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Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication le 21 janvier 2011

« Doit-on, peut-on célébrer Céline ? » [...] après mûre réflexion, en mon âme et conscience, et non sous le coup de l’émotion ou de pressions contradictoires, j’ai décidé de retirer Céline des Célébrations nationales 2011
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion la présentation du recueil 2011 des Célébrations nationales, Chapelle de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts


Mesdames et Messieurs les membres du Haut Comité aux célébrations nationales,
Mesdames et Messieurs,
Chers ami(e)s,

Vous n’avez pas trouvé le Recueil des Célébrations nationales 2011 tel qu’il était envisagé de le distribuer ce soir. J’assume pleinement cette décision dont je vais vous exposer les raisons.

Mais avant toute chose, je souhaite rendre hommage au Haut-Comité pour les Célébrations nationales, composé de personnalités éminentes, pour la qualité de son travail et de son expertise. Ainsi donc la décision que j’ai prise n’est pas un désaveu, c’est une inflexion que j’assume pleinement. Elle est conforme au rôle du Ministre que je suis et qui le gardien dans ce domaine des lumières que doit dispenser la mémoire et de l’apaisement des coeurs qui permet de l’appréhender.

Je sais qu’un émoi légitime a été suscité auprès d’un certain nombre de personnalités dont je respecte profondément l’action et qui s’en sont ouvert publiquement, du fait de la présence de l’écrivain Louis- Ferdinand Céline dans le recueil tel qu’il se présentait. Je ne veux pas esquiver la question, je ne veux pas la passer sous silence, elle est trop importante. Je souhaite l’affronter sereinement et scrupuleusement, à la lumière des lectures diverses que peut susciter l’expression « Célébrations nationales », héritage de plusieurs institutions ayant pour charge, depuis 1974, de proposer « la commémoration des événements importants de l’histoire nationale dans les domaines historique, littéraire, artistique, scientifique et technique ».

« Doit-on, peut-on célébrer Céline ? » : c’est la question que pose, avec autant de perspicacités que de scrupules, l’auteur de la notice, Henri Godard, l’un des plus éminents spécialistes de son oeuvre. Alors que j’étais moi-même partagé sur cette présence et que je m’en suis remis finalement à l’avis du Haut-Comité, après mûre réflexion, en mon âme et conscience, et non sous le coup de l’émotion ou de pressions contradictoires, j’ai décidé de retirer Céline des Célébrations nationales 2011. On connaît les termes de la controverse. Ecrivain génial dont l’apport à la littérature du XXème siècle n’est contestée par personne, Louis-Ferdinand Céline a également mis sa plume au service de l’idéologie répugnante de l’antisémitisme, d’une manière obsessionnelle, au moment où cette idéologie faisait tant de victimes dans notre pays même. On peut rendre hommage à l’écrivain et au romancier qui a révolutionné l’écriture dans la première moitié du XXe siècle.

C’est ce que font admirablement Jacques Tardi et Fabrice Lucchini, c’est ce qui sera fait à l’occasion du colloque consacré à l’écrivain au Centre national Georges Pompidou les 4 et 5 février prochains, c’est ce que fait l’édition de l’oeuvre de Céline dans la Pléiade- célébration littéraire d’exception. Et la place de Céline est évidemment dans d’autres lieux de recherche, dans nos bibliothèques publiques et sur nos rayonnages privés. Je souhaite que cette vitalité culturelle soit préservée et qu’elle se poursuive dans la liberté et la sérénité. Le genre littéraire est une donnée objective qui mérite l’admiration de la postérité ; la folie antisémite est une pathologie qui n’engendre que de la souffrance et tant pris si Céline eut à en souffrir lui-même après la guerre.

En l’état actuel des choses et compte tenu de ce que signifie vraiment l’expression de « Célébrations nationales », on ne peut célébrer l’homme Louis-Ferdinand Céline au regard des valeurs fondamentales de la nation et de la République, ces valeurs qui nous rassemblent et doivent susciter une adhésion collective.

Je souhaite, à cet égard que le Haut-Comité aux célébrations nationales, auquel je renouvelle ma totale confiance, engage une nouvelle réflexion sur le sens et les contenus de cette grande mission au service de la mémoire, confiée au Ministère de la Culture et de la Communication. Je souhaite qu’il me fasse des propositions claires dans les semaines à venir soit pour définir un changement de la terminologie, soit pour construire une doctrine incontournable des objectifs de l’Etat dans ce domaine délicat. C’est précisément parce que les anniversaires de toutes sortes peuvent faire craindre une atomisation de notre mémoire collective que l’Etat a vocation à être présent. D’ailleurs quand je parle d’un domaine délicat, la question de la définition d’une frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, peut s’appliquer à d’autres personnalités, mais en l’occurrence la sagesse de Haut Comité l’emporte.

Il s’agit de signifier clairement qu’il importe de transmettre aux jeunes générations tous les aspects du passé, qu’il ne s’agit pas uniquement d’exalter les « grands hommes » et les « héros » du passé, mais aussi de porter un regard critique et d’affronter avec vigilance et scrupules les heures sombres comme les moments fastes. Les célébrations nationales telles qu’elles sont énoncées aujourd’hui ne répondent pas exactement à cette question.

Commémorer, ce n’est pas faire oeuvre d’hagiographie, mais au contraire en appeler à la raison, à la conscience critique, à la vigilance du citoyen sur tous les épisodes de notre passé, sans jamais renoncer au devoir d’intelligence et d’histoire. Je le redis, je tiens à être clair : ce n’est pas un désaveu à l’égard du travail du Haut-Comité, dont je connais la qualité, l’intelligence et le dévouement des membres. C’est une décision que j’assume pleinement et qui relève entièrement de mes prérogatives. Je ne doute pas que le Haut Comité saura répondre sereinement à cette exigence qui est la mienne.

En d’autres termes, il s’agit de connaître hier pour demain et d’affronter les heures de gloire comme les pages les plus sombres. Aujourd’hui, le devoir d’histoire nous oblige. Sans histoire, un pays s’abîme dans l’oubli de lui-même : il oublie ses valeurs, il oublie les continuités et les ruptures, les ombres et les lumières, il oublie enfin le fil des conquêtes et des progrès qui le conduisent jusqu’au temps présent.

Cela suppose une exigence de transmission. Cette volonté de transmettre, de toucher tous les publics et toutes les générations, je la fais mienne. J’ai le souci de concilier de manière permanente le devoir d’histoire, l’exigence de la transmission avec les outils technologiques dont nous disposons désormais. C’est pourquoi j’ai le plaisir de vous annoncer qu’à compter de cette année l’ensemble des anniversaires et des notices contenus dans le recueil seront accessibles à partir d’une application pour les écrans tactiles compatible avec la plupart des supports mobiles dont la terminologie sera à l’avenir celle retenue par le Haut Comité. A partir de demain, il sera possible de consulter facilement toutes les notices liées aux différents anniversaires mais également de prendre les renseignements sur toutes les manifestations organisées partout en France. Je pense bien entendu, à travers cet outil, aux jeunes générations, à cette société française riche de sa diversité à qui nous devons être à même d’accéder au savoir et de comprendre ce qu’elle est à partir d’un passé fait de contrastes, de conflits et blessures encore à vif.

Si nous sommes réunis ce soir dans le contexte inchangé des célébrations nationales et dans la Chapelle des Grands Augustins, c’est précisément parce que nous marquons le 150ème anniversaire de la mort d’Alexandre Lenoir, dont la figure continue à confronter les opinions tant chez les historiens de l’art que chez les archéologues. Cette figure attachante de la politique patrimoniale, tenta, chacun le sait, de sauver, en pleine Terreur, reliques et vestiges et les rassembla comme « biens placés en dépôt » dans le couvent des Petits Augustins, où se trouve aujourd’hui l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) et où nous sommes aujourd’hui réunis. Celui qui eut l’intuition de l’importance de la trace architecturale au service de l’ambition culturelle, celui qui fut «l’inventeur » du Musée des monuments français, méritait assurément un hommage et une attention particulière.

Cette année 2011 sera une année particulièrement riche pour les Célébrations nationales, dont le Ministère de la Culture et de la Communication a la charge. C’est bien entendu l’année Liszt, lancée il y a quelques jours dans les bâtiments historiques de la fabrique de pianos Erard – qui fournissait déjà Haydn et Beethoven - où le jeune Liszt est accueilli lors de son arrivée à Paris et où il vécut lors de ses séjours parisiens. Le Commissariat de cette année coordonnée par l’Institut français e été confié à Jean-Yves Clément, maître d’oeuvre des Lisztomanias de Châteauroux depuis de nombreuses années, qui a façonné un programme riche de concerts, de conférences, de manifestations festives, notamment à l’occasion de la journée de l’Europe le 9 mai prochain. A cette date le brillant pianiste Giovanni Bellucci interprétera Liszt au coeur de l’enceinte du Parlement européen. Liszt, c’est en effet l’un des plus flamboyants inventeurs du star system, ce phénomène que Heine, en témoin de la scène, avait baptisé la Lisztomanie. C’est le compositeur de Rêve d’amour, qui fait rêver les femmes dans l’Europe entière, en tournée permanente pendant dix ans, de Dublin à Constantinople, de Cadix à Saint-Pétersbourg. C’est Liszt entouré de Dumas, Paganini, Rossini, Hugo, la comtesse d’Agoult à ses pieds.

L’Année Liszt, c’est également la plus européenne de nos Célébrations nationales de 2011. À l’ère de la cristallisation des nationalismes, le virtuose courtisé savait jouer sur tous les horizons. L’homme qui disait concevoir une « passion chauvine» pour Paris sera aussi celui qui concevra l’acoustique de la salle de concert de la Wartburg, ce haut lieu du nationalisme allemand, pour y accueillir des rêveries de Minnesänger. Liszt, c’est cette étoile à la fois hongroise et franco-allemande qui réussit la performance d’être le beau-père et d’Emile Ollivier, et de Richard Wagner.

2011 sera aussi l’année du centenaire de la naissance de deux figures politiques du XXe siècle notre pays, qui ont laissé une trace profonde dans la vie culturelle et intellectuelle. Je veux parler du Président Georges Pompidou et de la voix de « Radio Londres », Maurice Schumann. Dans les figures politiques célébrées, c’est toute la République qui se rassemble, c’est une « mémoire collective » mieux formée qui est en germe : de Clovis à Louis Blanc, de Victor Duruy au colonel Passy, il n’y a ni héroïsation, ni volonté de transmettre un légendaire désuet, bien plutôt l’idée de fournir des repères et des buttes témoins dans le paysage, souvent chaotique, pleine de bruits et de fureurs, du « présentisme » dominant, pour reprendre l’expression de l’historien François Hartog.

2011 sera aussi une année anniversaire pour l’un des « pères fondateurs » du cinéma, dont il ne faut jamais oublier qu’il est né dans l’esprit forain et l’amour du spectacle vivant. D’importants événements ponctueront ainsi le 150e anniversaire de la naissance de Georges Méliès, en lien avec la très active « association des amis de Georges Méliès », dont je tiens à saluer les responsables. Copies inédites à l’occasion des grands festivals et des manifestations festives, rétrospectives, colloque consacré à Méliès en juillet 2011, à Cerisy-la- Salle, les occasions ne manqueront pas pour fêter un visionnaire de talent et un précurseur de génie, mêlant surréalisme et conscience aigue des maux du temps. Une version inédite colorisée du Voyage dans la lune sera ainsi présentée à l’occasion du Festival de Cannes. 2011 sera aussi une année riche pour la poésie et l’art poétique, avec la présence de Boileau, de Théophile Gautier, de Saint-Pol Roux ou de Patrice de La Tour du Pin. Je ne voudrais pas oublier la sculpture avec Bourdelle et Maillol. Et comment oublier des « lieux de mémoire » qui participent de notre quotidien, à l’image du bataillon des sapeurs pompiers de Paris, créé en 1810 après l’incendie qui se déclenche lors du bal donné à l’occasion du mariage de l’Empereur avec l’archiduchesse Marie- Louise d’Autriche, de l’aérogare d’Orly, symbole de la modernité triomphante des « Trente Glorieuses » ou bien encore la publication du premier album des Aventures d’Astérix, dont l’écho retentit bien au-delà des frontières de la francophonie, dont le combat sans gravité mais non sans signification du petit contre le gros nourrit depuis lors rêves et utopies.

Je veux aussi évoquer la très riche « année des Outre mer » présentée il y a quelques semaines, qui sera l’occasion de montrer la richesse et la diversité culturelle, artistique mais aussi linguistique des territoires ultramarins. A cet égard la présence d’un « découvreur » éclairé comme Bougainville mais aussi de la figure ardente de Frantz Fanon, né à Fort-de- France, traduit cette attention.

L’année 2011 sera également l’occasion d’évoquer les grands penseurs de la folie, de l’humaniste Erasme à l’auteur de l’Histoire de la Folie à l’âge classique, Michel Foucault, publiée en 1961. Je ne voudrais pas oublier ce qu’il est convenu d’appeler le « Grand Siècle », avec les anniversaires liés à Boileau, à Louis Couperin, à Coypel – auquel une exposition sera consacrée au printemps prochain au château de Fontainebleau - mais aussi à Louis XIV lui-même, dont nous fêterons le 350e anniversaire du gouvernement personnel. Je ne doute pas que les nombreux festivals dédiés à la musique ancienne et baroque – je pense à Versailles, à Ambronay, mais aussi à Royaumont – sauront trouver matière pour enrichir et nourrir une programmation. J’envisage pour ma part de rendre hommage à ceux qui ont exhumé et redécouvert ce répertoire depuis quelques années et qui ont lancé d’importantes recherches et collections discographiques : ensembles baroques, choeurs, maisons de disques, c’est vraisemblablement là un gisement de créativité et d’innovation qui a permis à de nombreux artistes et interprètes de faire connaître leur talent à travers le monde.

Et nous nous retrouvons maintenant au début de cette soirée. A cet égard, je souhaite remercier chaleureusement Xavier Simonin et le grand harmoniciste Jean-Jacques Milteau de nous avoir introduit dans l’écriture épique et voyageuse de Blaise Cendrars, à l’occasion du 50e anniversaire de sa mort.

A cet égard, laissez-moi achever cette brève évocation, non exhaustive, des célébrations nationales de 2011 en saluant à la fois le talent musical et la modestie de bien des créateurs qui n’auraient jamais songé à être ainsi célébrés par la postérité. Prenons Marguerite Monnot par exemple, dont nous marquons les cinquante ans de sa disparition. C’est à elle que l’on doit quelques unes des chansons inoubliables d’Edith Piaf. Oui, le Légionnaire, Milord, la Goualante du pauvre Jean, l’Hymne à l’amour et les Amants d’un jour ont bien leur place ici ce soir, même s’il est parfois difficile de toujours considérer « la Vie en rose ».

Pierre Aimar
Mis en ligne le Vendredi 21 Janvier 2011 à 21:01 | Lu 525 fois

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