Sam Szafran, 50 ans de peinture, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, du 8 mars au 16 juin 2013

La Fondation Pierre Gianadda présentera l’hiver prochain cinquante ans de peinture d’un artiste discret qui pratique son art d’une façon personnelle en retrait des modes, mais avec une prodigieuse virtuosité.


Sam Szafran, Escalier, 2005 aquarelle sur soie Collection Fondation Pierre Gianadda © Michel Darbellay, Martigny
C’est une grande joie pour la la Fondation de retrouver après plus de dix ans les oeuvres de Sam Szafran, cet artiste qui décline la couleur avec constance et obsession dans l’alignement de ses bâtons de pastel, avec des gravures, peintures, pastels, aquarelles et fusains.

Le public avait pu apprécier ses « Ateliers » aux encombrements presque surréalistes, ses « Escaliers » qui se jouent de la perspective et vous entraînent dans un vertige, ses cascades de verdure avec la présence furtive d’une femme, bref, les thèmes récurrents de Sam Szafran vont revenir nous interpeller sur nos cimaises entraînant le visiteur dans ses errances, dans son univers chancelant et dans l’exubérance de ses « Philodendrons ». Szafran est aussi devenu éponyme d’un pavillon qui jouxte la Fondation avec une salle de projection pour les conférences concernant les expositions en cours. Sur les deux façades extérieures de cette bâtisse, Szafran a signé deux céramiques monumentales, où l’on retrouve ses archétypes : l’escalier avec son appel du vide, et la ligne serpentine qui exprime le feuillage. Sam Szafran c’est aussi une grande amitié avec Annette et Léonard Gianadda à qui il a offert pour la Fondation un trésor de photographies signées Cartier-Bresson.

Famille décimée, enfance déracinée, quelques repères biographiques d’un cabossé de la vie

Né à Paris le 19 novembre 1934, de parents juifs émigrés de Pologne, Sam Szafran grandit au coeur des Halles. Son père meurt dès le début de la guerre et l’enfant se voit confier à un oncle sévère. La tendresse, il la trouvera auprès de ses grands-parents. Il fréquente la synagogue de Guimard avec son grand-père. Caché dans le Loiret, chez des paysans qui le maltraitent, il trouve refuge chez des républicains espagnols. Miraculé de la rafle du Vel’d’hiv en 1944, il est déclaré pupille de la nation en 1945. La Croix-Rouge l’envoie en Suisse près de Winterthur dans une famille d’accueil pendant deux étés. L’artiste confie que « ce furent les seuls moment heureux de mon adolescence ». Il apprend à nager, à dessiner, et le futur graphiste Jean Widmer le remarque.

En 1947, avec sa mère et sa soeur, ils embarquent depuis Marseille jusqu’à Melbourne rejoindre un oncle maternel émigré depuis 1937. Après trois mois d’école pour apprendre l’anglais, il pratique plusieurs métiers : magasinier, commis chez un charcutier, larbin d’un journaliste sportif …

Là déjà, il s’intéresse aux images et profite de la bibliothèque du musée de Victoria pour découvrir des livres sur la peinture anglaise : Hogarth, Reynolds, Turner etc. Période de grande détresse morale où il attend avec impatience de rentrer en France en 1951. A Paris, il survit en acceptant de petits boulots, dont traducteur interprète à l’American express. Il s’inscrit au cours du soir de dessin de la ville de Paris. Dès lors, l’art se présente au jeune peintre comme un salut, pour éviter les dérives ! En 1953, il peut suivre l’enseignement de la Grande Chaumière où pendant quatre ans il dessine avec passion, animé par une inlassable curiosité avec le regard indemne de l’autodidacte. Son atelier : le métro, les escaliers, les caves, les passants du Palais de Justice, un crayon à la main, il scrute, trace, s’essaie dans la perspective. Il fréquente divers groupes à Montparnasse, puis dans le quartier Saint-Germain. Epoque où il découvre le jazz aux Trois Maillets. Rencontre importante avec Roseline Granet en 1954, acquéreur de ses premières oeuvres et son seul soutien pendant longtemps. Il fait la connaissance d’Alberto et Diego Giacometti, puis également d’Yves Klein, de Tinguely et de Riopelle. En 1960, Szafran reçoit une boîte de pastels, une révélation ! Il abandonne la peinture à l’huile, adopte ce médium, point de départ d’une technique un peu oubliée. Il épouse en 1963 Lilette Keller, originaire de Moutier dans le Jura suisse, leur fils Sébastien naît un an plus tard. Après quelque dix ans de galère, la situation de l’artiste s’améliore. Jacques Kerchache qu’il rencontre en 1965 lui offre sa première exposition personnelle. Le poète libanais Fouad El-Etr devient un proche ami de Sam. Il crée la revue La Délirante en 1967 à laquelle le peintre collabore activement à partir de 1983. Une rencontre importante témoin d’une profonde amitié : Henri Cartier-Bresson qui prend des cours de dessin avec Sam.
Pendant quelque vingt ans, Szafran ne possède pas de véritable atelier, il hante des lieux lugubres et inadaptés, jusqu’à ce qu’il repère une ancienne fonderie à Malakoff en 1974, dans laquelle il vit et travaille encore aujourd’hui.

L’artisan de la renaissance du pastel

La découverte du pastel est pour Szafran une véritable révélation. Il abandonne les pinceaux pour exploiter ce nouveau mode d’expression auquel il se voue totalement pendant une décennie. Il maîtrise la technique du pastel avec un rare talent sachant exploiter à merveille le plus grand nuancier de l’histoire de l’art qu’est le pastel avecsa gamme de 1600 tons ! Léonard de Vinci dans un texte dénomme le pastel comme « le mode de colorier à sec » et son étymologie indiquerait une origine italienne : pasta, pâte. Un artiste français, Jean Perréal, venu à Milan en 1499 avec Louis XII, aurait révélé à Léonard de Vinci la technique du pastel. Utilisé au XVIe siècle surtout pour des légers rehauts, son emploi se généralise au XVIIe et au XVIIIe s. siècle pour les portraits. Au XIXe s., en France si le pastel s’utilise surtout pour les portraits (Manet, Toulouse-Lautrec, Degas) il intervient également pour la traduction des paysages (Delacroix, Millet). Il se révèle aussi parfait pour traduire les impressions fugitives de l’impressionnisme (Boudin, Monet, Renoir) et surtout Degas pour qui le pastel devient sa technique préférée. Au XXe son emploi reste un moyen très en faveur et l’on pense à des artistes tels que Delaunay, Balthus, Matta, Atlan. Mais, c’est bien Szafran qui devient le maître de cette technique et l’artisan principal de sa renaissance. Il reconnaît la qualité exceptionnelle des pastels fabriqués par les soeurs Roché, rue Rambuteau, et elles deviennent ses fournisseurs attitrés à partir de 1963.

Chou, Atelier, Imprimerie, Escalier, Feuillage, ou la récurrence d’une thématique

Au départ, Sam Szafran s’essaie dans l’abstraction influencé par Nicolas de Staël et Jean-Paul Riopelle. La matière insolite et dense de Dubuffet l’intéresse aussi pour un temps. Pas à l’aise dans cette expression, il se tourne vers la figuration et connaît une période de grande misère jusqu’en 1965. Ses premiers pastels vers 1960 sont des « Choux » qui lui rappellent la cuisine du pays de son enfance, ses racines polonaises. Ce légume devient le prétexte de dégradés subtils, une métamorphose continue, une véritable activité organique.

Dès la fin du XIXe s. l’Atelier devient un lieu de création personnelle, on s’éloigne de l’Atelier du maître du XVIIe s. avec un foisonnement d’élèves et d’apprentis, chez Matisse et Picasso l’Atelier prend forme du peintre et son modèle. Les « Ateliers » de Szafran relèvent d’une grande théâtralité, meubles, tréteaux, cadres, s’enchevêtrent dans un intense désordre. Ils ont un goût d’Apocalypse, l’espace est bousculé, les encombrements surréalistes changent la perspective. Certains Ateliers semblent le lieu d’un drame passionnel auquel Szafran répond par ses alignements presque obsessionnels de bâtons de pastel. Les Ateliers de l’artiste entraînent le regard dans un décor labyrinthique qui apparaît comme la métaphore d’une enfance chaotique et dramatique.

L’aventure de l’Imprimerie Bellini, nommée ainsi par Szafran en hommage au peintre italien, débute en 1972 à la rue du Faubourg St-Denis. Il s’agit d’un atelier de lithographie créé par Szafran avec deux associés. Avec le fusain ou le pastel, Szafran détaille la grande verrière pyramidale, la haute machinerie de la presse avec ses engrenages et ses rouleaux encreurs, inlassablement, il reprend le sujet, épuisant un angle nouveau et une lumière différente.
Ces premières leçons d’abîme, Szafran les reçoit de cet oncle sévère, dans une cage d’escalier.
Il choisit ce thème « ..parce que c’était un problème à résoudre… », mais très vite l’Escalier devient un terrain d’expérimentation, une construction mentale.
Tout en courbes sinueuse avec une rampe comme une volute, des effets de plongée, des zooms avant, l’artiste se joue de la perspective jusqu’au vertige. Dans certains tableaux, ce vertige se traduit par un jaillissement de couleurs éclatantes en teintes pures. Des appels du vide traduits par des visions panoramiques délirantes.

Enfin le dernier thème : les « Feuillages ». La passion de Sam Szafran pour les plantes date de l’époque où il travaille quelque temps dans l’atelier de Zao Wou-Ki « j’étais fasciné par un magnifique philodendron qui resplendissait sous la verrière… ».
Jusqu’à l’obsession, Szafran dessine des serres envahies par des feuillages, un foisonnement de végétaux où apparaît en contrepoint Lilette en kimono assise sur une chaise ou un banc Gaudi.
Antoinette de Wolff-Simonetta

Pratique

Fondation Pierre Gianadda
Rue du Forum 59, 1920 Martigny, Suisse
Tel : + 41 27 722 39 78
Site : www.gianadda.ch
Ouvert tous les jours de 10h à 18h


Afficher Fondation Pierre Gianadda sur une carte plus grande

Pierre Aimar
Mis en ligne le Mercredi 26 Septembre 2012 à 04:04 | Lu 2256 fois
Pierre Aimar
Dans la même rubrique :