Sean Scully, « Wall of Light Blue Black Sea », 2009 Oil on aluminum, 215.9 x 190.5 cm © ADAGP, Paris 2011
Le visiteur est ainsi immergé dans un bain de couleur et de peinture, plongé dans un climat mystérieux, spirituel et poétique d’une puissance exceptionnelle, qui s’adresse aux sens, à l’esprit et à l’âme. Le grand compositeur américain Morton Feldman qui a été très proche des grands peintres de l’école de New York, a écrit qu’une lignée de peintres a suivi un chemin singulier qui a maintenu l’art en vie : « si je puis retracer ce chemin... si disons, je commence avec Piero della Francesca, continue avec Rembrandt, jusqu’à Mondrian, puis Rothko et Guston – une certaine sensation commence à émerger : la sensation que nous ne regardons pas la peinture, mais que c’est la peinture qui nous regarde ».
Les oeuvres des artistes cités par Feldman donnent le sentiment d’une énigme et c’est dans celle-ci que réside le pouvoir hypnotique de leurs oeuvres.
S’il nous l’est permis, nous aimerions ajouter à cette liste prestigieuse les noms de Giorgio Morandi et de Giacometti.
Gotthard Graubner, Lawrence Carroll et Sean Scully entrent à l’évidence dans cette catégorie très fermée de peintres. L’art que ces artistes rares produisent est celui du silence, de la transcendance et du mystère.
Ces propos de Mark Rothko (une de leurs grandes références communes) me semblent parfaitement traduire leur univers artistique :
« Je ne m’intéresse pas, disait Rothko, aux relations de couleur ou de forme ou de quoi que ce soit d’autre. [...] je ne m’intéresse qu’à l’expression des émotions humaines fondamentales – tragédie, extase, mort et j’en passe - et le fait que beaucoup de gens s’effondrent et fondent en larmes lorsqu’ils sont confrontés à mes tableaux montre que je communique ces émotions humaines fondamentales. [...] Les personnes qui pleurent devant mes tableaux font la même expérience religieuse que celle que j’ai eue lorsque je les ai peints. ».
Sean Scully révèle que Rothko considérait ses peintures comme des drames, et les formes contenues dans celles-ci représentaient les comédiens. Sean Scully en conclut que dans son essence la peinture de Rothko possède le même type de représentation dramatique que chez Rembrandt. Comme Rothko, Scully récuse tout caractère purement formel à sa peinture, et fait de celle-ci le véhicule d’émotions humaines, souvent liées à la présence symbolisée de personnages ou d’événements personnels tels la mort d’un fils, le souvenir d’une scène dramatique à laquelle il a assisté, etc. Scully se compare à un tunnel traversé par des émotions qu’il transforme en peinture. Ses tableaux d’une taille très impressionnante, laissent le spectateur interdit, frappé par l’impact physique et spirituel produit par cette peinture à la lumière mystérieuse et aux couleurs profondes, passées en couches sensuelles – Scully n’hésite pas à conférer un caractère sexuel à sa peinture.
Gotthard Graubner poursuit une démarche similaire.
Ses peintures, bien que non figuratives pour l’observateur extérieur, représentent pour lui des corps, des organes vivants dont la surface de la toile est la peau qu’irrigue la couleur venue de l’intérieur. Pour parvenir à traduire physiquement cette conception spirituelle de la peinture, Graubner a été amené à réaliser des sortes d’énormes coussins constitués par une couche volumineuse de coton synthétique placée entre le châssis et la toile.
La peinture est alors étendue en couches très fluides qui s’écoulent à travers la toile à l’intérieur du « coussin ». La succession des couches de couleurs différentes crée des irisations et d’extraordinaires nuances comme si la couleur émergeait des profondeurs du tableau. Graubner se réfère à ces mots de Cézanne pour expliquer ce processus : « la nature n’est pas à la surface ; elle est en profondeur. Les couleurs sont l’expression de cette profondeur à la surface. Elles révèlent l’origine du monde. Elles sont sa vie. ».
Les échos profonds et prolongés que produit la peinture de Graubner sont amplifiés comme chez Scully par la taille monumentale de ses tableaux. Chez Graubner plus que chez tout autre artiste la couleur est à la fois le moyen et le sujet même de sa peinture. Il peint la couleur.
À l’opposé de Gotthard Graubner et de Sean Scully, Lawrence Carroll utilise peu la couleur. Ses toiles généralement monochromes et blanches possèdent également des dimensions monumentales, et leur épaisseur peut dépasser quarante centimètres. Elles sont constituées de pièces de toile et de tissus que l’artiste assemble, colle ou agrafe ensemble sur de gigantesques châssis qu’il réalise luimême dans son atelier vénitien. Ces assemblages grossiers mais subtils ne sont pas réalisés à partir d’un schéma préétabli, mais résultent d’essais infructueux successifs qui laissent visibles leurs cicatrices et donnent à cette peau usée la patine et l’usure du temps. Comme celles de Scully et de Graubner les oeuvres de Carroll n’obéissent pas à une démarche formaliste mais conservent les traces et les cicatrices de la vie et transmettent les émotions que l’artiste a éprouvées : la mort du père, le souvenir de la maison délabrée de son enfance, les objets inlassablement ravaudés et rafistolés par sa mère qui n’avait pas les moyens de les remplacer.
Le blanc lui-même est sali par des coulures de peinture qui ajoutent à ses imperfections ; les bords de ces tableaux-reliefs sont cabossés comme à la suite d’innombrables déménagements ; des objets improbables sont quelquefois fixés sur la peau de l’oeuvre : une ampoule électrique, du lierre, des vieilles chaussures... tout cela forme un monde énigmatique et secret dont le sens échappe au visiteur, mais laisse une impression profonde dont la durée perdure longtemps après qu’il a déserté les oeuvres. Comme Gotthard Graubner, Lawrence Carroll aime que ses peinturesreliefs soient présentées dans une lumière un peu crépusculaire pour ajouter à leur mystère.
S’il fallait caractériser les oeuvres de ces trois grands artistes en une seule formule on pourrait dire que c’est le minimalisme plus le pathos ou le corps plus l’esprit : Body and Soul.
Je terminerai ces lignes de présentation de l’exposition par une anecdote à nouveau relative à Rothko mais transposable aux trois peintres exposés à Toulon et qui résume tout ce que cet art exprime ; le poète américain Frank O’hara avait un jour donné une conférence à Los Angeles consacrée aux peintres de l’école de New York ; après avoir longtemps commenté les diapositives montrant des tableaux des différents artistes du groupe, arriva la diapositive d’un tableau de Rothko ; O’Hara resta un moment silencieux, poussa un long soupir puis déclara : « C’est si beau - prochaine diapositive s’il vous plaît. ».
Gilles Altieri, commissaire de l’exposition
Les oeuvres des artistes cités par Feldman donnent le sentiment d’une énigme et c’est dans celle-ci que réside le pouvoir hypnotique de leurs oeuvres.
S’il nous l’est permis, nous aimerions ajouter à cette liste prestigieuse les noms de Giorgio Morandi et de Giacometti.
Gotthard Graubner, Lawrence Carroll et Sean Scully entrent à l’évidence dans cette catégorie très fermée de peintres. L’art que ces artistes rares produisent est celui du silence, de la transcendance et du mystère.
Ces propos de Mark Rothko (une de leurs grandes références communes) me semblent parfaitement traduire leur univers artistique :
« Je ne m’intéresse pas, disait Rothko, aux relations de couleur ou de forme ou de quoi que ce soit d’autre. [...] je ne m’intéresse qu’à l’expression des émotions humaines fondamentales – tragédie, extase, mort et j’en passe - et le fait que beaucoup de gens s’effondrent et fondent en larmes lorsqu’ils sont confrontés à mes tableaux montre que je communique ces émotions humaines fondamentales. [...] Les personnes qui pleurent devant mes tableaux font la même expérience religieuse que celle que j’ai eue lorsque je les ai peints. ».
Sean Scully révèle que Rothko considérait ses peintures comme des drames, et les formes contenues dans celles-ci représentaient les comédiens. Sean Scully en conclut que dans son essence la peinture de Rothko possède le même type de représentation dramatique que chez Rembrandt. Comme Rothko, Scully récuse tout caractère purement formel à sa peinture, et fait de celle-ci le véhicule d’émotions humaines, souvent liées à la présence symbolisée de personnages ou d’événements personnels tels la mort d’un fils, le souvenir d’une scène dramatique à laquelle il a assisté, etc. Scully se compare à un tunnel traversé par des émotions qu’il transforme en peinture. Ses tableaux d’une taille très impressionnante, laissent le spectateur interdit, frappé par l’impact physique et spirituel produit par cette peinture à la lumière mystérieuse et aux couleurs profondes, passées en couches sensuelles – Scully n’hésite pas à conférer un caractère sexuel à sa peinture.
Gotthard Graubner poursuit une démarche similaire.
Ses peintures, bien que non figuratives pour l’observateur extérieur, représentent pour lui des corps, des organes vivants dont la surface de la toile est la peau qu’irrigue la couleur venue de l’intérieur. Pour parvenir à traduire physiquement cette conception spirituelle de la peinture, Graubner a été amené à réaliser des sortes d’énormes coussins constitués par une couche volumineuse de coton synthétique placée entre le châssis et la toile.
La peinture est alors étendue en couches très fluides qui s’écoulent à travers la toile à l’intérieur du « coussin ». La succession des couches de couleurs différentes crée des irisations et d’extraordinaires nuances comme si la couleur émergeait des profondeurs du tableau. Graubner se réfère à ces mots de Cézanne pour expliquer ce processus : « la nature n’est pas à la surface ; elle est en profondeur. Les couleurs sont l’expression de cette profondeur à la surface. Elles révèlent l’origine du monde. Elles sont sa vie. ».
Les échos profonds et prolongés que produit la peinture de Graubner sont amplifiés comme chez Scully par la taille monumentale de ses tableaux. Chez Graubner plus que chez tout autre artiste la couleur est à la fois le moyen et le sujet même de sa peinture. Il peint la couleur.
À l’opposé de Gotthard Graubner et de Sean Scully, Lawrence Carroll utilise peu la couleur. Ses toiles généralement monochromes et blanches possèdent également des dimensions monumentales, et leur épaisseur peut dépasser quarante centimètres. Elles sont constituées de pièces de toile et de tissus que l’artiste assemble, colle ou agrafe ensemble sur de gigantesques châssis qu’il réalise luimême dans son atelier vénitien. Ces assemblages grossiers mais subtils ne sont pas réalisés à partir d’un schéma préétabli, mais résultent d’essais infructueux successifs qui laissent visibles leurs cicatrices et donnent à cette peau usée la patine et l’usure du temps. Comme celles de Scully et de Graubner les oeuvres de Carroll n’obéissent pas à une démarche formaliste mais conservent les traces et les cicatrices de la vie et transmettent les émotions que l’artiste a éprouvées : la mort du père, le souvenir de la maison délabrée de son enfance, les objets inlassablement ravaudés et rafistolés par sa mère qui n’avait pas les moyens de les remplacer.
Le blanc lui-même est sali par des coulures de peinture qui ajoutent à ses imperfections ; les bords de ces tableaux-reliefs sont cabossés comme à la suite d’innombrables déménagements ; des objets improbables sont quelquefois fixés sur la peau de l’oeuvre : une ampoule électrique, du lierre, des vieilles chaussures... tout cela forme un monde énigmatique et secret dont le sens échappe au visiteur, mais laisse une impression profonde dont la durée perdure longtemps après qu’il a déserté les oeuvres. Comme Gotthard Graubner, Lawrence Carroll aime que ses peinturesreliefs soient présentées dans une lumière un peu crépusculaire pour ajouter à leur mystère.
S’il fallait caractériser les oeuvres de ces trois grands artistes en une seule formule on pourrait dire que c’est le minimalisme plus le pathos ou le corps plus l’esprit : Body and Soul.
Je terminerai ces lignes de présentation de l’exposition par une anecdote à nouveau relative à Rothko mais transposable aux trois peintres exposés à Toulon et qui résume tout ce que cet art exprime ; le poète américain Frank O’hara avait un jour donné une conférence à Los Angeles consacrée aux peintres de l’école de New York ; après avoir longtemps commenté les diapositives montrant des tableaux des différents artistes du groupe, arriva la diapositive d’un tableau de Rothko ; O’Hara resta un moment silencieux, poussa un long soupir puis déclara : « C’est si beau - prochaine diapositive s’il vous plaît. ».
Gilles Altieri, commissaire de l’exposition
Pratique
HÔTEL DES ARTS
Entrée du public : 236 boulevard Maréchal Leclerc - Toulon
Adresse postale : Conseil général du Var - Hôtel des Arts - rue Saunier - BP
5112 - 83093 Toulon cédex
Tél. 04 94 91 69 18 - Fax 04 94 93 54 76
www.hdatoulon.fr
Horaires : exposition ouverte tous les jours de 10h à 18h, sauf les lundis et les
jours fériés.
Tarif : entrée gratuite
Entrée du public : 236 boulevard Maréchal Leclerc - Toulon
Adresse postale : Conseil général du Var - Hôtel des Arts - rue Saunier - BP
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Horaires : exposition ouverte tous les jours de 10h à 18h, sauf les lundis et les
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Tarif : entrée gratuite