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Félix Ziem, « J'ai rêvé le beau", peintures et aquarelles du Petit Palais, Paris, 14 février au 4 août 2013

Peintre de l’Orient des mille et une nuits, Félix Ziem (1821-1911) fut artiste nomade, inclassable, excentrique…


Inondation à Venise © Petit Palais / Roger-Viollet
Inondation à Venise © Petit Palais / Roger-Viollet
« Beau ciel, lagunes polies et silencieuses où j'ai rêvé le beau » Ziem, Journal, 18 novembre 1879

Ce grand voyageur, ami des peintres de Barbizon, admirateur du Lorrain et de Turner, occupe une place originale dans l’art du XIXe siècle. Ziem a su séduire une large clientèle qui aimait rêver de Venise ou de Constantinople devant ses toiles. Il débute sa longue carrière dans l’ombre de Delacroix et l’achève sur la butte Montmartre près de l’atelier du jeune Picasso.
Après les rétrospectives présentées avec succès à Marseille, Martigues et Beaune, le Petit Palais expose une centaine d’oeuvres de la donation Ziem (peintures, aquarelles et dessins), entrée au musée en 1905.
L’eau et le ciel occupent une place prédominante dans les paysages lumineux qui ont fait sa renommée. Plus inattendus, ses carnets de voyage, ses croquis saisis sur le motif, ses copies d'après les maîtres italiens et hollandais, ses esquisses qui laissent libre cours aux élans de la couleur révèlent les secrets de l’atelier et racontent un autre Ziem.

Petit Palais
Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
Tél: 01 53 43 40 00
Ouvert tous les jours, de 10h à 18h
sauf les lundis et jours fériés.
Nocturne le jeudi jusqu’à 20h
www.petitpalais.paris.fr

Parcours de l’exposition

Ziem est ici évoqué à partir des lieux qui inspirèrent sa quête d’une nature idéale, indifférent à la grande vague réaliste qui vint bouleverser l’art du paysage dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

La scénographie adopte le parti d'une présentation thématique, Ziem datant très rarement ses oeuvres. Une première section évoque l'importance des voyages dans la vie du peintre et les différents pays visités, de l'Italie jusqu'à la lointaine Russie. Plus jeune que les fondateurs de l'école de Barbizon, Ziem a néanmoins beaucoup peint avec eux et développé son goût pour le paysage en travaillant sur le motif comme la deuxième section. La découverte du Midi est ensuite évoquée avec une série de toiles lumineuses peintes entre Marseille et Martigues, sa terre d'élection. La quatrième section présente Ziem à Paris et son installation sur la Butte Montmartre. L'exposition se poursuit par l'évocation du peintre de Venise recherché par tous les marchands d'art parisiens et se termine par les oeuvres orientalistes.

Voyages et croquis nomades

« Il n’est pas toujours nécessaire, pour voyager, de monter en wagon ou de prendre le bateau à vapeur, et la preuve en est que nous venons, sans quitter notre fauteuil, de revoir Venise, Marseille, la Méditerranée, Barbizon, la Hollande, et même un coin d’Egypte. » Théophile Gautier, 1854

La multiplicité des techniques employées dans les carnets et les études peintes à l’huile font écho à la diversité des lieux visités par le peintre-voyageur. Nous suivons ainsi l’évolution de son style et de son métier. Fusain, mine de graphite, plume, lavis de sépia, d’encre de chine ou d’aquarelle se succèdent au gré des différents sujets représentés. Ziem voyage presque tous les ans à l’étranger dès 1842. L’Italie, la Russie, la Hollande, la Belgique, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Ecosse, la Tunisie, l’Algérie, la Turquie, le Liban, l’Egypte et la Grèce sont prétextes à toutes les genres : paysages, architectures, portraits et copies d’après les maîtres. Au fil des pages et des études peintes se dévoile ainsi un vaste répertoire visuel où l’artiste a pu se ressourcer tout au long de sa carrière.
Albert Flament, journaliste à l’Echo de Paris, relate dans un article sa découverte d’un carnet de croquis du Petit Palais : « Jamais ne nous était mieux apparue la mauvaise influence que le commerce peut avoir sur l’art (…) L’artiste a promené dans cette fluide encre de Chine le pinceau de Fragonard et d’Hubert Robert. Toute la jeunesse, toute l’âme d’un grand artiste se sont prodigués là, pendant six mois, et l’on dirait que depuis – depuis 1859 ! – tous les tableaux de Ziem ont été faits – de Paris – d’après les feuilles de cet album…».
Tobolsk, Siberie, 1842. Huile sur toile 24x17 cm. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais © Petit Palais / Roger-Viollet
Tobolsk, Siberie, 1842. Huile sur toile 24x17 cm. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais © Petit Palais / Roger-Viollet

Les mélodies de la couleur, Ziem aquarelliste

« D’instinct, il choisit le point de vue particulier, l’effet rare, l’heure caractéristique, la couleur étrange et spéciale. Sa vérité a quelquefois l’air d’un paradoxe, mais elle n’en est pas moins exacte, et sur le fond réel de la nature, il fait chanter comme un choeur aérien les mélodies de la couleur» Théophile Gautier, 1854

Avant d’être peintre Ziem est un aquarelliste. Plus que de simples études, ses aquarelles doivent êtres considérées comme des oeuvres achevées, qui lui valent ses premiers succès.
Le duc d’Orléans est l’un de ses premiers clients. L’artiste donne des cours d’aquarelle à Marseille et à Nice se vantant même d’avoir enseigné son art et vendu ses feuilles au duc de Devonshire, grand collectionneur, s’élevant ainsi au rang des artistes anglais, maîtres incontestés cette technique. Ces aquarelles, réalisées sur le motif, sont un répertoire d’images dans lequel Ziem puise à loisir les thèmes de ses peintures.
En effet, de nombreuses feuillent révèlent une grande maîtrise de l’art de la réserve, employée pour faire ressortir rochers, voiles, nuages et scintillement de l’eau. Ces brillants effets suscitent chez les critiques les comparaisons les plus élogieuses : Francesco Guardi, Mariano Fortuny, et même James Whistler.
Mais dans ces feuilles, les clairs-obscurs accusent surtout la dette de Ziem envers les maîtres hollandais ou les peintres de Barbizon. Devant des cieux crépusculaires lavés d’aquarelle orange et mauve, des arbres en repoussoirs se détachent à contre-jour. Ces motifs au premier plan sont régulièrement traités avec une plume chargée d’encre brune.

Un camarade des peintres de Barbizon

Durant ses premiers séjours à Paris entre 1848 et 1853, Ziem entreprend de se faire connaître des marchands d’art qui vendent les peintres de Barbizon. Le jeune peintre se lie rapidement d’amitié avec ses ainés, les paysagistes Constant Troyon, Narcisse Diaz de La Pena, Jean-François Millet ou encore Théodore Rousseau. Comme eux, il peint sur le motif, à Meudon ou à Fontainebleau. Il utilise une roulotte atelier pour faciliter ses promenades dans la forêt, puis le succès arrivant il achète en 1866 la maison de Charles Jacques à l’entrée du village de Barbizon.
L’ordonnance des chênes centenaires, les sentiers déserts qui se perdent dans les arbres, les rivières et les étangs, les ciels crépusculaires, les animaux des fermes sont autant de sujets peints sur de petits panneaux de bois à peine dégrossis.
Ces croquis rapidement brossés devant le motif sont ensuite gardés à portée du regard sur les murs de sa maison, tandis qu’au Salon Ziem expose de grands paysages entièrement peints en atelier.

Escales parisiennes

Le « peintre de Venise » n’aimera jamais Paris qu’il découvre à l’automne 1842. Il y séjourne par nécessité entre deux voyages, pour rencontrer ses marchands, donner des leçons de dessin, exposer au Salon. La capitale ne lui inspire que quelques rares oeuvres, notamment des vues des Champs Elysées, l’avenue devenant un lieu à la mode à l’occasion de l’exposition universelle de 1855.

Le succès arrivant, Ziem est l’un des premiers artistes à choisir de s’installer sur la Butte Montmartre où il achète en 1853 un terrain à la fois proche du quartier des marchands d’art et en marge de Paris. Il y fait construire une maison-atelier, étonnante forteresse de briques rouges qu’il agrandit au fil des ans.
La Butte Montmartre est encore au milieu du XIXe siècle une zone d’activité agricole hérissée de moulins. A la belle saison, les parisiens viennent à dos d’âne boire et danser dans les guinguettes tandis que les artistes séduits par le pittoresque de ce site escarpé y posent leur chevalet pour quelques heures.

En 1889, suite à la construction de nouveaux immeubles qui masquent désormais la vue au bas de la rue Lepic, Ziem décide de faire bâtir un second atelier plus haut sur la colline, près du moulin de la Galette. Agé de 68 ans, il voyage moins et partage son temps entre Martigues, Nice et Paris où il vit retranché à l’écart de la vie mondaine de la Belle Epoque. De nos jours il ne reste rien des deux ateliers de la rue Lepic et le nom de Ziem est rarement cité par les historiens de la Butte.
L’avenue des Champs Elysées 1860 - 1911. Huile sur toile. Musée d’Histoire de la Ville de Paris, Carnavalet  © Musée Carnavalet / Roger-Viollet
L’avenue des Champs Elysées 1860 - 1911. Huile sur toile. Musée d’Histoire de la Ville de Paris, Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Le Midi, un bain de lumière

« Je pense voir Sète, Martigues, Marseille, faire quelques études de mer, de montagnes, de navires, quelques impressions pouvant produire un résultat. Et puis, depuis un an je n’ai pas vu cette adorable nature, mon âme a besoin de s’ouvrir et mon corps d’aspirer quelques émanations salines » Félix. Ziem, 1859

A vingt ans, Ziem abandonne ses études d’architecture à Dijon et part à la découverte du Midi en descendant la vallée du Rhône jusqu’en Arles puis Martigues où il séjourne dès 1841. C’est là que va naître sa vocation de peintre tandis que le port de Marseille lui donne le goût des voyages et de l’exotisme.
Face à l’étang de Berre, Ziem forme le projet de créer « une marine méridionale entre Claude Lorrain et Rembrandt ». Dans le jardin de son atelier de Martigues, le peintre installe des maquettes de mosquées qui servent de modèle pour ses toiles orientalistes. Ce bain de lumière méditerranéenne s’associe ainsi aux souvenirs d’Orient dont Ziem reconstitue sur ses toiles l’enchantement.
Ici, écrit-il, « on respire déjà l’air brûlant qui vous enivre des parfums mystérieux de l’Orient ». Sa main souple et habile jette sur la toile de beaux morceaux de paysage où le ciel est limpide et l’eau azurée.

Le peintre de Venise

« Venise, du premier coup, il le sent, ça va être la ville de sa peinture. Il y trouve tout ce qu’il aime : la coloration, la mer, le meublant pittoresque de la marine » Edmond de Goncourt, 1872

Le nom de Ziem est à jamais indissociable de la Sérénissime. Depuis son premier séjour dans la cité des Doges en 1842, jusqu’à son dernier voyage au Père-Lachaise où le lion de Saint-Marc veille sur la tombe du maître depuis 1911, Venise a fait battre le coeur du peintre. La ville lui inspira ses plus belles toiles et lui offrit même quelques conquêtes amoureuses, comme Lina, sa maîtresse, « aussi belle qu’irascible » selon le critique Pierre Miquel. Il effectue près de vingt séjours à Venise. Il y loue fréquemment des embarcations qu’il fait aménager en ateliers flottants, afin de pouvoir peindre la ville sur l’eau et ainsi choisir les points de vues le plus pittoresques offrant les plus beaux effets de lumière.
Venise, l’église de Crescuati 1870 - 1880. Huile sur carton 21.3x25.6 cm. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais © Petit Palais / Roger-Viollet
Venise, l’église de Crescuati 1870 - 1880. Huile sur carton 21.3x25.6 cm. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais © Petit Palais / Roger-Viollet

Ziem et ses marchands

Actif de 1845 à 1910, Ziem fut un artiste prolixe, à la longévité exceptionnelle. On estime sa production à plus de 10 000 dessins et 6 000 peintures. Ses origines modestes, sa formation au dessin et à l’architecture en dehors des ateliers de l’école des Beaux-arts de Paris, font de lui un peintre indépendant, peu soutenu par la critique.
Sa carrière est pourtant celle d’une exceptionnelle réussite commerciale, menée avec le soutien des marchands d’art les plus actifs. Ceux avec lesquels Ziem choisit de travailler sont installés dans le quartier Drouot, à Paris : Goupil et Boussod, Beugniet, Durand-Ruel, Petit, Febvre. En 1872, l’année record pour ses ventes, Ziem gagne près de 200 000 francs. La moitié des peintures vendues représentent Venise.
Le prix de vente de ses oeuvres a doublé en presque cinquante ans. Le record est atteint à la vente Moreau Nélaton, où un Grand canal à Venise est vendu 49 500 francs. La cote de Ziem reste bien établie dans les premières années du XXe siècle - une vue de Venise se négociant, en vente publique, entre 5 500 et 15 000 francs. Des prix que les Impressionnistes tels Renoir, Morisot ou Sisley tendent désormais à atteindre et vont bientôt à dépasser.
La renommée de l’artiste se mesure également au succès de la diffusion de son oeuvre par la gravure. OEuvre phare de la donation de 1905, Le Coup de canon fut gravée par Brunet-Debaisne.

L’Orient, variations

« Nouvelle phase, nouvelle époque dans ma vie. Oh de quels termes se servir pour exprimer ce que je viens de voir. Tout l’Orient vient de se dérouler devant mes yeux. L’homme qui a vu et a été frappé n’oublie jamais » Ziem, 1856

Félix Ziem songe à se rendre à Constantinople dès 1855, mais les conflits dans la région, (guerre de Crimée) l’en empêchent. C’est finalement à la mi-juin de l’année suivante, qu’il embarque à Marseille pour atteindre les rives du Bosphore le 18 juillet. C’est seul qu’il arpente Istanbul, se mêle à la foule à l’ombre des coupoles et des minarets. Cet unique séjour nourrira jusqu’à sa mort, en 1911, ses rêves orientalistes. Ainsi, le 20 août 1856, il écrit dans son journal « M’y voici donc et mes aspirations ne me trompaient point, car c’est ici la chaleur, l’harmonie colorée et enveloppée sur les formes les plus variées, les plus pittoresques, celles qui réjouissent l’oeil, l’amusent, le principe des beaux jours de Venise. Tout y est ennobli par la couleur et la forme. Mendiant ou monarque y sont également beaux en peinture. »
Son séjour se prolonge jusqu’au 20 septembre, date à laquelle il se met en route pour l’Egypte en passant par Smyrne, Rhodes, Beyrouth et Damas. Il est à Alexandrie le 8 octobre 1856 descend le Nil jusqu’à Thèbes ; visite Assouan et Philae avant de regagner la France, après des escales en Grèce puis en Sicile.
De retour à Paris, ses premières toiles directement inspirées de ce voyage en Orient sont présentées aux Salons de 1857 et 1859. Il décline inlassablement la silhouette de minarets et de coupoles en arrière plan de ses vues d’Istanbul. La ville ainsi réinventée est prétexte à toutes les variations atmosphériques.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 23 Novembre 2012 à 14:29 | Lu 846 fois

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