Ulla von Brandenburg, vue d’exposition, Après L'Argent, 2014 © Ilmari Kalkkinen - Mamco, Genève
Sur les six expositions temporaires proposées, quatre sont en effet réalisées par des femmes. Il s’agit de Ulla von Brandenburg, Sonia Kacem — lauréate du Prix Culturel Manor 2014 —, Marcia Hafif et Amy O’Neill. Du côté des hommes, l’artiste suisse Stéphane Zaech propose, quant à lui, des peintures étranges qui malmènent le corps humain et inquiètent le regard du spectateur. La sixième proposition rend hommage à Claude Rychner, décédé en 2014, un des membres fondateurs du groupe Écart avec John M Armleder et Patrick Lucchini. Sont également présentés quatre ensembles monographiques issus de la collection du musée : d’une part les dessins de François Martin et de Dennis Oppenheim, que le Mamco a récemment reçus en don ; d’autre part, les poèmes de Carl Andre ainsi que les œuvres vocales de Kristin Oppenheim.
Ulla von Brandenburg, 24 Filme, kein Schnitt
Sur la totalité du quatrième étage, l’artiste allemande Ulla von Brandenburg présente 24 Filme, kein Schnitt, une exposition qui réunit pour la première fois la totalité des films réalisés par l’artiste depuis 2000. Comme le titre de l’exposition l’indique, aucune coupe, aucun montage autre que celui permis par la caméra ne vient rythmer ces productions. Elles se livrent à l’état brut, sans artifice. La plupart sont ainsi constituées d’un seul plan séquence et leur durée n’excède pas celle de la pellicule avec laquelle elles sont tournées. Le noir et blanc y atténue les détails, le mouvement de la caméra est vaporeux, tandis que les décors, vêtements et accessoires ne révèlent aucune période ou lieu en particulier. Une perte de repères spatiaux et temporels qui donne au parcours de l’ex-position l’allure d’une rêverie symboliste de laquelle émergent des fragments de comptines, des séances spirites, des tours de magie, ou des rituels folkloriques. Célèbre pour ses sculptures et ses installations, Ulla von Brandenburg donne ainsi à voir au Mamco un aspect moins connu de son travail.
Marcia Hafif, Photographies
Au premier étage du musée, dans les Salles Ménard et Pécuchet, se déploie l’exposition de l’artiste américaine Marcia Hafif, sobrement intitulée Photographies. Au retour d’un séjour en Italie, M. Hafif délaisse la peinture au profit de la photographie, de la vidéo et de l’installation afin de ne plus dépendre, dit-elle, d’un seul médium. Dans la série U.C.I Gallery, Irvine, CA 1971, 1-12 qu’elle réalise en 1971, elle photographie la galerie où doit être exposé son travail. Chaque tirage noir et blanc est un détail de l’espace lui-même : prise électrique, plinthe, sol, détails du plafond. L’ensemble appar-tient à la période la plus conceptuelle de l’artiste. Les tirages de la série des Pomona Houses, contemporains de ceux pro-duits à l’U.C.I., évoquent, quant à eux, la nostalgie de l’enfance passée à Pomona, ville natale de M. Hafif. Traquant les ves-tiges de son enfance, elle sillonne la ville pendant deux mois et capture avec son appareil photo les quartiers, les voies fer-rées et s’attarde à portraiturer les maisons construites dans les années 1920-1930. L’esthétique qu’elle adopte dans cette série relève des principes concrets appliqués dans sa pein-ture et plus généralement dans l’ensemble de son œuvre depuis les années 1960.
Sonia Kacem, Loulou
Avec Loulou, Sonia Kacem, lauréate du Prix Culturel Manor 2014, présente sur le loft Don Judd (3e étage) une dizaine de constructions pyramidales constituées de tissus de récupération. Les installations de S. Kacem se caractérisent par une attention particulière aux matériaux et au contexte d’exposition. Décrire l’une de ses œuvres revient souvent à associer aux éléments du descriptif technique un geste qui va les spatialiser : éparpiller de la poussière, froisser d’immenses feuilles de papier, briser du verre ou de la céramique, plisser de la résine.
Loulou, le titre de cette exposition, choisi notamment pour sa sonorité enfantine, renvoie au perroquet Loulou de la nouvelle, Un cœur simple, rédigée en 1877 par Gustave Flaubert. Dans ce conte, Félicité, une servante d’un certain âge et un peu simple d’esprit, voue une affection sans borne à son perroquet, Loulou, qu’elle a fait empailler à sa mort. Figure de l’imitation et de la répétition — ce n’est pas une mais bien une dizaine de pyramides en tissu que l’artiste présente ici — le perroquet symbolise également l’exotisme en littérature et en peinture, à l’époque où le mouvement orientaliste est à son apogée. Dans l’esprit occidental du XIXe siècle, quoi de plus exotique en effet qu’une pyramide ? Mais Loulou fait aussi référence à l’esthétique kitsch du Luxor Las Vegas, gigantesque casino-hôtel bâti à l’imitation des pyramides de Gizeh. C’est en effet dans le cadre de sa récente résidence à New York, durant laquelle elle a eu l’occasion de se rendre dans l’État du Nevada, que l’artiste genevoise a eu l’idée de cette exposition où le littéralisme de la forme se fourvoie dans le pastiche monumental.
Loulou, le titre de cette exposition, choisi notamment pour sa sonorité enfantine, renvoie au perroquet Loulou de la nouvelle, Un cœur simple, rédigée en 1877 par Gustave Flaubert. Dans ce conte, Félicité, une servante d’un certain âge et un peu simple d’esprit, voue une affection sans borne à son perroquet, Loulou, qu’elle a fait empailler à sa mort. Figure de l’imitation et de la répétition — ce n’est pas une mais bien une dizaine de pyramides en tissu que l’artiste présente ici — le perroquet symbolise également l’exotisme en littérature et en peinture, à l’époque où le mouvement orientaliste est à son apogée. Dans l’esprit occidental du XIXe siècle, quoi de plus exotique en effet qu’une pyramide ? Mais Loulou fait aussi référence à l’esthétique kitsch du Luxor Las Vegas, gigantesque casino-hôtel bâti à l’imitation des pyramides de Gizeh. C’est en effet dans le cadre de sa récente résidence à New York, durant laquelle elle a eu l’occasion de se rendre dans l’État du Nevada, que l’artiste genevoise a eu l’idée de cette exposition où le littéralisme de la forme se fourvoie dans le pastiche monumental.
Amy O’Neill, Trucks
Dans la série Trucks, Amy O’Neill dessine des camions et des décors de motels. Dans l’imaginaire américain, ceux-ci représentent à la fois l’outil de la traversée du pays et l’étrangeté rencontrée en route. Mais contrairement aux curiosités disséminées au fil des itinéraires, le camion n’est d’abord pas une affaire de touristes. C’est la baleine du bitume, l’incarnation de la souveraineté mécanique qui domine l’étendue du territoire. Plus encore que l’automobile, il est l’objet nomade en perpétuelle migration. Cette qualité de voyageur éternel jointe à la sensation de puissance monumentale et de gigantisme massif a naturellement fait du camion un objet de fascination. Le pare-brise du camion cadre le paysage changeant comme un tableau toujours renouvelé. Mais en plus, le camionneur dort dans sa cabine ; le camion est sa maison roulante.
Amy O’Neill éprouve une vraie sympathie pour l’univers des camionneurs et un goût esthétique pour leur culture visuelle. Mais elle se rappelle que les camions sont aussi des jouets prisés des enfants. Il ne faut dès lors pas s’étonner que ses dessins conservent certains aspects enfantins. C’est donc un regard amusé que porte l’artiste sur ces seigneurs de la route, amusé mais pas moqueur, car en définitive ce que cherche cette série, comme les autres travaux d’Amy O’Neill, est ce qui se charrie aux tréfonds de l’âme américaine.
Amy O’Neill éprouve une vraie sympathie pour l’univers des camionneurs et un goût esthétique pour leur culture visuelle. Mais elle se rappelle que les camions sont aussi des jouets prisés des enfants. Il ne faut dès lors pas s’étonner que ses dessins conservent certains aspects enfantins. C’est donc un regard amusé que porte l’artiste sur ces seigneurs de la route, amusé mais pas moqueur, car en définitive ce que cherche cette série, comme les autres travaux d’Amy O’Neill, est ce qui se charrie aux tréfonds de l’âme américaine.
Stéphane Zaech, Les Voix de la peinture
Les travaux de Stéphane Zaech sont des peintures à l’huile qu’on qualifierait de « classiques » et qui s’accommodent par ailleurs des genres picturaux définis par l’académie : portrait, paysage, peinture allégorique. Mais contrairement aux apparences, S. Zaech ignore préalablement ce qui va advenir sur sa toile. La technique lui permet d’associer librement fragments de mémoire et images du quotidien. Il travaille sur plu-sieurs toiles en même temps, donnant à son atelier des airs de salle d’attente. Sans qu’il soit réellement question de séries, chaque tableau en gestation finit ainsi par contaminer ses voisins.
S. Zaech invoque comme références John Currin ou encore George Condo, deux peintres américains ayant osé la tradition européenne dans un environnement où l’expressionnisme abstrait et le pop art, entre autres, avaient garanti l’émancipation de la peinture de tout carcan. Cette vieille peinture européenne a conservé de son exil américain quelques motifs, un érotisme crapuleux et un humour clownesque. Mais, installée désormais dans l’atelier de l’artiste sur les bords du Léman, elle retrouve une atmosphère particulière, une lumière, des montagnes, des forêts.
S. Zaech invoque comme références John Currin ou encore George Condo, deux peintres américains ayant osé la tradition européenne dans un environnement où l’expressionnisme abstrait et le pop art, entre autres, avaient garanti l’émancipation de la peinture de tout carcan. Cette vieille peinture européenne a conservé de son exil américain quelques motifs, un érotisme crapuleux et un humour clownesque. Mais, installée désormais dans l’atelier de l’artiste sur les bords du Léman, elle retrouve une atmosphère particulière, une lumière, des montagnes, des forêts.
Taxophilia Abissa, un hommage à Claude Rychner
Né en 1969 de l’amitié adolescente entre John M Armleder, Patrick Lucchini et Claude Rychner, le groupe genevois Écart, collectif autonome proche du mouvement Fluxus, aspire à éta-blir des passerelles entre l’art et la vie. Pour Claude Rychner, c’est avant tout le tir à l’arc qui permet de créer ce lien. Auteur de plusieurs publications dédiées à l’archerie, il va jusqu’à faire de cette pratique une véritable philosophie de vie. Le titre de cette exposition renvoie ainsi directement à l’un de ses ouvrages intitulé Toxophilia Abissa. La Source d’où l’on va (1999), la toxophilie, terme dérivé du grec ancien, désignant l’étude ou la pratique de l’archerie. Dans cet essai, Claude Rychner évacue toute notion de compétition de la pratique de l’archer. Le tir à l’arc représente avant tout une philosophie de la concentration, une manière d’accéder pleinement à l’existence. Cette exposition rend hommage à l’homme et à l’artiste qu’était Claude Rychner.
Carl Andre, Seven Books of Poetry
Carl Andre, éminent représentant de l’art minimal américain, est un artiste paradoxal : même si toutes ses pièces font l’économie des gestes traditionnels de la sculpture, il se définit exclusivement comme un sculpteur ; même s’il publie et expose des poèmes, il ne se présente jamais comme un écrivain. En réalité, il pratique la poésie en sculpteur : chez lui, les deux disciplines procèdent d’un même modus operandi puisqu’il s’agit toujours de combiner des éléments « identiques et interchangeables ». Dans Seven Books of Poetry, C. Andre opte ainsi pour un usage concret, formel ou structurel, et non plus grammatical et descriptif, du langage poétique. Il va jusqu’à isoler les mots qu’il préfère exploiter dans une triple dimension : sémantique, mais aussi sonore, visuelle ou plastique. Quant aux sources dans lesquelles C. Andre puise ces mots, elles évoquent, en creux, tout autant son histoire personnelle que celle de l’Amérique. Espace d’expérimentation décisif, ces poèmes cartographient ainsi de manière fragmentée et elliptique ses positions culturelles, historiques, cri-tiques et politiques.
François Martin, L’Amitié (avec Jean-Luc Nancy)
Les deux cent cinquante-neuf dessins qui composent l’expo-sition L’Amitié (avec Jean-Luc Nancy) se répartissent entre plusieurs séries : vingt et une réalisées en 2005 et deux en 2011. Issu de la collaboration amicale entre l’artiste François Martin et le philosophe Jean-Luc Nancy, cet ensemble est montré au premier étage du musée. Depuis plus de quarante ans, les deux amis élaborent une œuvre à quatre mains : F. Martin réalise des dessins qu’il confie à J.-L. Nancy, celui-ci ayant toute liberté d’écrire ce qu’ils lui suggèrent ou de les laisser intacts. Ses annotations, réactions spontanées devant les traits tracés par le peintre sur la feuille, tiennent à la fois du commentaire lacunaire, de la surprise manifestée devant la forme créée, ou encore d’une sorte de perplexité. L’en-semble est à placer sous le signe du jeu entre les deux auteurs ; ce qui prime est une liberté d’expérimentation, c’est-à-dire l’exploration des écarts et des inventions rendus pos-sibles par l’espace du jeu. Le résultat compose un vaste ensemble qui est aussi une correspondance entre l’univers du visible et celui du lisible.
Dennis Oppenheim, Proposals
À la fin des années 1960, Dennis Oppenheim est notamment connu pour ses interventions dans le paysage, interventions dont le mode d’existence se distingue par son caractère éphémère. Les traces documentaires et photographiques, plus qu’un reliquat, rendent compte de l’intentionnalité et du processus de l’œuvre ; l’imagination du spectateur fait le reste. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que D. Oppenheim s’attache véritablement à proposer des sculptures pérennes, non plus dans la nature mais dans l’espace urbain. Les soixante-deux Proposals présentés au Mamco se situent précisément à l’intersection de ces deux types de travaux. En se penchant de plus près sur ces plans, on se rend vite compte que nombre d’entre eux n’appellent aucune réalisation concrète. L’artiste invente des confrontations de matières, des organisations de l’espace qui resteront utopiques. La dimension processuelle, très importante dans le travail d’Oppenheim de ces années-là, est ici encore incontournable. Parallèlement à ces plans, le Mamco expose régulièrement huit maquettes des Proposals. Les maquettes et les plans se complètent et s’éclairent mutuellement. De plus, dès lors que l’artiste traduit certains dessins en objets tridimensionnels, il n’est plus possible de les interpréter comme de simples croquis d’idées mais bien comme une réflexion sur l’organisation spatiale et sur la qualité des lignes que trace l’activité humaine.
Kristin Oppenheim, Cry me a River
Depuis les années 1990, Kristin Oppenheim développe une œuvre chantée au sein même de l’espace d’exposition. Ses pièces vocales se présentent sous la forme de reprises de chansons classiques américaines ou de textes originaux relevant souvent d’un registre mélancolique. Dans Cry Me a River, qui emprunte son titre à une chanson d’amour devenue un standard du jazz, le Mamco propose une sélection d’œuvres vocales datant des débuts de l’artiste et dont le procédé est sensiblement le même : une voix chantée répond à une autre comme en écho. Elles sont diffusées sans autre soutien visu-el que quatre enceintes accrochées discrètement au mur. En s’immergeant dans ces installations sonores qui tournent en boucle, le visiteur se retrouve au cœur du chant et entre dans un processus de remémoration. Lorsqu’il sort de l’exposition, il garde ainsi en tête l’air qui s’est inscrit en lui grâce à la répé-tition. À travers ces œuvres vocales, K. Oppenheim cherche à provoquer une émotion chez le visiteur. À mesure qu’il s’approche des enceintes, la voix, de plus en plus présente, finit par l’envelopper en douceur.
Pratique
Mamco
Musée d’art moderne et contemporain
10, rue des Vieux-Grenadiers
CH-1205 Genève
tél. + 41 22 320 61 22
fax + 41 22 781 56 81
www.mamco.ch
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