Nouvelle lune, exposition autour de l’effacement et la disparition, Galerie Maubert, Paris, du 4 avril au 15 juin 2013

Le vocabulaire associé à la disparition n’est pas toujours celui de l’annihilation. En Chine ancienne par exemple, on évoque l’éclipse, l’oubli, éventuellement la transformation. La disparition est avant tout liée au mouvement ou au déplacement : les choses disparaissent parce qu’elles sont cachées, passées dans une autre dimension, parce qu’elles ne coïncident plus dans l’espace.


Elles n’en continuent pas moins d’exister. La mort elle-même s’explique par le mouvement, plus précisément par un re-agencement de matière. La disparition n’est donc qu’un aspect de l’infinie variation des choses et du monde. Elle suit un cycle. Dans la vidéo, Soleil Coulant, Maude Maffei nous perd au milieu d’une rivière, sur la barque de Charon imaginée, dans des aller-retours incessants entre la rive des vivants et celle des morts. C’est dans cet interstice invisible que se joue la création.

La disparition est la face cachée de l’apparition. Toute apparition porte en elle le germe de son contraire quitte à devenir le masque d’une présence en péril. Dans un bloc de marbre, la disparition progressive ne révèle-t-elle pas la forme ? Dans le dessin, le vide et le plein ne découlent-ils pas l’un de l’autre ? C’est grâce au vide, que la roumaine Irina Rotaru définit, dans ses dessins, les formes et les volumes. Le designer israélien Arik Levy, dans des sculptures facettées où ne subsistent parfois que des arêtes dessinées, veut « rendre palpable l’absence et le vide». Absence de matériau, de reflet, de lumière, absence d’utilisation, absence d’humain, de vie. Le médium photographique se trouve également au centre d’un jeu entre apparition et disparition. La photographie fixe une image, elle en empêche la disparition. Le négatif argentique, foyer de la création, est le terrain d’une lutte entre l’ombre et la lumière. Par la « révélation », une instance de l’image va apparaître, figée, quasi mort-née. Le photographe hongrois Lucien Hervé, dès les années 50, alterne dissimulation et mise en lumière, dans une photographie aux franges de l’abstraction et de la géométrie. Son autoportrait, fondu dans un triangle d’ombre, est une apparition quasi-mystique.

L’ombre et le reflet sont au centre d’un processus de dématérialisation de l’oeuvre d’art. Avec le sculpteur japonais JUN-Sasaki, notre regard croise un miroir, glissé derrière les lignes fuselées et taillé de telle sorte qu’on ne s’y voit pas quand on regarde de face. Le spectateur doit se chercher lui-même dans les rouages. Chez la photographe russe Elena Elbe, effacer son propre reflet fait partie du processus de création. Une thérapie. L’artiste doit “disparaître dans la lumière” de l’oeuvre qu’il a créée, précise Walter Benjamin.

Karen Mirzoyan, photographe

Karen Mirzoyan, photographe arménien, a émergé de la scène artistique internationale de manière fulgurante.
Issu de la photographie documentaire, le travail de Karen Mirzoyan a été publié largement dans de nombreux périodiques arméniens, russes, européens et américains. En 2010, Karen Mirzoyan a gagné trois récompenses majeures de la Fondation Magnum avec laquelle il collabore régulièrement depuis : Le Emergency Grant, le Magnum Caucasus Award et une bourse d’étude du Programme de la New York University / Magnum Foundation Photography and Human Rights. Depuis 2010, Karen Mirzoyan a été invité en tant que conférencier sur la photographie documentaire dans de prestigieuses universités aux Etats-Unis et en Russie.
A la fois naturelle et poétique, les photographies et reportages de Karen Mirzoyan documentent les conflits politiques et problèmes sociaux latents dans le Caucase, le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est et les Etats-Unis. Le photographe s’intéresse sans relâche aux populations à la marge de la société et son travail tente de nous éclairer tour à tour sur les survivants de suicide, les homosexuels opprimés, les victimes de guerre des républiques de l’ex-URSS…
Ces dernières années, Karen Mirzoyan a développé, en parallèle, une photographie moins documentaire : ses expériences remettent en question les structures formelles et esthétiques du médium photographique.

Ninar Esber, Plasticienne

Ninar Esber quitte le Liban avec sa famille en 1986 pour s’installer en France, poursuit ses études à l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts de Paris Cergy de 1995 jusqu’en 2000 où elle obtient son diplôme. En 2000, elle s’engage dans une démarche impliquant son corps dans des performances ou des films vidéo jouant sur une certaine lenteur, aux limites de l’immobilité. Les idées de suspens se trouvent confrontées à l’architecture (murs, tours, promontoires), aux objets quotidiens (étagères, tables, chaises) ou aux mythologies contemporaines (Super-héros, chanteurs ou acteurs populaires, Pin Up…). La performance constitue un élément décisif dans ses vidéos (les scènes sont filmées en temps réel, chaque scène étant constituée d’une performance exécutée en une seule prise).
De 2002 à 2006, elle inaugure un journal vidéo à partir de séquences filmées de 1mn, dont ont été tirés : 1 mn à Bangkok, 2003, 1 mn à Beyrouth, 2005. Une manière pour elle de s’inscrire dans le présent. Car tous les jours elle devait filmer une minute vidéo quel que soit le sujet où le moment de la journée. Parallèlement, elle entame dès 2002, une réflexion sur la « réduction » des formes, des concepts et de l’espace. Comme dans sa pièce Couleurs, 2003, où elle additionne les couleurs de chaque drapeau national, pour obtenir un monochrome, faisant disparaître toute forme ou symbolique ethnique, politique et donc nationaliste. Ou comme sa pièce La Marseillaise , 2010 où elle réduit le texte de la Marseillaise à une simple équation.

Maud Maffei, Plasticienne

Maud Maffei est diplômée de la Villa Arson et du Master 2 de Philosophie de l’Université de Nanterre avec un mémoire sur les rapports entre texte et espace dans l’oeuvre de l’artiste Robert Barry. En parallèle de sa pratique plastique, elle mène un doctorat sur les rapports entre paysage et texte dans l’art américain des années 1960-1970.
Maud Maffei a travaillé comme assistante de l’artiste Larry Bell dans ses ateliers de Taos, Nouveau Mexique et Los Angeles puis de l’artiste Doug Wheeler à Paris sur plusieurs projets vidéo et sur la scénographie de l’exposition Upside Down Les Arctiques au Musée du Quai Branly. Maud Maffei en retient l’importance des phénomènes de la vision, mettant en jeu la persistance rétinienne et le rapport à l’espace.
Maud Maffei poursuit une pratique plastique en installation vidéo, dessin et sculpture. Le fond de sa pratique questionne notre rapport au temps : que faire du passé ? Comment le transformer ? Comment mettre à jour les anciennes métaphores avec lesquelles nous vivons ?
Ses travaux créent des oscillations entre mémoire physique sensible et mémoire historique. Ils pointent ces aller-retours incessants de la perception à la conceptualisation ; comment l’une vient modifier l’autre et vice-versa.
Ses productions récentes traitent de notre relation contemporaine au paysage, ce qu’on y projette par rapport à ce que l’on voit et ressent.

Elena Elbe, Photographe

Elena Elbe, Me, myself & I, photographie, 53 x 81 cm, 2009
Elena Elbe arrive en France en 1998 et s’y installe définitivement en 2004. Son travail est exposé régulièrement en France, aux Etats-Unis et en Russie (Musée des Rêves de Freud, Musée Vladimir Nabokov à St-Pétersburg, Winzavod Center for Contemporary Art à Moscou).
Elena Elbe est une photographe atypique : en perpétuelle recherche sur son art, en perpétuelle recherche sur elle-même. Elle se met en scène, se cache. On la voit rare¬ment directement. On admire son reflet, dans les infinités de miroirs qu’elle installe scru¬puleusement pour créer des effets de trans¬parence et de superposition. Et si on ne la voit pas, on l’imagine… Perdue dans ces vagues dorées. Le reflet, c’est une manière de ques¬tionner l’image. Que voyons-nous ? Quelle image donne-t-on ? Quelle part de nous-même mettons-nous en avant ? « Ces photos que l’on place sur nos profils comme celui de face-book, est-ce bien nous ? Son reflet multiplié à l’infini n’est-il pas finalement plus révélateur ? Comment l’inconscient s’immisce-t-il dans ce cache-cache des images ? »

JUN-Sasaki, sculpteur

JUN-Sasaki travaille le métal, le verre, le bois et met en situation des objets pris dans la nature. Son travail est conceptuel. Après des études aux Beaux-Arts de Tokyo, Jun Sasaki s’installe à New-York et obtient une bourse de la E.McDowell Fondation. Dans les sculptures de JUN-Sasaki, une masse imposante en acier encadre un élément fragile, qui, d’un léger mouvement, vibre dans les airs. Pour actionner ce mécanisme, nous sommes mis à contribution, guidés par des forces invisibles, notamment magnétiques. Le sculpteur allie mobilité et immobilité, relie le conceptuel au concret, le végétal au minéral. La pensée contemporaine - calculatrice, théoricienne et logique - semble s’attendre à l’évidence. Pour aller contre, JUN-Sasaki recherche toujours l’inattendu, en utilisant un principe physique avec une technique omniprésente. Ce décalage amène un sentiment d’étrangeté. En la manipulant, s’en dégage peu à peu le sens.

Irina Rotaru, dessin

“La disparition est l’interstice invisible du contraste. Elle est la face cachée de l’apparition, son compagnon nommé “Vanité”. Toute apparition porte en elle le germe de son contraire quitte à devenir le masque d’une présence en péril. Cet instant de « perdition » infime, au bord de la dissolution, il est difficile de le capter. La superposition des deux forces contraires qui s’annulent, antiphasées, marque le croisement de nos perceptions dans une énigme. Je veux questionner l’énigme et entrer dans la zone troublante de la transformation. L’inévitable fragmentation de l’image. Qu’est-ce qu’un corps « réel », alors que nous nous définissons par notre inconscient ? Dans un bloc de marbre, la disparition progressive ne révèle-t-elle pas la forme ? Dans le dessin, le vide et le plein ne découlent-ils pas l’un de l’autre ? Le négatif argentique n’est-il pas une double apparition / double disparition ?” Irina Rotaru

Lucien Hervé, photographe

De son vrai nom Laszlo Elkan, Lucien Hervé est né en 1910 à Hódmező Vásárhely en Hongrie. Jeune, Lucien Hervé s’intéresse à tout : peinture, musique, mode, sport... En 1928, il étudie l’économie politique à Vienne ainsi que le dessin à l’Académie des Beaux-Arts. En 1929, il arrive à Paris. Il est alors recruté par une banque. Son travail en tant que dessinateur lui donne l’occasion de vendre ses modèles à des couturiers de renom comme Chanel, Rochas, Worth… Lucien Hervé se rapproche également du journalisme : en 1938, il réalise des clichés pour le magazine Marianne où il collabore avec le photographe Müller. Lucien Hervé, naturalisé français en 1937, devient photographe de l’armée sous l’autorité du colonel de Lattre de Tassigny. Fait prisonnier en 1940, il est détenu dans un camp à Hohenstein et condamné en conseil de guerre. Il parvient à s’évader, rejoint la résistance française et réintègre le PCF sous le nom de Lucien Hervé. Il participe à la libération du pays.
En 1947, il reprend son Rolleiflex maniable et entame des collaborations avec les magazines France Illustration, Regards et Point de vue et débute sa série PSQF (Paris Sans Quitter ma Fenêtre). C’est en 1949 que Lucien Hervé fait la connaissance de Le Corbusier. Une rencontre qui va littéralement changer le cours de son existence. Lucien Hervé est désormais photographe d’architecture. Il devient le photographe officiel de Le Corbusier. Le travail et l’oeil visionnaire de Lucien Hervé suscitent rapidement l’intérêt d’autres architectes comme Alvar Aalto, Marcel Breuer, Pier Luigi Nervi, Richard Neutra, Oscar Niemeyer, Jean Prouvé... En 1955, il accompagne Le Corbusier à Chandigarh et Ahmedabad. En 1961, on le retrouve au Brésil. En 1962, il photographie des sites archéologiques au Liban, en Syrie ou encore en Iran. En 1965, diminué par la maladie, il expérimente le photomontage à partir de ses tirages. Tout au long de sa carrière, Lucien Hervé a su allier philosophie humaniste et pensée architecturale dans une photographie aux franges de l’abstraction.

Arik Levy, designer

Artiste, technicien, designer, photographe, réalisateur…les talents de Levy sont multiples et ses oeuvres sont exposées dans des galeries et des musées parmi les plus prestigieux au monde : Centre Pompidou (Paris), Victoria and Albert Mu¬seum (Londres), Israël Museum (Jérusalem), The Art Institute of Chicago (Chicago), Museum of Modern Art (New York), Museum of Arts and Design
(New York)...
D’abord connu pour ses projets dans le domaine du mobilier, ainsi que pour ses installations et ses créations en série limitée, Levy estime, néanmoins, que “ce qui compte au monde ce sont les personnes, non pas les tables ou les chaises.”
Originaire d’Israël, il est né en 1963 et s’installe en Europe en 1988. Il travaille actuellement à Paris avec son équipe de 20 designers et graphistes au sein de son studio Ldesign. Grâce à sa vision et à celle de son associé, Pippo Lionni, Ldesign s’occupe aussi bien de projets d’identité visuelle, signalétique et packaging, que de scénographies d’exposition et aménagements d’intérieur.
Après une formation initiale assez atypique – en Israël il partageait son temps entre le surf et son agence de design graphique – Arik continue ses études au Art Center Europe en Suisse où, en 1991, il obtient son diplôme en Design In¬dustriel avec mention. Il obtient son premier succès international en gagnant le concours Seiko Epson Inc., grâce auquel il fait son entrée sur la scène internationale en tant que designer “pensant”.
Après une courte période au Japon, où il consolide ses idées en réalisant des produits et des pièces d’exposition, il rentre en Europe où il applique son talent au milieu de la danse contemporaine et de l’opéra en créant des scénographies originales.

Informations pratiques

Galerie Maubert
20 rue Saint-Gilles
75003 Paris
+33 (0)1 44 78 01 79
galeriemaubert@galeriemaubert.com
www.galeriemaubert.com


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Pierre Aimar
Mis en ligne le Mercredi 6 Mars 2013 à 02:47 | Lu 1293 fois
Pierre Aimar
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