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16 janvier au 18 avril. Frida Kahlo y su mundo au Palais des Beaux-Arts, Bruxelles

Dix-neuf toiles, une eau-forte et six dessins : la plus grande collection privée d'œuvres de l'artiste, issue du Museo Dolores Olmedo, est présentée en Belgique pour la première fois.


Portrait des portraits du Mexique, Frida Kahlo darde son regard troublant à travers le fonds du Museo Olmedo, la plus grande collection privée des oeuvres de l’artiste. Dix-neuf toiles, une eau-forte, six dessins et de nombreuses photographies!de sa famille, ses!amis et son environnement!témoignent de sa contribution magistrale aux mouvements symboliste et surréaliste.

D’une vie aussi, d’emblée mise à rude épreuve. Victime à 17 ans d’un dramatique accident d’autobus, son existence n’aura été qu’une suite d’interventions chirurgicales à une époque où la médecine tâtonnait. Plusieurs fausses couches et sa vie conjugale tumultueuse avec Diego Rivera, peintre majeur de la révolution, impriment à ses oeuvres une puissance et une beauté singulières.

Cette exposition intime met en lumière sa relation avec sa famille et Diego Rivera, les thèmes récurrents de son oeuvre, ainsi que son imagination inépuisable, plongeant le visiteur au coeur de la vie légendaire de Kahlo et de la scène culturelle mexicaine de la première moitie du XXe siècle.
L’exposition s’inscrit dans le cadre du Festival México. A l’occasion du bicentenaire de son indépendance et du centenaire de sa révolution, le Mexique se dévoile durant 3 mois de festival au Palais des Beaux-Arts comme une nation riche et complexe qui n’en finit pas d’imaginer et de déconstruire sa
« mexicanité ».

Les regards insondables de Frida

« Regardez ces yeux ! Vous et moi sommes incapables de peindre des yeux comme cela.! » Avec sa fulgurance coutumière, Picasso a d’emblé cerné le siège de l’énigme Frida Kahlo (Coyoacán, Mexico, 1907-1954). Deux yeux d’un noir insondable qui se reproduisent en 55 autoportraits, le tiers de sa production, et placent tour à tour le spectateur et l’artiste dans un état proche de la sidération. Un double jeu de miroir qui a des accents d’appel à l’aide autant que de défi, de désir de vie comme de pulsion de mort. Ils donnent le ton aux 19 toiles, aux dessins et autre lithographie qui constituent l’exceptionnelle collection d’Eduardo Morillo Safa, voisin et ami de Frida Kahlo, acquise par Dolores Olmedo, à la demande de Diego Rivera, le mari de l’artiste.

On y trouve en condensé son trajet artistique, depuis l’une de ses premières toiles, le Portrait d’Alicia Galante (1927), au visage d’albâtre que l’on croirait signé Modigliani, à cet emblématique Autoportrait avec singe (1945). On passe de la fraîcheur d’un talent qui venait de se découvrir – Diego Rivera parlera d’emblée «! d’une! sensualité vitale encore enrichie par une faculté d’observation impitoyable, quoique sensible! » – à l’expression abrupte d’une sincérité à fleur de peau. Frida, en costume traditionnel, y semble appartenir au règne animal qui l’entoure, le petit singe que lui avait donné Diego l’enlaçant de ses pattes griffues aux côtés du xoloitzcuintle, chien à poil ras emblématique du passé nahuatl du Mexique, et d’une idole païenne recroquevillée. Et toujours ce regard dardé vers le spectateur, feignant l’indifférence.

Frida Kahlo s’est toujours mise en observation, depuis qu’un dramatique accident de bus, en 1925, l’a laissée colonne, bassin et côtes brisés, alitée dans un corset. Un drame qui fonde sa peinture et un thème récurrent dans ses tableaux, telle la terrible Colonne brisée de 1944. On lui place un miroir au-dessus de son lit qui, pendant neuf mois, lui renvoie en modèle sa propre image endolorie.

On dira qu’elle a été à bonne école avec un père, immigré allemand et photographe professionnel, qui lui a légué le sens de la composition et de la retouche. D’aucun voient aussi l’expression obsessionnelle d’un narcissisme à jamais blessé par une mère – une métisse, elle-même artiste-peintre liée au mouvement surréaliste – qui l’a très vite rejetée. Ma Nourrice et moi (1937) en est la vision d’effroi. On y surprend Frida Kahlo, le regard fixe, avec un corps de bébé, au bras d’une nourrice à la peau de pierre volcanique et au visage d’idole. Le lait maternel perle des seins voluptueux mais reste au bord des lèvres inertes de l’artiste. Le bas du tableau comporte une bande à message comme pour les ex-votos qui fleurissent sur un mur de sa Casa Azul (Maison Bleue), à Coyoacán, mais il n’y a aucune prière d’inscrit.
Comme si c’était Sans espoir - titre précisément d’une autre toile de 1945 où elle pleure, alitée, un entonnoir dans la bouche lui enfournant quantité d’animaux morts et de miasmes.

Dans un récent ouvrage, le psychanalyste Salomon Grimberg en fait son miel en compilant les confessions inédites de l’artiste à son amie psychologue Olga Campos et son évaluation psychologique réalisée en 1950 (éditions du Chêne). «! Les tests de personnalité de Frida Kahlo font apparaître une dysthymie (agitation chronique), avec superposition récurrente d’une forte dépression et d’un syndrome de douleur chronique, et d’importants dommages de fond dans une personnalité narcissique. (…) Le combat qui s’est livré en elle entre son sentiment de grandeur et son amour-propre déficient a fini par l’affaiblir gravement. Elle est devenue de plus en plus dépendante des autres pour tâcher d’étayer cet amour-propre chancelant. Son combat, qui n’aurait pu trouver d’issue que si elle l’avait abordé de l’intérieur, n’a jamais cessé. En dépit de la richesse de son univers intérieur et du monde qui l’entourait, Kahlo a vécu sans assumer son énorme dépendance, condamnée à juger les autres aussi peu fiables qu’elle se jugeait incomplète.!» (pp. 149-150)

Au demeurant, la force singulière de l’oeuvre résiste à toute forme de schéma interprétatif, que ce soit par la psychologie des profondeurs que par les multiples événements qui ont cabossé son existence. Les incartades de Diego, y compris avec la propre soeur de Frida, les fausses couches, ses terrifiantes opérations, ses nombreuses idylles (dont une avec Trotski), sa sexualité libre se prêtent, il est vrai, facilement aux conjectures. Dans Le Cercle, un corps de femme se désintègre ; L’Hôpital Henry Ford et Frida et l’avortement (1932) dessinent cliniquement son incapacité à engendrer. Pour l’un, le désamour de Diego transparaît en arrière-plan dans ces froides usines de Detroit où le célèbre muraliste devait honorer des commandes ; pour l’autre, son talent créateur semble se substituer au foetus mort sous la forme d’un troisième bras terminé par une palette en forme de matrice. Son désir de maternité est tout aussi présent dans les formes opulentes de la métisse Eva Frederick ou dans le regard empathique de Doña Rosita Morillo, la mère de son mécène. Mais l’oeuvre ne se laisse pas aussi facilement percer à jour. Elle se rebiffe à coups de brosse vivement colorés, et comme l’artiste le fit elle-même lorsqu’André Breton voulut faire d’elle l’une des surréalistes. « Ces connards artistiques de Paris », avait-elle lancé.
« On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêve. Ce que j’ai représenté était ma réalité. »

Le Masque (1945) renvoie in fine tous les commentateurs à l’insondable ambiguïté de la condition humaine. Et à celle de Frida, l’artiste. Sa dernière phrase! : «! J’espère que la sortie sera joyeuse… et j’espère bien ne jamais revenir!»!; son dernier tableau!: Viva la vida.
Xavier Flament

Pratique

Palais des Beaux-Arts
Rue Ravenstein 23
1000 Bruxelles
Heures d’ouverture des expositions
Mardi > dimanche, 10h > 18h
Jeudi, 10h > 21h
Fermé le lundi
Info et tickets
+32 (0)2 507 82 00
www.bozar.be

pierre aimar
Mis en ligne le Jeudi 28 Janvier 2010 à 16:30 | Lu 2339 fois

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