ensemble demeure cependant nébuleux et troublant pour le spectateur, l’intrigue se dispersant dans une profusion de distorsions, de superpositions et de distanciations. Le metteur en scène Robert Icke ose ce syncrétisme audacieux entre un jeune Don Giovanni et un imposant Commandeur, malheureusement peu audible (Clive Bayley), deux incarnations temporelles d’un même homme, mais deux inadéquations. Cette démarche, aussi inventive soit-elle, s’avère confuse et déconcertante. Par ailleurs, la présence d’une enfant en pyjama, serrant un ours en peluche et figurant dans des scènes à la lisière de la séduction, effleure de manière provocatrice le tabou de la pédophilie et suscite un malaise palpable dans l’assistance.
Sur le plan musical, la direction de Sir Simon Rattle, chef britannique signant ici ses débuts aixois dans Mozart, impose à l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise des tempi vifs, conférant à l’ensemble instrumental, trop massif, une nervosité parfois excessive.
Parmi les interprètes, André Schuen, unanimement salué, s’impose dans le rôle-titre, livrant une prestation vénéneuse, profonde et nuancée. Sa voix, mêlée à celle de son valet Leporello, incarné par Krzysztof Bączyk – sensationnelle basse profonde, transformée pour les besoins de la production en un domestique blasé personnifiant la conscience morale de son maître – s’illustre notamment dans le fameux « Air du catalogue », où il égrène, sans aucun humour, la liste quantifiée et classée par pays des conquêtes de son padrone.
Véritable épicentre émotionnel de l’œuvre, la flamboyante Golda Schultz, dans le rôle de Donna Anna, impressionne par son intensité vocale et sa présence scénique, suscitant l’enthousiasme du public. Elle incarne avec force la victime emblématique du drame, flanquée d’un Don Ottavio servi par le ténor polynésien Amitai Pati, volontairement mis en retrait et, de fait, malgré un joli timbre, un peu falot.
À l’inverse de Donna Anna, Magdalena Kožená, mezzo-soprano qui interprète le personnage de Donna Elvira, bien que déterminée et investie, peine à convaincre pleinement, parfois débordée par la tessiture exigeante de son rôle.
Quant au jeune couple formé par la soprano néo-zélandaise, Madison Nonoa (Zerlina), à la voix fragile exprimant avec justesse les tensions entre cœur et raiso, et son fiancé, incarné par la basse polonaise Paweł Horodyski (Masetto), ils composent pour préserver leur mariage des attaques de leur seigneur et maître, un admirable duo d’artistes.
Cette production, revendiquée comme transgressive et engagée, peine cependant à convaincre pleinement. La mise en scène, résolument contemporaine, soulève des questionnements sans toujours offrir de résolution claire. Pourtant, le mythe de Don Giovanni demeure d’une brûlante et indispensable actualité, interrogeant en profondeur nos conceptions occidentales et modernes du rapport amoureux. À l’heure où certains exaltent toujours la liberté amoureuse, le libertin impénitent n’a pas fini de susciter débats et réflexions.
Catherine Richarté-Manfredi
Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, Dimanche 6 juillet 2025, 17h
Direction musicale
Sir Simon Rattle
Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise
Mise en scène / Robert Icke
Scénographie / Hildegard Bechtler
Costumes / Annemarie Woods
Lumières / James Farncombe
Chorégraphie / Ann Yee
Vidéo / Tal Yarden
Son / Mathis Nitschke
Dramaturgie / Klaus Bertisch
Distribution
Don Giovanni / Andrè Schuen
Leporello / Krzysztof Bączyk,
Donna Anna / Golda Schultz, Soprano
Donna Elvira / Magdalena Kožená, Mezzo-soprano
Don Ottavio / Amitai Pati, Ténor
Le Commandeur / Clive Bayley, Basse
Zerlina / Madison Nonoa, Soprano
Masetto / Paweł Horodyski, Basse,
Cascadeur / Marc Sonnleitner

Don Giovanni. Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus