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Mère et Fils, d’après la comédie nocturne de Joël Jouanneau
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C’est la quête éperdue d’un fils pour retrouver sa mère, et pouvoir vivre enfin. C’est la quête éperdue d’une mère pour continuer à vivre. Un regard ne suffit pas pour cette création d’Ivan Romeuf.


Mère et Fils © Candice Nguyen
Mère et Fils © Candice Nguyen
C’est une pièce qui reste en soi, qu’on analyse, qui interroge, parce qu’elle dérange, parce qu’elle bouleverse. L’interprétation éblouissante des comédiens, Marie-Line Rossetti, Jean-Baptiste Alfonsi et Ivan Romeuf et le talent exceptionnel du metteur-en scène font de ‘Mère et Fils’ un opus à l’amour.

« Si j’avais su… »
Le rideau se lève sur la voix off de la mère qui résonne dans le noir. Puis la scène éclaire l’intérieur d’une maison modeste : une grande table recouverte d’un tissu ordinaire, d’une bouteille d’eau, d’une tasse et, on imagine, de nourriture. De part et d’autre, deux chaises dont une à accoudoirs. A terre, devant la table, une paire de tennis, roses. La mère est assise sur une chaise, en pyjama et robe de chambre, un châle de laine bleu sur les épaules, amère, perdue dans ses pensées. Le ton est donné. Le fils surgit, torse et pieds nus, sautant, boxant le vide, la violence de son désespoir, de son interrogation, est là. Il sera tour à tour agacé, irrité, impatient, suspendu au sourire de sa mère, qu’il espère, qu’il attend. S’instaure un dialogue où chacun revendique ‘sa’ raison. Sept années de silence ont brisé la relation entre elle et lui. Mais il y a autre chose. Cette fuite… Pourquoi est-il parti à l’improviste ? Sans un mot ? Au cœur de la nuit, les deux se rencontreront ils enfin ? Ce règlement de comptes parviendra t-il à réparer ce que la vie a cassé ? Tourment, réminiscence, la voix off d’Ivan Romeuf, chaude, prenante, surgit pour souligner, répéter les mots, les pensées. Tous les mots, les gestes du fils, hurlent sa quête d’amour maternel. Ce ‘maman’ qu’il ne prononce pas ! Qui sort pourtant de sa poitrine comme un cri de désespoir, elle n’en veut pas ! Non, surtout pas cela ! Il n’y a plus droit ! Pourtant, si elle y consent, il pourra renaître.

« On a connu de beaux moments autrefois »
Elle, elle est enfermée, physiquement, moralement, dans ces quatre murs de solitude, enfermée aussi, peut-être, dans sa déraison ou son mensonge. Elle n’est plus la mère qui a choisi de garder cet enfant, elle est celle qui s’insurge de tant d’ingratitude inavouée, celle qui vit dans le souvenir des bras de celui qui n’est plus là, Vershuren, son mari, ce héros, celle qui souffre. Pourrait-il y avoir encore place dans son cœur pour ré accueillir l’enfant prodigue, celui qui a dilapidé ce bas de laine d’amour qu’elle lui a offert à la naissance ?

Deux solitudes qui s’affrontent
‘Mère et Fils’. Entre violence, passion, tendresse et mélancolie, ce sont deux solitudes, deux déchirures qui se font face. Marie-Line Rossetti y est impressionnante de vérité. Peu de gestes, la physionomie, le visage de la comédienne reflètent ses sentiments d’une manière inouïe. Sous le calme apparent, un feu intérieur la dévore. La mère y perdra-t-elle la raison ? Il y a comme un risque de bascule…Marie-Line Rossetti joue sur cette double personnalité avec une facilité désarmante. La fougue du garçon, sa rébellion, sa vivacité tranchent avec le calme, l’impassibilité, la feinte froideur de la mère. Il excelle dans le rôle. Mais la force de la pièce, on la doit en priorité au metteur en scène. Ivan Romeuf allège le propos par des musiques, du chant, moment incongru de plaisir où la mère et le fils se retrouvent, partagent quelque chose, dansent même, enlacés. Il pourrait redevenir petit garçon… Mais est-ce lui qu’elle tient dans ses bras ? Le public est touché, attendri, ravi. Mais c’est pour mieux replonger dans une interrogation grave, un dilemme affolant, préoccupant, perturbateur. Ce n’est pas tout : trouvaille astucieuse, la pièce est émaillée de soudaines minutes de noir total, laissant dans l’obscurité la scène et le public : flash-Back, retour en arrière, rétrospection intérieure. Au fait, tout cela existe-t-il vraiment ? Comme un sentiment de désarroi. Puis, la lumière et les mots percutent le spectateur, plus fort encore. Dans le souvenir de la mère, le père semble assez gouailleur, à la limite excentrique avec son panama et sa façon de parler à sa ‘poulette’. La voix off du père n’a pas du tout le même accent, désarçonnant un peu plus le public, toujours en alerte. Tout le talent d’Ivan Romeuf, mais encore… S’il existe une pièce où les costumes sont prépondérants et totalement en adéquation, c’est bien celle-ci. Ils parlent d’eux, sans artifices. La scène finale est poignante mais nous laisserons le spectateur la découvrir, mêlant rêve et réalité, passion et folie.

Le jaune et le rose en messages pas vraiment subliminaux…
On ne peut passer sous silence le clin d’œil à Verchuren. L’accordéon bien sûr, mais surtout le résistant. Le fils évoque avec colère le jaune de l’étoile et le rose des tennis. Pourquoi ? Le père a voulu sauver David, un enfant juif, réfugié dans ce village où la famille paysanne, pleutre, qui le cache, ressemble plus au couple de crémiers du film de Molinaro ‘Au bon beurre’, qu’à des gens accueillant des enfants juifs pour les sauver de l’enfer. Ils seraient partis, tous deux, le père et David, vers Dachau, dans le train de la mort. La mère veut à tout prix punir le village, ressusciter la figure du héros et demande au fils, écrivain, d’écrire en livrant tous les noms des traitres. Hérésie ? Aux mots du fils jetant ce jaune au visage de la mère, elle répond, horrifiée, par ce rose qu’elle ne saurait voir ! A l’impossibilité de retrouver sa mère s’ajoute l’amertume, la rancœur, des soi-disant sacrifices. A l’impossibilité d’accueillir ce fils s’ajoute le déni d’une homosexualité qu’elle soupçonne.

Le fils réussira-t-il à rendre la liberté à sa mère ou restera-t-elle, à vie, enfermée dans un carcan ? La mère réussira-t-elle à libérer le fils de cette emprise qui l’empêche de vivre ?
Et si c’était simplement la vérité à y pourvoir ?

C’est le théâtre Toursky qui présentait en avant-première le vendredi 17 janvier 2020 ce huis-clos tendu et pourtant léger, la dernière mise-en-scène d’Ivan Romeuf, d'après la comédie nocturne de Joël Jouanneau, Mère et Fils, avec Marie-Line Rossetti, Jean-Baptiste Alfonsi et Ivan Romeuf, sur une musique de Wilfrid Rapanakis Bourg. N’hésitez pas à vibrer avec eux. Qu’on se le dise !
Danielle Dufour-Verna

Ils seront :
- Au Théâtre du Balcon, en Avignon, le 6 février 2020 à 20 heures 38 rue Guillaume Puy. Tél. 04 90 85 00 80
- Au Théâtre Thespis, à Mornas, les 7 et 8 février 2020 à 20 heures, 304 rue Maoucrouset – 84550 Mornas / tél 06 58 21 36 90
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Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Lundi 20 Janvier 2020 à 00:44 | Lu 475 fois

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