L’exposition de la Galerie du Palais de l’Europe à Menton permet d’apprécier le travail, les pensées, les contradictions et les humeurs d’un artisan de la plume et du pinceau dont Frank Elgar (1) disait qu’il « déchire les oripeaux du mensonge, de la vanité, de l’imposture, du despotisme ». Roger Fressoz (2) quant à lui nous apprend que Moisan, l’homme, ressemblait selon les jours ou les heures, à un boucanier des mers du Sud, un aventurier moyenâgeux, un chevalier partant en croisade ou un grand rôdeur de tavernes. Souvent les quatre en même temps !
De fait, comment présenter ce volcan sans se brûler les doigts ? Il était féroce contre l’injustice et s’exprimait depuis 1934, après l’affaire Stavisky, dans le journal d’Eugène Merle, Le Merle Blanc (ses débuts dans la presse contestataire). Il incarnait en cela une autre pensée de Frank Elgar : « L’art satirique est essentiellement un langage de contestation. » A cette époque, Moisan décide de dessiner avec sa plume directement à l’encre, sans charpente préalable au crayon, même pour ses plus grandes fresques réalisées plus tard pour le Canard Enchaîné : le plafond de l’Opéra de Paris ou la cathédrale de Bourges.
Cette exposition présente l’évolution rapide de ses dessins politiques sous la IIIe République. Ses têtes de Turc de l’époque étaient Edouard Herriot (qu’il retrouvera sous la IVe République), Léon Blum, le président Doumergue, sans parler d’Adolf Hitler et de Benito Mussolini.
De retour à Vanves près de Paris, après sa mobilisation en 1939, il reprend contact avec quelques journaux parisiens surveillés par la censure allemande. Jusque fin 1942, Moisan publie sous l’occupation des dessins non politiques mais assez satiriques concernant la période des restrictions, ce qui lui vaut quelques ennuis. Il décide de rejoindre sa famille envoyée par l’Education nationale près de Vesoul, pour cause de lourd déficit alimentaire à Paris. En 1945, il intègre le groupe Amaury et fournit des dessins politiques et d’humour pour Carrefour et Le Parisien Libéré, jusqu’à son entrée au Canard enchaîné. Avec ses amis dessinateurs Michel Douay, Carbi, Ange Michel, Gus, Pouzet, Sempé, il réalise de grandes pages d’humour complexes en mise en page. Il est également critique de cinéma dans les journaux L’Objectif et Spectateur. Cette autre passion se retrouvera transcrite en dessins politiques par la suite.
L’exposition de la Galerie du Palais de l’Europe présente un certain nombre de ses dessins politiques de la IVe République. A cette époque les ministres se succédaient rapidement. Moisan faisait défiler sur ses pages blanches des personnages qui changeaient plusieurs fois de ministères, tels Edgar Faure, Pinay le financier, Robert Schuman père de l’Europe, Guy Mollet, François Mitterrand et Pierre Mendès France. Une page tirée d’un livre sur la IVe République illustre cette période d’instabilité.
Il caricature également le Général de Gaulle avant son « passage de témoin » avec le président Coty. De Gaulle est ensuite élu Président de la République au suffrage universel. Moisan disait à ce propos : « Enfin, de Gaulle arriva, avec sa grande gueule, sa tête remarquable pour la caricature, car on pouvait lui faire tout exprimer, il était une institution à lui tout seul. »
Roger Fressoz racontait : « Ce n’est pas Moisan qui fait ressemblant, c’est de Gaulle qui finit par ressembler à sa caricature. » Yvan Audouard (3) renchérissait en expliquant : « Moisan prévoit ce que son modèle va devenir. »
Beaucoup de grands dessins illustrent cette période des quatre présidents de la Ve République, le Général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Jacques Chirac est représenté en tant que maire de Paris. Il n’arrivera à la présidence qu’après le décès de Moisan en février 1987.
Une partie de cette exposition est également consacrée à des dessins d’hommes politiques étrangers, des artistes, des écrivains, des journaux très contestataires comme Liberté de Louis Lecoin, Le réfractaire de May Piqueray, ainsi qu’à des affiches de théâtres et d’expositions. Un film de Bernard Baissat sur Moisan « Aux quatre Coin-coins du Canard » sera projeté au cours de cette exposition.
Jean Lacouture (4) a résumé ainsi Moisan : « Sur la maison de Moisan, qui domine Menton, entre ciel et mer, on inscrira, peut-être, qu’il fut Peintre de la Cour, mais valet de personne. »
Octobre 2012
1 Frank Elgar a été critique d’arts graphiques dans l’hebdomadaire Carrefour.
2 Roger Fressoz, alias André Ribaud. Rédacteur en chef du Canard Enchaîné et rédacteur associé à Moisan dans la rubrique La Cour.
3 Yvan Audouard. Ecrivain et rédacteur au Canard enchaîné.
4 Jean Lacouture. Historien et préfacier du livre « Moisan, dix ans d’histoire en cent dessins » (Albin Michel)
De fait, comment présenter ce volcan sans se brûler les doigts ? Il était féroce contre l’injustice et s’exprimait depuis 1934, après l’affaire Stavisky, dans le journal d’Eugène Merle, Le Merle Blanc (ses débuts dans la presse contestataire). Il incarnait en cela une autre pensée de Frank Elgar : « L’art satirique est essentiellement un langage de contestation. » A cette époque, Moisan décide de dessiner avec sa plume directement à l’encre, sans charpente préalable au crayon, même pour ses plus grandes fresques réalisées plus tard pour le Canard Enchaîné : le plafond de l’Opéra de Paris ou la cathédrale de Bourges.
Cette exposition présente l’évolution rapide de ses dessins politiques sous la IIIe République. Ses têtes de Turc de l’époque étaient Edouard Herriot (qu’il retrouvera sous la IVe République), Léon Blum, le président Doumergue, sans parler d’Adolf Hitler et de Benito Mussolini.
De retour à Vanves près de Paris, après sa mobilisation en 1939, il reprend contact avec quelques journaux parisiens surveillés par la censure allemande. Jusque fin 1942, Moisan publie sous l’occupation des dessins non politiques mais assez satiriques concernant la période des restrictions, ce qui lui vaut quelques ennuis. Il décide de rejoindre sa famille envoyée par l’Education nationale près de Vesoul, pour cause de lourd déficit alimentaire à Paris. En 1945, il intègre le groupe Amaury et fournit des dessins politiques et d’humour pour Carrefour et Le Parisien Libéré, jusqu’à son entrée au Canard enchaîné. Avec ses amis dessinateurs Michel Douay, Carbi, Ange Michel, Gus, Pouzet, Sempé, il réalise de grandes pages d’humour complexes en mise en page. Il est également critique de cinéma dans les journaux L’Objectif et Spectateur. Cette autre passion se retrouvera transcrite en dessins politiques par la suite.
L’exposition de la Galerie du Palais de l’Europe présente un certain nombre de ses dessins politiques de la IVe République. A cette époque les ministres se succédaient rapidement. Moisan faisait défiler sur ses pages blanches des personnages qui changeaient plusieurs fois de ministères, tels Edgar Faure, Pinay le financier, Robert Schuman père de l’Europe, Guy Mollet, François Mitterrand et Pierre Mendès France. Une page tirée d’un livre sur la IVe République illustre cette période d’instabilité.
Il caricature également le Général de Gaulle avant son « passage de témoin » avec le président Coty. De Gaulle est ensuite élu Président de la République au suffrage universel. Moisan disait à ce propos : « Enfin, de Gaulle arriva, avec sa grande gueule, sa tête remarquable pour la caricature, car on pouvait lui faire tout exprimer, il était une institution à lui tout seul. »
Roger Fressoz racontait : « Ce n’est pas Moisan qui fait ressemblant, c’est de Gaulle qui finit par ressembler à sa caricature. » Yvan Audouard (3) renchérissait en expliquant : « Moisan prévoit ce que son modèle va devenir. »
Beaucoup de grands dessins illustrent cette période des quatre présidents de la Ve République, le Général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Jacques Chirac est représenté en tant que maire de Paris. Il n’arrivera à la présidence qu’après le décès de Moisan en février 1987.
Une partie de cette exposition est également consacrée à des dessins d’hommes politiques étrangers, des artistes, des écrivains, des journaux très contestataires comme Liberté de Louis Lecoin, Le réfractaire de May Piqueray, ainsi qu’à des affiches de théâtres et d’expositions. Un film de Bernard Baissat sur Moisan « Aux quatre Coin-coins du Canard » sera projeté au cours de cette exposition.
Jean Lacouture (4) a résumé ainsi Moisan : « Sur la maison de Moisan, qui domine Menton, entre ciel et mer, on inscrira, peut-être, qu’il fut Peintre de la Cour, mais valet de personne. »
Octobre 2012
1 Frank Elgar a été critique d’arts graphiques dans l’hebdomadaire Carrefour.
2 Roger Fressoz, alias André Ribaud. Rédacteur en chef du Canard Enchaîné et rédacteur associé à Moisan dans la rubrique La Cour.
3 Yvan Audouard. Ecrivain et rédacteur au Canard enchaîné.
4 Jean Lacouture. Historien et préfacier du livre « Moisan, dix ans d’histoire en cent dessins » (Albin Michel)