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Léonard de Vinci : la quête de la perfection. Par Véronique Prat, Figaro Magazine du 5 novembre 2011

Exceptionnel : pour la première fois, 13 des 19 tableaux connus de Léonard de Vinci sont réunis à la National Gallery de Londres.
Du jamais vu ! Le monde de l’art est sur le qui-vive, les réservations s’arrachent, le public s’impatiente. Voici, en avant-première, ce que révèle cette exposition-événement.


Leonardo da Vinci, La Cène © Luisa Ricciarini/Leemage
Leonardo da Vinci, La Cène © Luisa Ricciarini/Leemage
Il fallait avoir du cran pour relever un tel défi : réunir La quasi-totalité des tableaux de Léonard de Vinci. Si nombre d’expositions ont célébré l’homme de sciences, l’inventeur ou l’époustouflant dessinateur que fut Léonard, présenter la majorité de ses peintures est en effet une tout autre histoire. Quand un musée a la chance de posséder une œuvre du génial Italien, il répugne à s’en séparer, ne serait-ce que quelques mois. Obtenir des prêts pour une exposition relevait du rêve. Alors que la plupart des institutions y avaient renoncé, la National Gallery de Londres a relevé la gageure : le 9 novembre prochain, l’exposition qu’elle présentera rassemblera le plus grand nombre de tableaux de Léonard de Vinci jamais réunis à ce jour. Cette fois, le mot n’est pas trop fort, c’est un événement, même sans La Joconde... Il faut avouer que Léonard lui-même n’a pas facilité la tâche des historiens d’art. Aujourd’hui encore, on ignore exactement le contenu et l’ampleur de son oeuvre. Alors que l’influence exercée par le peintre est profonde et ramifiée, au point qu’il incarne à lui seul la Renaissance, son oeuvre est peu abondante et les spécialistes ne s’accordent pas autour des tableaux que l’on peut lui attribuer en toute certitude. On compte une dizaine d’oeuvres attestées par des documents et parvenues jusqu’à nous. A quoi s’ajoutent huit tableaux environ, eux aussi attestés mais disparus, dont Léda et le cygne, uniquement connu par des dessins. Il y a encore une douzaine d’oeuvres commandées à l’artiste dont nul ne peut dire si elles ont été ou non réalisées. A cela s’ajoutent enfin neuf ouvrages qui ne sont signalés par aucun document mais que les experts reconnaissent dans l’ensemble comme des originaux, telle La Dame à l’hermine du musée de Cracovie, étrange et merveilleux portrait d’une jeune fille de 17 ans. Pour moins de 20 tableaux soit attestés soit attribués, il y en a donc au moins autant sur lesquels on ne peut que conjecturer. Cette curieuse situation s’explique : le souvenir de Léonard, entré vivant dans la légende, restera très vif un siècle après sa mort, mais on ne saura presque plus rien de son oeuvre.
L’exposition de Londres survient à propos pour une redécouverte du vrai Léonard, complet et complexe.
Cette redécouverte multiplie les temps forts et les trouvailles. Les prêts internationaux sont au rendez-vous, venus du Louvre, de l’Hermitage, de la Pinacothèque du Vatican, de la Bibliothèque ambrosienne de Milan, de la Fondation Czartoryski de Cracovie et de quelques collectionneurs privés qui ont perçu l’importance scientifique d’untel rassemblement. Ainsi, pour la première fois, les deux versions de La Vierge aux rochers – celle de 1486 appartenant au Louvre et celle de 1506 appartenant à la National Gallery de Londres –, vont être exposées côte à côte. Léonard lui-même n’a jamais pu les confronter !
Autre merveille : La Cène réalisée à Milan en 1495 pour orner le réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie. Grande peinture de 4,60m sur 8,80 m, saluée comme le plus parfait travail de Léonard, elle est, bien sûr, intransportable, mais les commissaires de l’exposition en présentent une copie à peu près contemporaine, réalisée à l’échelle par Giampietrino, qui fut l’élève de Vinci, et prêtée par la Royal Academy. Mais il y a mieux : sera présentée à l’exposition la totalité des dessins préparatoires à La Cène, prêtés par la reine d’Angleterre et réunis ici pour la première et unique fois.
Car outre les tableaux, plus de 50 dessins de Léonard liés aux oeuvres peintes seront proposés au public londonien. Parmi eux, 33 croquis et études provenant des collections royales britanniques, qui possèdent le plus vaste ensemble de dessins de Léonard avec plus de600feuilles conservées à la Royal Library de Windsor. Avec d’autres dessins empruntés au Louvre, au British Museum, à la Courtauld Gallery et aux musées d’Oxford et de Cambridge, cette section est particulièrement spectaculaire.

Avant de quitter Florence pour Milan, le peintre s’essaie au « dessin filmique »

Ni sa naissance ni son milieu familial ne prédisposaient pourtant Léonard à un destin aussi exceptionnel. Elevé par son père, il fut placé en apprentissage à Florence chez l’un des peintres les plus recherchés du temps, Andrea Verrocchio, à la fois graveur, architecte, sculpteur et orfèvre. C’est lui qui va former Léonard à toutes ces disciplines. Elles ont pour dénominateur commun le dessin, outil indispensable à toute formation technique et toute imitation de la nature, ce qui, selon l’idéal de la Renaissance, constitue la base de toute réalisation artistique. Comme Botticelli, Le Pérugin, Ghirlandaio et Lorenzo di Credi, qui se retrouvent dans les années 1460-1470 dans l’atelier de Verrocchio, Léonard collabore à la création des oeuvres qui sont commandées à son maître : c’est le cas pour la prédelle de L’Annonciation du Louvre (discutée aujourd’hui par les spécialistes), dont on ne sait exactement quelle est la part de l’élève. Mais surtout, Léonard se trouve alors au coeur d’un humanisme raffiné, d’un étonnant creuset où la tradition toscane s’enrichit de contacts avec les cultures du Nord. Vinci fait même preuve d’une étrange modernité quand, dans un passage souvent cité mais surprenant de son Traité de la peinture, il parle de l’observation des taches colorées sur un mur. En les regardant dans une semi rêverie,« on y découvre l’image de paysages extraordinaires, ornés de toutes sortes de montagnes, de ruines, de rochers, de bois, de plaines, de collines, de vallées car la confusion des formes incite l’esprit à de nouvelles inventions ». Goya appliqua cette méthode, Victor Hugo aussi, qui fit ses curieux dessins d’après des taches d’encre ou de café. Mais Léonard, comme ancêtre de l’expressionnisme abstrait, c’est plus étonnant.

Avant de quitter Florence pour Milan, le peintre s’essaie au« dessin filmique », c’est-à-dire à la représentation d’un même sujet en trois dimensions. Comme l’explique Alessandro Vezzosi, « le regard tourne autour des choses, s’élève au-dessus d’elles ou s’en approche, connaît aussi leur revers, évolue à travers une succession d’instantanés ». Le procédé qui consiste à multiplier les points de vue d’un même motif est à l’origine de magnifiques études de mains, de bustes féminins, d’enfants jouant, se référant à des Madones et conservées au Louvre et au château de Windsor.

A Milan, Léonard entre au service du puissant duc Ludovic Sforza, qui consacre une bonne part de ses revenus à des dépenses militaires. Le peintre va donc faire valoir ses compétences d’ingeniere plutôt que ses talents artistiques : bâtir des ponts, détruire des forteresses, lancer des chars couverts et sûrs, blinder des navires et les doter de canons, l’imagination de Léonard semble inépuisable. C’est à cette époque qu’il prend l’habitude de consigner toutes ses recherches dans des carnets, qui nous sont en grande partie parvenus. L’intérêt que Ludovic le More porte aux idées de Léonard conforte l’artiste, qui reprend ses pinceaux : il accepte de peindre pour la confrérie de l’Immaculée Conception une Vierge aux rochers (ce sera l’exemplaire du Louvre). Face à ses commanditaires, Léonard, une fois de plus, va se trouver en difficulté. On lui reproche sa lenteur (il a mis quatorze ans pour peindre Sainte Anne, dix pour La Joconde, cinq pour Léda, aujourd’hui perdue), mais surtout son non respect du programme iconographique et sa manie de ne jamais finir ses tableaux. La Vierge aux rochers sera en effet pendant vingt-cinq ans au centre d’un conflit entre le peintre et ses commanditaires. Elle sera aussi un magnifique prototype de la «manière » de Léonard. Il plonge la scène dans l’ombre, donnant ainsi aux éléments qui surgissent dans la lumière la force d’une révélation.
Dans cette opposition ombre/lumière, il trouve un moyen de suggérer l’épaisseur et la densité des choses. Ses mécènes sont les Médicis, les Sforza, les Borgia, Louis XII, François Ier…

Quant aux limites de l’ombre, il les utilise pour exprimer la grâce des personnages, dont les gestes et le visage sont balayés par un halo diffus. Ces fumato, qui consiste à fondre les contours dans l’atmosphère par un dégradé de tons, se retrouve dans les oeuvres de Léonard à partir de 1485 et culmine dans La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne. Le peintre usera d’un autre artifice, celui des ombres colorées, où les pigments se mêlent imperceptiblement : dans La Vierge aux rochers, les chairs de la Vierge et de l’ange reflètent dans leurs parties ombreuses le brun des rochers alentour. Le contraste entre le clair et le sombre ne cherche pourtant jamais à apprivoiser les ténèbres (comme chez Rembrandt, par exemple) mais tente de construire une harmonie souveraine.

Après dix-sept années passées à Milan, Rome ouvre enfin ses portes à Léonard. Ici comme partout ailleurs, il est lié au bon vouloir de ses mécènes, qui ne lui ont pourtant jamais fait défaut : les Médicis (Laurent, puis Julien), Ludovic Sforza, César Borgia, Louis XII (qui le nommera« peintre du roi » et« ingénieur ordinaire ») et bien sûr François Ier. Plusq ue jamais, il dessine, ses feuilles constituant un fabuleux laboratoire où il répertorie les signes du monde, composant une sorte de « banque de données » dans laquelle il puise au hasard de ses travaux. D’une incroyable diversité, ces dessins ont contribué à forger le mythe du génie universel car, mieux que les peintures, ils rendent compte de son insatiable curiosité et de l’ampleur de ses recherches.Guidé par l’envie de savoir, Léonard griffonne, corrige, s’acharne à la recherche de la forme exacte jusqu’à ce que, du chaos, surgisse enfin la ligne juste.Quant à la peinture, affirme-t-il, elle est cosa mentale, le fruit d’une réflexion. L’artiste toscan a imaginé tout ce qui pouvait améliorer le sort de l’humanité à la faveur d’une oeuvre proprement ahurissante. Plus le regard s’y attarde, plus l’esprit s’y attache, et plus cette oeuvre révèle sa subtilité, sa richesse et, en fin decompte, son sens. Là se trouve la magie de Léonard.
Véronique Prat

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 4 Novembre 2011 à 04:11 | Lu 4259 fois

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