Une sérénissime Calisto au Festival d’Aix-en-Provence

Dramma per musica en un prologue et trois actes
. Musique de Francesco Cavalli
. Livret de Giovanni Faustini, d’après Les métamorphoses d’Ovide (livre II)
. Créé le 28 novembre 1651 au Teatro Sant’Apollinare de Venise



La Calisto, opéra baroque en trois actes, composé sur un livret de Giovanni Faustini, fut parachevé en 1651, à une époque où Francesco Cavalli (1602-1676) dominait la scène lyrique vénitienne. Dès les premières mesures, l’ouvrage instaure une atmosphère empreinte de la grandeur monteverdienne (1567-1643), à travers l’éclat de ses arias, l’introduction savoureuse de personnages populaires buffo, typiquement italiens, et des effets dramatiques d’une rare efficacité.

Puisant son inspiration dans les Métamorphoses d’Ovide, l’opéra met en musique les tribulations amoureuses de la jeune nymphe Calisto. Déjà au XVIIᵉ siècle, l’œuvre fut célébrée pour la subtilité de sa poésie, la finesse de sa satire, la préciosité de son écriture musicale et la complexité psychologique de ses protagonistes. Dans la lignée de Monteverdi, qui érigea les fondements du langage lyrique moderne, Cavalli alterne avec maestria monodies accompagnées et arias mélodiques, imposant un style d’une sensibilité exquise, qui joue subtilement sur l’émotion, le drame et la richesse expressive, tant vocale qu’instrumentale.
 À l’instar de maints chefs-d’œuvre du répertoire baroque, Calisto sombra dans l’oubli, délaissée durant près de trois siècles. Sa résurrection, survenue en 1970 à Glyndebourne sous la direction de Raymond Leppard, marqua le début d’une renaissance : l’ouvrage fut dès lors régulièrement repris, notamment par de prestigieux chefs, tels que René Jacobs, William Christie, Christophe Rousset, Leonardo García Alarcón, pour ne citer qu’eux.

Ce drama tragi-comique explore avec sagacité les jeux subtils de l’amour, du désir, de la jalousie, de la métamorphose, de la transformation et du travestissement, déclinés en situations à la fois équivoques et empreintes d’une délicate ironie. L’inventivité musicale de Cavalli confère à la partition une expressivité singulière, qui en fait l’un des joyaux du patrimoine baroque italien.

Jitske Mijnssen, metteuse en scène néerlandaise de renom sur les plus grandes scènes européennes, propose une lecture résolument contemporaine, tout en demeurant fidèle à l’esprit de l’œuvre. Sa mise en scène, transposée au XVIIIᵉ siècle, se distingue par la clarté de sa dramaturgie, la profondeur de l’analyse psychologique et la rigueur de la direction d’acteurs. Le dispositif scénique, d’une ingéniosité remarquable — un plateau circulaire évoluant dans un salon lambrissé — accentue l’épure et la vérité dramatique de la proposition.

L’interprétation vocale fut confiée à une pléiade de jeunes chanteurs européens. Lauranne Oliva, soprano française incarnant Calisto, s’est illustrée par la virtuosité de son chant, la noblesse de sa présence scénique et la pénétration de son interprétation. Habituée de la scène aixoise, notamment grâce à l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence (2023), elle s’impose comme une révélation, forte d’une technique irréprochable et d’une belle musicalité.
Anna Bonitatibus, mezzo-soprano italienne unanimement saluée dans le répertoire baroque, prêtait ses traits à Giunone/L’Eternitá. La richesse de son timbre, la subtilité de sa palette expressive et l’intensité de son engagement scénique servaient admirablement l’exigence stylistique de l’œuvre.
La basse américaine, Alex Rosen (Giove/Jupiter) a séduit par la profondeur, la chaleur et la souplesse de sa voix, particulièrement dans les registres burlesques, lors de son travestissement en fausse Diane, dans ses passages en falsetto, d’une maîtrise éblouissante. Il s’affirme ainsi comme une référence incontournable du répertoire baroque.
Le baryton britannique Dominic Sedgwick, dans le rôle de Mercure, formait un remarquable tandem libertin et cynique avec Giove. De même, le contre-ténor français Paul-Antoine Bénos-Djian, dans le rôle d’Endimione, a charmé par la pureté et la souplesse de sa voix, son expressivité nuancée et la justesse de sa présence scénique, confirmant son statut de jeune espoir du chant baroque français.

Enfin, à la tête de l’Ensemble Correspondances, réuni pour l’occasion dans une formation élargie (une trentaine de musiciens), le chef Sébastien Daucé, claveciniste et fin musicologue, s’est livré à un véritable travail archéologique, pour adapter la partition originelle — qui ne comportait que la ligne de chant et la basse continue — à l’acoustique en plein air de l’Archevêché. Il a su réécrire certaines parties pour la scène aixoise, enrichissant l’orchestre de deux violons, quatre continuistes, harpe, théorbes, violes, deux clavecins, un orgue positif et, de manière inattendue, de percussions qui ont rythmé symphonies et danses. Son travail se distingue par la richesse des couleurs instrumentales et la subtilité de l’équilibre sonore.


Si Monteverdi ouvrit la voie à l’opéra public à Venise, Cavalli en consolida le modèle et en assura la diffusion à travers toute l’Europe. Point d’orgue de cette édition 2025 du Festival d’Aix, La Calisto mérite d’être saluée pour sa créativité musicale et dramaturgique, ainsi que pour l’excellence de son interprétation.
Catherine Richarté-Manfredi
Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché
. Vendredi 18 juillet 2025, 21h30


Direction musicale
Sébastien Daucé
Ensemble Correspondances

Mise en scène
 Jetske Mijnssen

Scénographie
 Julia Katharina Berndt

Costumes
 Hannah Clark

Lumière
 Matthew Richardson

Chorégraphie
 Dustin Klein

Distribution
Calisto
 Lauranne Oliva

Giove
 Alex Rosen

Diana
 Giuseppina Bridelli

Endimione
 Paul-Antoine Bénos-Djian

Giunone, L’Eternità
 Anna Bonitatibus

Linfea
 Zachary Wilder

La Natura, Pane, Furia
 David Portillo

Mercurio
 Dominic Sedgwick

Destino, Satirino, Furia
 Théo Imart

Silvano, Furia
 José Coca Loza



Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 21 Juillet 2025 à 05:37 | Lu 104 fois
Pierre Aimar
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