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Dijon, jardin de la Banque de France : Daniel Buren - Point de vue ascendant, travail in situ. 26 Novembre 2021/Novembre 2022

Après une première édition « hors-les-murs » en 2019, l’association dijonnaise Interface investit à nouveau le jardin du siège régional de la Banque de France à Dijon pour l’implantation d’une œuvre in situ de Daniel Buren.


Le projet de Daniel Buren suit la fo-cale du regard du spectateur depuis l’unique point de vue médian de la rue des Godrans. Ce « cône de vision » détermine la forme du long plancher évasé installé sur le gazon, courant sur 35 mètres dans la profondeur du parc avant de se re-dresser abruptement au milieu du jardin selon la même inclinaison que celle du toit de l’hôtel particulier du 17e siècle. Le motif reproduit sur la structure est inspiré de la garniture typiquement bourguignonne du toit en tuiles vernissées. Le tracé originel des losanges imbriqués se combine avec le vocabulaire de Daniel Buren fait de bandes alternées (de largeur 8,7 cm) et d’aplats de couleurs, créant un accord nouveau.
Photo-souvenir : Daniel Buren, Point de vue ascendant, travail in situ, oct. 2021, Hôtel de la Thoison, Banque de France, Dijon, Photo : Bruce Aufrere / TiltShift © Daniel Buren/Adagp
Photo-souvenir : Daniel Buren, Point de vue ascendant, travail in situ, oct. 2021, Hôtel de la Thoison, Banque de France, Dijon, Photo : Bruce Aufrere / TiltShift © Daniel Buren/Adagp

La mise en place du projet par Daniel Buren

Si l’idée suscite l’intérêt de Daniel Buren dès juillet 2019, il faudra attendre sa venue en février 2020 pour avancer dans l’élaboration d’un projet. Découvrir l’espace afin de comprendre divers enjeux du site fut une étape indispensable pour poser les bases de la proposition ; déambuler dans le parc, étudier le/les point(s) de vue depuis la rue, surtout observer la façade et la toiture. Après cette visite, la première période de confinement dur lié à l’épidémie du Covid-19 (avril 2020) permet d’une certaine façon à Daniel Buren de penser un projet spécifique pour Dijon. Les échanges se font intensifs alors que nous sommes tous bloqués en télétravail !

Très rapidement, l’intérêt de Daniel Buren se porte sur la toiture, caractéristique d’une histoire bourguignonne. Il en demande un relevé précis du motif des tuiles vernissées pour concevoir le dessin spécifique destiné au projet et, au fil des mois et ce jusqu’à l’été 2021, un plan d’implantation s’élabore prenant visuellement appui sur le toit de l’Hôtel de la Thoison.

Le projet repose sur une forme de long plancher qui vient buter sur un plan incliné assez abrupt, en avancée au milieu du jardin. Différentes options de plans inclinés ont été étudiées, toujours en tenant compte de l’unique point de vue médian depuis la rue des Godrans. La focale du regard détermine le dessin général de l’œuvre. Celle-ci se compose d’une partie plate évasée suivant deux diagonales, surélevée d’une quarantaine de centimètres au-dessus du gazon, courant sur 35 mètres pour se redresser rapidement selon la même inclinaison que celle du toit. Cette pente terminale, recouverte de losanges colorés, située à 25 mètres de la façade du bâtiment (qui se trouve donc derrière) vient, par le regard, se raccorder avec les motifs de la toiture.

L’angle de vue depuis la grille a été un paramètre déterminant dans la définition de ce « cône de vision ». L’impression de décentrement est due à l’emplacement du bâtiment qui n’est pas parallèle à la rue.

Le motif reproduit sur la structure est inspiré de la garniture du toit. Le tracé originel des losanges imbriqués se combine avec le vocabulaire de Daniel Buren fait de bandes alternées (de largeur 8,7 cm) et d’aplats de couleurs, créant un accord nouveau. Les rayures noires et blanches uniformisent les éléments et, en même temps, par opposition avec les obliques et les bords extérieurs de la composition, apportent un résultat optique dynamisant. Un effet visuel de pulsation se produit : les formes losangiques aux trois tons alternés de jaune, rouge brique, vert se détachent de l’ensemble du pattern, tandis que les rayures animent l’arrière-plan tout en tramant une fuyante en direction du fond du jardin. Daniel Buren donne à voir, au plus proche de la grille délimitant le point de vue, un motif complet à l’échelle 1/1 reprenant les formes représentées par les tuiles vernissées du toit, permettant de mieux percevoir le rapport d’échelle et les dimensions impressionnantes réelles de ce jardin et du bâtiment situé à 75 mètres.

Cette œuvre a également pris en compte les saisons (volume du feuillage des arbres adjacents à gauche et à droite). De part et d’autre de l’œuvre, la façade reste dévoilée avec ses percements, volets, étages et autres détails architecturaux. Le dialogue entre l’œuvre et le bâtiment joue par contraste avec logique, justesse et finesse.

Un mouvement visuel opère : le jardin donne l’impression de se redresser, son étendue habituellement « vide » se couvre d’une parure de motifs ornementaux « à la française » ; mais l’œuvre in situ semble aussi posée là simplement comme une feuille de dessin dans l’espace du jardin.

Daniel Buren relie donc le jardin à l’architecture. À partir d’un point de vue unique, l’œuvre in situ opère un passage de l’horizontalité à la verticalité via un plan incliné, respectant les caractéristiques du bâtiment.
L’interdiction d’accéder physiquement à l’œuvre (donnée contraignante et obligatoire), ainsi que la restriction du point de vue ne sont pas des situations habituelles dans les travaux de Daniel Buren. Plus souvent, le spectateur/visiteur est au contraire invité à circuler autour ou dans ses œuvres afin d’en découvrir des aspects très variés. Dans l’élaboration de pièces in situ, chaque axe d’approche est exploité. Pour le projet conçu à Dijon, l’éloignement est de rigueur et cette contrainte participe de l’œuvre accomplie.

Point de vue ascendant, travail in situ doit être saisie, dans son entier, à travers les barreaux d’une grille, depuis le trottoir. Tenu à distance, le spectateur/passant se trouve face à une perspective sans convergence de lignes et cependant déstabilisante. Daniel Buren réfute tout rapport d’illusion, tout artifice. Sur cette surface peinte, juste des effets optiques dus à la répétition du motif et des couleurs évoquant un tapis qu’on déroulerait selon un sens inversé au point de fuite central puis ascensionnel.

Dans les années 1970, 1980 et 1990, Daniel Buren explore déjà des dispositifs in situ qui prennent en compte le point de fuite et la perspective. Par exemple, en 1971, au Guggenheim à New York, l’œuvre suspendue jouait déjà de la sorte ou sur une œuvre composée de panneaux bordant l’autoroute entre Düsseldorf et Mönchengladbach. On a pu également retrouver cette problématique lors d’expositions au Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq, au Magasin, centre national d’art contemporain de Grenoble, à la Villa Redenta à Spoleto, en Italie, au musée du Québec, à la Hamburger Bahnhof, Berlin, au Touko Museum of Contemporary Art, Tokyo, à l’Institute of Contemporary Arts à Nagoya, au Japon, au Mont-Sion, Jérusalem ou dans le Parc national Kimpo, en Corée du Sud.

Pour soutenir de tels projets autoportés, Daniel Buren a le plus souvent recours à des structures simples, démontables, vouées à disparaître. Dans l’œuvre de Dijon, l’échafaudage positionné sous la surface, restera volontairement visible latéralement.
L’œuvre originale de Daniel Buren, Point de vue ascendant, travail in situ, est prévue pour être temporaire. La référence au théâtre extérieur et à ses dispositifs, gradins, plancher, décors, le placement des spectateurs et leur éloignement est assumée, tant le site évoque lui-même une scène classique. Ainsi le caractère éphémère du projet s’inscrit-il dans la forme de l’œuvre.

On peut également souligner que pour son dessin coloré, Daniel Buren utilise pour la première fois une impression numérique sur bâche pour résister aux aléas climatiques. Lorsqu’on parle d’œuvre in situ, on oublie parfois que la temporalité de sa présentation, le climat, l’orientation de la pièce, sont des données qui déterminent aussi la matérialité de l’œuvre, tout autant que le cadre environnemental et architectural par exemple.
Revisiter le parc de l’hôtel de la Banque de France par une création contemporaine constitue l’intention première d’Interface. Daniel Buren a répondu présent en concevant un projet spécifique pour Dijon, un travail in situ, selon un mode d’intervention si souvent exploré par lui, et ici renouvelé. À partir d’un point de vue, le parc restera « ouvert » au(x) regard(s) et aux réflexions que ne manquera pas de susciter cet impressionnant volume. Il se peut que l’obstruction partielle du bâtiment attise le travail de la mémoire : comment regardons-nous les choses, et même les plus prestigieuses telles les monuments, comment nous en souvenons-nous, comment les redécouvrons-nous lorsqu’ils nous apparaissent autrement ?
À coup sûr, Daniel Buren a trouvé la clé de l’hôtel de la Banque de France pour pénétrer dans son jardin et le révéler autrement aux regards des passants.
Frédéric Buisson Commissaire Interface, Dijon

Daniel Buren - BJRV in situ sur plateau, exposition au musée des beaux-arts de Dijon - 17 novembre 2021•28 février 2022

Simulation en photomontage de l’oeuvre de Daniel Buren, BJRV in situ sur plateau, MBA, Dijon, 2021
Simulation en photomontage de l’oeuvre de Daniel Buren, BJRV in situ sur plateau, MBA, Dijon, 2021
RENCONTRE AVEC UN FORMAT
Grâce à un partenariat initié par l’association Inter-face, le Musée des Beaux- Arts de Dijon réactive un ensemble d’éditions de Daniel Buren, issu du projet développé par l’artiste en 2013 pour la page centrale du journal horsd’oeuvre n°32.
Le journal, édité par Interface, propose à chaque numéro une page blanche centrale, offerte comme support à un artiste invité, et conçue comme une extension à son activité de programmation d’expositions.
Sur le format A2 du journal (59,4 x 42 cm), DB a laissé le champ ouvert à 4 possibilités grâce à 4 couleurs (bleu, jaune, rouge, vert) utilisées une par une, à chaque quart du tirage global avec un renversement ou/et une inversion « en miroir » de la forme proposée, qui permettent d’obtenir 4 pages différentes. Pour réunir une vue d’ensemble, il fallait donc, au moment de la diffusion du journal, cueillir 4 exemplaires différents déposés arbitrairement dans les lieux d’art contemporain où il est distribué.
Chaque page fonctionne toutefois de façon autonome, sans trahir le principe de base du travail de l’artiste, malgré le format imposé : une répartition de rayures verticales (d’une largeur habituelle de 8,7 cm) à partir du centre du papier, le tout coupé par sa diagonale pour former un aplat de la même couleur que les rayures qui formaient le reste du format. La largeur du papier n’étant pas un multiple exact de 8,7 cm, les bandes sur les extrémités gauche et droite sont légèrement plus petites : ce n’est donc pas une erreur d’impression, la diagonale ne passe pas tout à fait par les angles du papier. Ces dimensions données offrent à l’artiste une manière de questionner la notion d’espace, de hors champ, et d’amorcer une réflexion au-delà du format imposé. La diagonale est tracée comme si les bandes extrêmes étaient complètes, d’où ce décalage de quelques millimètres par rapport à l’angle du papier. Le jeu des 4 couleurs, le renversement ou basculement du dessin original apportent de la matière à faire œuvre et pas seulement édition.
Au moment de certifier les éditions, l’artiste propose deux principes fondamentaux qui déterminent la façon de les présenter. Il s’agit tout d’abord de respecter l’ordre alphabétique des couleurs de haut en bas (donc : bleu, jaune, rouge, vert) et de présenter les unes au-dessus des autres les 4 éditions. Une liberté est laissée à l’acquéreur de tourner dans un sens ou dans l’autre (tête-bêche) chacune des éditions en respectant évidemment le sens des rayures verticales. Ce détail produit au final 16 variantes d’accrochage à partir d’un même ordre des couleurs.

Dans une nouvelle configuration, à plat sur un plateau permettant une vue plongeante opposée à la lecture habituelle sur murs verticaux, l’œuvre vient poser sa rigueur géométrique et ses combinatoires géométriques au sein du décor médiéval de la Tour de Bar, le plus ancien bâtiment du musée. Cette présentation témoigne du dialogue toujours fécond qu’entretiennent le musée et sa collection avec l’art d’aujourd’hui.
Au-delà de l’installation, Interface fait don au musée d’une série de quatre tirages originaux numérotés par l’artiste, qui permettra à l’œuvre de Daniel Buren de faire son entrée dans les collections du Musée des Beaux-Arts de Dijon.
Après les expositions Yan Pei-Ming L’Homme qui pleure, organisée en 2019 en partenariat avec le Consortium, et après Halle 38 années tropiques, fruit en 2020 d’un travail en commun avec le Frac Bourgogne, associant des jeunes artistes pour la plupart issus de l’ENSA de Dijon, le Musée des Beaux-Arts poursuit une politique de collaboration avec les acteurs de l’art contemporain dijonnais en offrant à Interfaces la possibilité d’investir une salle du musée. Cette présentation des éditions de Daniel Buren au musée des Beaux-Arts s’inscrit en écho à l’œuvre Point de vue ascendant, travail in situ produit par Interface pour le jardin de la Banque de France et visible par tous depuis la rue piétonne des Godrans à Dijon.

Info+

INTERFACE
12, rue Chancelier de l’Hospital
21000 Dijon
www.interface-art.com
tél. +33 (0)3 80 67 13 86
contact@interface-art.com
Ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h & sur rendez-vous

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE DIJON
Palais des ducs et des États de Bourgogne Place de la Sainte-Chapelle
21000 Dijon
beaux-arts.dijon.fr
tél. +33 (0)3 80 74 52 09
dmp@ville-dijon.fr
Ouvert tous les jours sauf le mardi :
du 1er octobre au 31 mai : de 9h30 à 18h
du 1er juin au 30 septembre : de 10h à 18h30
Fermé les mardis, ainsi que le 1er janvier.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Mercredi 3 Novembre 2021 à 19:14 | Lu 461 fois

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