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Paris. Restitution de trois œuvres d’art spoliées entre 1933 et 1945

La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a restitué, ce 18 avril 2023, trois œuvres d’art spoliées entre 1933 et 1945. La restitution de ces œuvres, deux tableaux et une sculpture, est rendue possible grâce à l’action conjointe des services du ministère de la Culture, du musée du Louvre, du musée des Beaux-Arts d’Angers et du musée de Picardie d’Amiens, en lien avec les représentants des propriétaires spoliés


Sculpture de l’entourage de Gil de Siloé (XVe siècle), Vierge de Pitié, inventoriée RFR 41. © Musée du Louvre-Thierry Ollivier
Sculpture de l’entourage de Gil de Siloé (XVe siècle), Vierge de Pitié, inventoriée RFR 41. © Musée du Louvre-Thierry Ollivier
Ces œuvres faisaient partie des biens dits « Musées nationaux Récupération » (MNR), désignant les 2 200 œuvres sélectionnées au début des années 1950 parmi les œuvres retrouvées en Allemagne à la fin de la Seconde guerre mondiale, rapportées en France et non restituées.
Les œuvres MNR, dont nombre ont été spoliées à des familles juives, ont été confiées à la garde des musées nationaux au début des années 1950 et peuvent, en cas de spoliation avérée, être restituées à leurs légitimes propriétaires. N’appartenant pas aux collections nationales, les œuvres MNR peuvent être restituées sans procédure législative.

Deux tableaux spoliés à Ernst et Agathe Saulmann sont restitués à leurs ayants droit :
· École florentine du XVe siècle, Scène de bataille : Siège de Carthage par Scipion Emilien (MNR 246) ;
· École padouane du XVe siècle, Vierge à l’Enfant (MNR 253).

Une sculpture spoliée à Harry Fuld junior est également restituée à ses ayants droit :
· Entourage de Gil de Siloé (XVe siècle), Vierge de Pitié (RFR 41).

Ces œuvres étaient placées sous la responsabilité du Musée du Louvre, qui avait déposé les deux tableaux au musée des Beaux-Arts d’Angers (MNR 246) et au musée de Picardie d’Amiens (MNR 253).

École padouane du XVe siècle, Vierge à l’Enfant, huile sur bois, 48 x 30 cm, inventorié MNR 253. © photo Irwin Leullier - Musée de Picardie
École padouane du XVe siècle, Vierge à l’Enfant, huile sur bois, 48 x 30 cm, inventorié MNR 253. © photo Irwin Leullier - Musée de Picardie

École florentine du XVe siècle, Scène de bataille : Siège de Carthage par Scipion Émilien, tempera sur bois, panneau de cassone, 54 x 143 cm, inventorié MNR 246. © Musée d’Angers
École florentine du XVe siècle, Scène de bataille : Siège de Carthage par Scipion Émilien, tempera sur bois, panneau de cassone, 54 x 143 cm, inventorié MNR 246. © Musée d’Angers

ERNST ET AGATHE SAULMANN

Agathe Saulmann, in : Der Stern, Heft 1930, 1950
Agathe Saulmann, in : Der Stern, Heft 1930, 1950
Ida Agathe Breslauer, née à Berlin en 1898, est la fille aînée de l'architecte Alfred Breslauer.
Elle est la sœur de la photographe Marianne Breslauer. À l'âge de dix-sept ans, elle épouse à Berlin-Dahlem Hendrik Jan de Marez Oyens, philologue originaire d'Amsterdam. Leur fille Alma Carolina Frederica, dite Nina, naît à La Haye en 1916. Les époux se séparent et Agathe Breslauer commence à travailler à Berlin. En 1926, elle épouse l'industriel textile Ernst Saulmann, né en 1881, et déménage avec lui dans le Bade-Wurtemberg.

Ernst Saulmann était l'associé gérant de l'usine de tissage mécanique de coton d'Eningen, que son père, Franz Saulmann, avait fondée en 1895 avec Richard Einstein et Otto Massenbach, qui a fait vivre une grande partie des familles ouvrières de la commune d'Eningen unter Achalm jusque dans les années 1930.
En 1927, Agathe et Ernst Saulmann ont acheté à Louis Laiblin le domaine « Erlenhof » à la périphérie de Pfullingen, qui avait servi auparavant de colonie d'artistes et avait été conçu et construit par l'architecte Theodor Fischer en 1904.
Ils l'ont progressivement aménagé avec des sculptures du gothique tardif, des peintures de la Renaissance, des meubles du XVIIIe siècle, des majoliques et d'autres pièces artisanales.

Agathe Saulmann fut l'une des rares femmes pilotes de son temps. Elle obtint sa licence de pilote de sport en 1931 ; elle possédait un avion léger Klemm et elle avait fait construire son propre terrain d'aviation.

Au début des années 1930, l'entreprise d’Ernst Saulmann connaît des difficultés à la suite de la récession causée par la crise de 1929.

LES CIRCONSTANCES DE LA SPOLIATION

Ernst et Agathe Saulmann possédaient une importante collection d’antiques, de sculptures, de peintures de Maîtres anciens, de majoliques, de tapisseries, de peintures du XIXe siècle, de meubles et d’objets d’art. Cette collection était répartie entre leur villa l'Erlenhof, près de Pfullingen (Bade-Wurtemberg) et leur villa de Florence, acquise en 1921 par Ernst Saulmann.

Lorsqu’en décembre 1935 le couple décide de fuir les persécutions antisémites en Allemagne, il choisit Florence comme lieu d’exil. Ernst Saulmann est contraint de vendre la villa d’Eningen en 1936 et de nommer son ancien collaborateur gérant de son entreprise Mechanische Baumwollweberei.

La même année, leur collection d’art, confisquée par les autorités allemandes, est vendue lors de cinq ventes aux enchères par la maison de ventes aux enchères Weinmüller à Munich, en association avec le marchand d’art Julius Böhler.
Le couple Saulmann est entièrement spolié de sa collection ; il ne perçoit rien du produit de la vente.

Par crainte des persécutions antisémites italiennes, Ernst et Agathe Saulmann vendent leur villa en septembre 1938 et quittent Florence pour Nice.

Ernst Saulmann, comme nombre d'Allemands résidant sur le sol français, est interné en tant que « sujet ennemi » par le gouvernement français après le déclenchement de la guerre en septembre 1939. Libéré en décembre 1939, il est à nouveau interné à partir de juin 1940 au camp des Milles près d’Aix-en-Provence. Après sa libération, il doit se présenter chaque semaine à la police afin de faire prolonger sa carte de séjour.
Le couple a probablement réussi à traverser la guerre en restant à Nice, en changeant d’adresse à plusieurs reprises.

Après la guerre, les Saulmann s’installent à Paris où Ernst meurt en 1946.

Après la mort de son mari, Agathe Saulmann poursuit les efforts engagés pour l’obtention de la nationalité française.
En 1947, elle vend plusieurs centaines de livres issus de leur bibliothèque à la Bibliothèque d'art et d’archéologie Jacques Doucet, aujourd’hui bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art.
Après avoir obtenu la nationalité française en 1948, Agathe Saulmann entame une bataille juridique en Allemagne et obtient la restitution de l’usine de Pfullingen et du domaine « Erlenhof ». Elle a pour projet de transformer son ancienne maison en orphelinat pour des enfants réfugiés du monde entier avec le soutien de l’ONU. Elle doit cependant faire face à un recours introduit contre le jugement et la restitution de ses biens.

Agathe Saulmann meurt en 1951 à Baden-Baden.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Mardi 18 Avril 2023 à 22:12 | Lu 670 fois

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