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Arts de la Côte d’Ivoire. Autour des Yohouré, musée Barbier-Mueller, Genève, du 24 novembre 2016 au 30 avril 2017

Au cœur de la Côte d’Ivoire, à la jonction entre la savane arborée et la forêt, vivent les Yohouré, entourés de peuples voisins plus nombreux et connus, les Gouro et les Baoulé,


dans l’ombre desquels ils ont longtemps été maintenus, et plus loin, les Sénoufo, les Dan, les Dida et les peuples lagunaires. Alors que la production yohouré de masques et de statuettes a séduit artistes et collectionneurs européens dès le début du XXe siècle, c’est seulement aujourd’hui que le peuple yohouré et sa culture sont le sujet d’une publication anthropologique.
Le professeur Alain-Michel Boyer, qui étudie les Yohouré depuis les années 1970, publie en effet le résultat de ses recherches à l’occasion de cette exposition. Cet ouvrage paraît sous les auspices de la Fondation culturelle musée Barbier-Mueller, qui a pour mission de sauvegarder par l’écrit la mémoire de cultures menacées de disparition.

Qu’il s’agisse de masques faciaux assimilables à des portraits ou se signalant par leur extrême raffinement, ou de masques-heaumes montrant des têtes de buffles stylisées, ces pièces évoquent les danses masquées, rituels fondamentaux souvent liés à la mort. Aux yeux des Yohouré, les masques sont si sacrés et donc perçus comme dangereux qu’ils ne peuvent être vus par les femmes au risque qu’elles soient frappées de stérilité voire de mort.

Quant aux statuettes, élégantes et délicates, elles relèvent de deux types. Les premières accueillent des génies de la nature qui donnent à des guérisseurs un don de clairvoyance. Les secondes sont destinées à l’époux ou l’épouse de l’autre monde, un conjoint mystique que toute personne a eu dans une vie antérieure. Divers problèmes (stérilité, infidélité, impuissance) sont attribués à la jalousie de ce partenaire abandonné. La statue sculptée pour ce conjoint, par sa beauté et sa finesse, est censée charmer ce dernier mais aussi la personne qui la manipule.

À découvrir également les oracles à souris, que les Yohouré et les Baoulé consultent matin et soir pour déterminer les tâches de la journée mais aussi les grandes décisions, et finalement les cuillers et les tambours qui attestent du même souci de la beauté esthétique qui émane de l’ensemble de cette production.

Masque-heaume de conjuration botiwa. Baoulé, Côte d’Ivoire. Bois et peinture. L. 65 cm. Inv. 1007-195.  Musée Barbier-Mueller. Photo Studio Ferrazzini Bouchet.
Masque-heaume de conjuration botiwa. Baoulé, Côte d’Ivoire. Bois et peinture. L. 65 cm. Inv. 1007-195. Musée Barbier-Mueller. Photo Studio Ferrazzini Bouchet.
Nombreux sont les foyers de création florissants qui ont laissé dans la pénombre leurs voisins les plus proches : la peinture française du XVe siècle peut-elle rivaliser avec celle de la Florence du Quattrocento ? Quelle est la renommée du talentueux « Maître de Moulins » (actif entre 1475 et 1505), dont l’identité n’a jamais pu accéder à la postérité (pas plus que les artistes africains), au regard de son contemporain Botticelli ?
La situation n’est-elle pas analogue au centre de la Côte d’Ivoire ? Très tôt, dès le début du XXe siècle, la réputation des sculpteurs yohouré fut grande, comparée à celle de leurs voisins Wan, Gouro, Sénoufo. Dès 1915, dans le premier livre consacré aux arts d’Afrique (le fondamental Negerplastik de Carl Einstein), figure un masque yohouré, aujourd’hui au musée Dapper à Paris. Très vite, leurs œuvres ont séduit artistes, collectionneurs. Et les marchands : l’un des plus prestigieux, Paul Guillaume, sut allier sa prédilection pour l’art européen à un goût prononcé pour les masques yohouré, et proposer à des amateurs plusieurs œuvres : la Fondation Albert Barnes, aux États-Unis, expose aujourd’hui des effigies yohouré majeures. De même, dès les années 30, l’œil infaillible de Josef Mueller le porta à acquérir plusieurs pièces yohouré exceptionnelles. Dont un masque magnifique, sculpté par Kouakou Dili (actif de 1920 à 1940 dans le village de Koubi), l’un des rares artistes africains dont on ait retenu le nom – du moins parmi ceux qui vivaient à cette époque.

Pourquoi cet engouement pour ce foyer artistique ? Faut-il l’attribuer aux effectifs des populations ? Les Yohouré ne sont que 15 000. Chiffre dérisoire au regard de leurs voisins : Gouro (400 000), Baoulé (un million), Sénoufo (deux millions). Outre le talent des artistes, plus explicite est la situation géographique, géopolitique même, à cette jonction de la savane arborée et de la forêt, et de deux grandes aires culturelles. Un fleuve, le Bandama, traverse la Côte d’Ivoire du nord au sud : à l’ouest,

les Mandé, répartis en peuples différents : Gouro, Wan, Mona (un peu comme les « Latins » rassemblent Italiens, Français, Espagnols). À l’est, les Akan comportent divers groupes, dont le plus important, les Baoulé. Au nord, les Sénoufo, alors que les Dida vivent au sud. Tout au milieu, au centre exact de la Côte d’Ivoire, dans un bastion de collines, les Yohouré, qui se disent « fils du sol », autochtones, réunissent deux provenances : d’origine mandé, ils sont depuis le XVIIIe siècle intimement liés, grâce à des alliances, des mariages, à des Baoulé venus, en une lente « immigration », de l’actuel Ghana. À tel point qu’une partie d’entre eux, ayant abandonné leur langue, sont appelés Yohouré-Baoulé. Et cette pénétration, cette fusion se poursuit de nos jours. Avec ce fait singulier : en retour, les migrants furent « colonisés » par ceux qu’ils ont conquis – phénomène souvent observé dans l’Histoire. Seul exemple : dépourvus de masques dans leur région d’origine (où leurs « cousins » Ashanti du Ghana n’y ont jamais recours), les Baoulé les adoptèrent et, empruntant aux Yohouré, mais aussi aux Wan, Gouro, Sénoufo, les formes les plus stupéfiantes, ils réalisèrent d’éblouissantes synthèses plastiques. Mais dans un grand art, les influences ne sont jamais subies. Au contraire : elles révèlent toujours la manière dont cet art s’en libère.


Du coup, l’intérêt que les collectionneurs occidentaux ont porté à ces créations tient uniquement à des raisons esthétiques. À leur magnifique diversité. Aux deux extrêmes de l’éventail des ressources plastiques, deux formes dissemblables, qui ne pouvaient que subjuguer les premiers amateurs : d’une part des masques de facture «naturaliste» ; d’autre part des effigies qui présentent quelques caractères de ce que certains n’ont pas hésité à appeler « abstraction ».

Pratique

10 rue Jean Calvin
1204 Genève
Tel : +41 (0)22 312 02 70
musee@barbier-mueller.ch
www.musee-barbier-mueller.org


Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 20 Novembre 2016 à 14:24 | Lu 434 fois

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