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2 juillet 2010 au 15 mai 2011, Machines Infernales. La Tragédie selon Cocteau au Musée Jean Cocteau à Menton

« Pour que les dieux s’amusent beaucoup,
Il importe que leur victime tombe de haut (…)
Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort
Se déroule avec lenteur tout le long d’une vie humaine, Une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux
Pour l’anéantissement mathématique d’un mortel. »
Jean Cocteau, La Machine infernale (Prologue), 1934


Jean Cocteau, le complexe d’Œdipe, feutre noir, rehauts d’encre noire et pastels secs / 28.4 x 37.8 – musée Jean Cocteau / collection Séverin Wunderman
Jean Cocteau, le complexe d’Œdipe, feutre noir, rehauts d’encre noire et pastels secs / 28.4 x 37.8 – musée Jean Cocteau / collection Séverin Wunderman
La vie de Jean Cocteau est marquée par la tragédie et son œuvre en témoigne tant à travers ses écrits pour le théâtre et ses poèmes, qu’à travers ses dessins, ses tapisseries et ses peintures. Perte de parents proches et d’amis, consolation dans l’opium, l’absence d’êtres chers ouvre des plaies que l’artiste peine à refermer. La tragédie antique, et ses héros intemporels aux prises avec leur destin, offre à Cocteau un terrain d’expression de son mal-être profond.

De sa pièce Antigone, écrite en 1922, à l’Oratorio Œdipus Rex représenté en 1952, Jean Cocteau élabore sa propre mythologie, résolument moderne, sur fond de tragédie grecque.
L’exposition présentera une soixantaine d’œuvres : dessins, photographies, ouvrages illustrés, estampes, céramiques et tapisserie, issues des collections historiques du Musée Jean Cocteau et de la collection Séverin Wunderman. Ce nouvel accrochage dévoile, en effet, une nouvelle partie de la donation faite par Séverin Wunderman à la Ville de Menton en 2005. Il souligne l’importance primordiale du théâtre dans l’œuvre de Jean Cocteau, notamment dans ses dessins à l’encre, encore peu connus du grand public.

Les œuvres suivantes seront présentées:

- Une série de dessins originaux pour l’album Le Complexe d’Œdipe (1924). Ces œuvres réalisées au trait noir et au lavis servirent d’illustrations pour La Machine infernale, en 1934.
- Une série de dessins colorés, à l’encre brune et aux pastels, contemporains d’Orphée, tragédie en un acte écrite en 1925.
- Un ensemble de dessins couvrant les années 1920 à 1950, lié à l’œuvre théâtrale et cinématographique de Jean Cocteau. Ces œuvres représentent les grands héros tragiques chers à Cocteau : Orphée, Œdipe, Antigone, Jocaste.
- Viennent compléter la présentation, les œuvres à l’encre de chine de Christian Bérard, études pour les décors du film Orphée. De son surnom « Bébé », l’artiste participa à la direction artistique de plusieurs œuvres théâtrales de Cocteau dont La Machine infernale.
- Les photographies des nombreux spectacles écrits et mis en scène par Jean Cocteau : Orphée, La Machine infernale, Œdipus Rex, Phèdre… réalisées par de grandes signatures de la photographie des années 1950 : Serge Lido, Boris Lipnitzky et Hélène Roger-Viollet.
- La tapisserie Judith et Holopherne, réalisée d’après le carton original de Jean Cocteau.
- L’affiche originale du film Orphée, de 1949.
- L’édition originale du Théâtre Illustré de Jean Cocteau, de 1957.
- Des céramiques décorées de sujets mythologiques.
- Enfin, un fonds exceptionnel de photographies et d’affiches représentant la tragédienne Sarah Bernhardt, grande inspiratrice de Cocteau, sera exposé pour la première fois, dévoilant une des richesses de la Collection Séverin Wunderman.

Le style des dessins représentant ces héros tragiques reflète le trouble des années de difficultés et d’agitation de Cocteau. Intrinsèquement, chaque poème, chaque dessin, chaque œuvre théâtrale est un dialogue de l’artiste avec la mort. Dans son œuvre graphique, le noir domine. Le trait à l’encre de chine est privilégié dans les années 20. Marqué par sa dépendance à l’opium et par la violence de plusieurs cures de désintoxication, Cocteau crée des personnages aux corps torturés, aux têtes surdimensionnées et aux yeux exorbités. Parfois les pipes d’opium se substituent aux membres du corps. Ces « monstres » figurent les douleurs de Cocteau, dont la tragédie grecque exprime la violence extrême.
Avec les dessins préparatoires pour Judith et Holopherne, puis dans les œuvres des années 1950, Cocteau travaille la couleur avec des crayons gras et des pastels, appliqués sur de grandes feuilles de papier noir.

Jean Cocteau, le théâtre et la tragédie grecque

Jean Cocteau, dès sa prime jeunesse, « rêve » de théâtre, éduqué à ce titre par ses parents qui fréquentaient la Comédie-Française et l’Opéra. C’est en assistant aux représentations données par les « monstres sacrés » de l’époque, Sarah Bernhardt et Edouard de Max, qu’il contracte le fameux « mal rouge et or » dont il ne se départira plus. Ses souvenirs, l’artiste les retranscrit à travers « Portraits-Souvenir, 1900-1914 » de la manière suivante :

« Notre jeunesse, folle de théâtre fut dominée par deux grandes figures : Sarah Bernhardt, Edouard de Max ».
Ces deux icônes de la scène, personnification d’un style de déclamation mélodramatique et classique, restèrent pour Cocteau un souvenir nostalgique qui marqua à tout jamais sa propre conception du théâtre.

« Mounet-Sully déclinait. Ce vieux lion aveugle somnolait dans un coin de la ménagerie. Parfois il envoyait un coup de patte magistral : Œdipe roi. Sarah et de Max jouaient souvent ensemble, face au Châtelet où nous vîmes Michel Strogoff et les Pilules du Diable. Quel délire lorsque le rideau jaune s’écartait après la pièce, lorsque la tragédienne saluait, les griffes de la main gauche enfoncées dans le portail, la main droite, au bout du bras raide s’appuyant au cadre de la scène ! Semblable à quelque palais de Venise, elle penchait sous la charge des colliers et de la fatigue, peinte, dorée, machinée, étayée, pavoisée, au milieu d’un pigeonnier d’applaudissements. La Sorcière ! La Samaritaine ! Phèdre ! Andromaque !... Hermione se repose dans sa loge. Oreste devient fou. « Pour qui sont – ces serpents – qui sifflent – sur – vos têtes. » De Max haletait, secouait les propres couleuvres de sa chevelure, agitait les voiles de Loïe Fuller. Une sorte de plainte poignante l’accompagnait, que nous prîmes longtemps pour un bruit de coulisse et qui n’était autre que la sirène du bateau-mouche de la station Châtelet. De Max fut un tragédien génial. Pareil à Mme Duncan et Bernhardt, il ignorait les codes et les formules. Il cherchait, il inventait. Il gênait. Il déraillait. On se sentait comme responsable de ses erreurs. On n’osait regarder ses voisins ; on suait à grosses gouttes. Soudain vous aviez honte de votre honte. Des « chut ! » éteignaient le dernier rire. De Max, d’une poignée rageuse, domptait le ridicule et le chevauchait. Sa superbe l’emportait et vous emportait au galop. Puis-je oublier son Néron de Britannicus, Néron d’opérette, à monocle d’émeraude et à traîne, et tel qu’il vous oblige à ne plus imaginer Néron sous un autre aspect. » Et Jean Cocteau termine ainsi : «… Salut à Sarah Bernhardt ! Salut à de Max ! Colosses qui devraient avoir pour devise cette réponse du chef indien auquel on reprochait de manger un peu trop à la table de la Maison Blanche : A little too much is just enough for me – Un petit peu trop, c’est juste assez pour moi. »
Jean Cocteau, Portraits-souvenir, 1900-1914, Grasset

A cette époque, Cocteau baigne dans ce milieu théâtral et il lui arrive même parfois de partager l’intimité de quelque monstre sacré : « Dans la suite, je devais, chaque samedi, déjeuner chez Catulle Mendès à Saint-Germain ».
Jean Cocteau, Portraits-souvenir, 1900-1914, Grasset

Influencé par ces performances d’acteurs, Jean Cocteau redonne vie aux grands personnages mythiques incarnés autrefois par Sarah Bernhardt et Edouard de Max. Il revisite et adapte de façon originale les grandes tragédies de Sophocle, leur conférant un style rapide et concis, des costumes et des décors souvent contemporains. Sans renoncer à la pureté classique, l’artiste, tel un archéologue, fait revivre les vestiges de la culture passée sous le nouvel éclairage de son époque. Il marque ainsi son identification à ces héros intemporels que sont Œdipe et Orphée.

De fait, l’auteur aborde la tragédie antique avec Antigone en 1922.
« Dès 1917, à Pompéi, Cocteau avait senti l’appel de sa « maison » : « J’avais attendu mille ans sans oser revenir voir ses pauvres décombres ». Il n’a pas seulement accéléré « à grande vitesse » le texte de Sophocle, condensé en un acte, il l’a aussi « latinisé », lessivé, de façon à retrouver, sous la « patine », le « grand mystère cruel, impitoyable à l’homme »… A ceux qui l’accusent de battre fausse monnaie, Cocteau répond qu’il remet en circulation de vraies pièces antiques. Ce triomphe ouvre la voie à Giraudoux et Anouilh ».
Extrait de l’Album Cocteau, de Pierre Bergé, nrf, Gallimard, La Pléiade.

Le mythe d’Œdipe constitue pour Cocteau une source inépuisable, qu’il exploitera tout au long de son œuvre (La Machine infernale, Œdipe-Roi, Oedipus Rex...). Ce qui fit même dire à Gide : « Il y a une véritable Oedipémie ».
Mais c’est au personnage d’Orphée que Jean Cocteau va réellement s’identifier. Après Antigone, Orphée est la deuxième tragédie de Cocteau portée sur scène en 1926. Cette nouvelle pièce est une synthèse d’antique et de moderne, de fantastique et de réel, qui apporte un nouvel élan au théâtre parisien. Orphée marque le début de sa collaboration avec Coco Chanel. Cocteau est alors le premier à découvrir ses talents de costumière.
Le personnage d’Orphée est également au cœur de plusieurs films réalisés par Jean Cocteau, jusqu’à son dernier long-métrage intitulé Le Testament d’Orphée, réalisé en 1959. Dans cette ultime œuvre cinématographique, le poète joue lui-même le rôle d’Orphée. Le processus d’identification est achevé. Cocteau déclare d’ailleurs que son film est « une séance de strip-tease, consistant à ôter peu à peu [son] corps et à montrer [son] âme toute nue ».

Pratique

Exposition ouverte tous les jours de 10h à 12h et de 14h à 18h,
sauf le mardi et les jours fériés.
Pour tous renseignements, Tél. : 04 93 57 72 30

pierre aimar
Mis en ligne le Lundi 28 Juin 2010 à 13:51 | Lu 4550 fois

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