Marseille, Tattoo art club : « Tarantonio. L’homme qui colle le monde ». Expo jusqu'au 17 novembre 2025

A l’heure où le virtuel dévore le réel et où les images se multiplient jusqu’à l’épuisement, un homme, un artiste, découpe encore à la main, à la lumière du jour, des morceaux de papier arrachés aux magazines.



Tarantonio, collagiste habité par mémoire du cinéma et l’instinct du photographe, ressuscite dans le tumulte des espaces la beauté fragile d’un monde qu’il tente, par le jeu, la dérision et la passion, de recoller. Ses œuvres racontent la beauté blessée d’un monde en perdition et la fragile espérance qui s’y glisse encore.

L’Homme qui recolle la lumière
Certains hommes travaillent avec la matière de leurs rêves. Tarentonio, lui, œuvre avec celle du monde – et de la lumière. Technicien lumière de métier, il a longtemps façonné l’éclat qui enveloppe les scènes des autres avant d’oser façonner la sienne. Dans un monde qui se délite à force d’images, il choisit la colle et les ciseaux. Tarantonio découpe la réalité pour la réassembler sur les murs des villes. Ses créatures hybrides, surgies par fragments des pages de magazines, réenchantent la matière urbaine. A travers elles, il questionne la beauté, la fragilité et la condition humaine. Son œuvre, à la fois artisanale et métaphysique, relie la poésie du geste à la philosophie du vivant. La clarté, chez lui, n’est pas un effet : c’est une respiration.

L’Artisan de l’aube
Le temps est saturé d’écrans. Il est de ces gestes anodins qui deviennent héroïques. Coller, découper, chercher dans la poussière des images un éclat de vérité. C’est le quotidien de Tarantonio devenu ouvrier de la beauté. Il colle dans ces zones incertaines où la matière s’effrite et où le sens s’invente. Originaire d’Eguilles, un village suspendu entre la terre et le vent, son parcours est celui d’un autodidacte absolu mais avec une rigueur d’orfèvre. Infatigable arpenteur urbain, de Marseille à Berlin, en passant par l’Espagne, il guette son inspiration entre les murs écaillés et les reflets des vitres, dans les accidents du réel.
Son atelier n’a ni murs ni plafond ; l’atelier lui donne le vertige, la rue, elle, lui donne un horizon. Il colle dehors, toujours, sous la clarté changeante du jour. Le soleil devient son complice. Il s’arme de ciseaux, de colle et de patiente et compose sur les surfaces délaissées -vitres, fers rouillés, murs – des figures improbables, parfois rieuses, parfois prophétiques, toujours féériques. Tarantonio reconvoque la puissance du sacré dans un monde saturé d’images numériques.

Recoller le monde
« Comment exister dans un monde en déliquescence ? Comment retrouver un sens à l’image quand tout devient surface et simulacre ? »
Aujourd’hui, l’image se télécharge plus qu’elle ne se contemple. Tarantonio choisit la résistance du geste manuel. Dans les magazines, ceux qu’on feuillette, qu’on froisse, qu’on respire encore, chaque morceau découpé porte une odeur, une trace de doigt, une mémoire. Le collage devient un rituel d’incarnation. Comme si, dans le chaos des pages déchirés, l’artiste cherchait à reconstruire une humanité dispersée. Les morceaux de corps, les visages disloqués, les animaux hybrides et les objets détournés s’unissent pour composer des êtres nouveaux, chimères d’un monde possible, reflets d’un réel à réparer. Ils incarnent la crise de l’identité moderne et peut-être une identité à inventer. Entre chair et métal, entre animal et homme, entre rêve et rouille, ils expriment le vertige d’une humanité en mutation.

La réconciliation par l’imaginaire
Il y a dans cette pratique une philosophie discrète mais tenace : rassembler ce que la modernité a séparé. L’humain, la machine, le rêve, tout se côtoie sans hiérarchie. L’art de Tarantonio, c’est la réconciliation par l’imaginaire. En recollant les images, il tente de recoller le sens. En offrant à la rue des figures nouvelles, il offre au passant la possibilité d’un regard neuf, mais aussi celle du rêve.

Créatures de l’entre-monde, un univers fantasmagorique
« Elles ont traversé le miroir et réclament un doit d’existence »
Les œuvres de Tarantonio surgissent d’un interstice, ni tout à fait humaines, ni tout à fait mythologiques. Elles appartiennent à cet « entre-deux » que seuls les poètes savent nommer. Ce sont des créatures de la faille, des messagères du désordre et de la lumière. Elles ont traversé le miroir et réclament un droit d’existence.
Leur beauté peut être dérangeante, inquiétante, onirique, humoristique, toujours avec beaucoup d’élégance et de finesse. Les membres s’y mélanges, les visages se dédoublent, les corps s’ouvrent sur des paysages intérieurs. Ces figures ne racontent pas la perfection : elles racontent la tentative, la métamorphose. A travers elles, l’artiste questionne la définition même de l’humain. Que reste-t-il de nous lorsque le monde s’effrite ? Que devient l’identité lorsque tout se découpe et se recolle dans le flux des images ?

Le cinéma, une matrice, un langage parallèle
Tarantonio, son nom d’artiste n’est pas un hasard, c’est un clin d’œil affectueux au grand Quentin Tarantino, maître du montage et du collage filmique. Comme lui, l’artiste assemble des morceaux de culture, cite, détourne, réinvente. Ses personnages pourraient sortir d’un plan arrêté, d’une pellicule rêvée. Le cinéma n’est pas pour lui une simple référence, c’est une matrice, un langage parallèle. Il y a dans son œuvre le rythme du montage, la dramaturgie du cadre, la tension du récit.

L’art comme rédemption du chaos
Au-delà de la technique, c’est une pensée du monde que révèle Tarantonio. Son collage est un miroir brisé où se reflète la condition humaine contemporaine, éclatée, saturée mais encore vibrante. Là où d’autres voient la ruine, lui perçoit la possibilité du renouveau. Ses œuvres murales, vouées à disparaître sous la pluie, les affiches ou le temps, célèbrent la beauté de l’éphémère.

Le visible et le fugitif
Chaque collage, photographié avant de se dissoudre, devient un témoin : celui d’un instant où l’art a tenté de se dresser contre l’entropie. La photographie, chez Tarantonio, n’est pas une simple documentation : elle est une prolongation du collage, une seconde vie offerte à ce qui se sait mortel. L’artiste saisit la lumière qui caresse le papier, les ombres qui redessinent les formes, le souffle du vent sur le mur. L’acte de coller rejoint alors celui de photographier : tous deux fixent un moment d’équilibre entre le visible et le fugitif.

Un acte de résistance poétique
Mais cette esthétique du fragment porte un message plus vaste. Elle nous parle de notre époque, de ses dérives, de ses illusions technologiques, de sa perte de sens. Tarantonio refuse l’art virtuel, l’image lisse et infiniment reproductible. Il revendique la matérialité, la trace, la main. L’artiste fait un acte de résistance poétique. En collant, il recolle aussi la pensée : celle de l’artiste comme artisan, celle du regard comme acte de foi.
« Ses chimères nous rappellent que la beauté peut naître du chaos »
Dans ses compositions, il y a l’espoir, un espoir lucide, sans naïveté. Ses chimères nous rappellent que la beauté peut naître du chaos, que la lumière subsiste même dans la rouille. L’art devient une manière d’habiter le monde autrement, non pas en le fuyant mais en le réassemblant.

De Marseille à Berlin, un espace de conversation entre l’art et la vie
La où la pierre s’écaille, où le fer s’oxyde, où les vitres reflètent la mer, dans ces espaces qu’il affectionne, à Marseille où ailleurs, Tarantonio dépose ses visions. Il ne recherche pas l’autorisation mais le dialogue. Chaque mur devient un espace de conversation entre l’art et la vie. Les passants participent, souvent sans le savoir, à cette œuvre collective : un regard, une photo, un mot échangé suffisent à prolonger le geste de l’artiste. Tarantonio ne s’impose pas, il témoigne en posant ses personnages comme on colle des pensées sur le monde. Il nous rappelle que la rue n’est pas un musée mais un organisme vivant où l’art respire, se transforme, s’efface.

A l’écoute des espaces
Coller en Espagne ou encore à Berlin a nourri cette dimension nomade. Dans ces villes de contraste où l’histoire et la modernité se frôlent, il a trouvé d’autres murs, d’autres respirations. Chaque collage posé ailleurs devient une antenne, une correspondance silencieuse entre les lieux. Tarantonio ne conquiert pas les espaces, il les écoute. L’artiste ne transporte pas seulement ses œuvres, il transporte son regard, toujours en dialogue avec le lieu. Son art devient un langage sans frontière, un alphabet visuel que chaque ville traduit à sa manière. Son œuvre se construit dans le déplacement : un collage en mouvement, à l’image du monde contemporain.

Les couleurs de la mémoire
Impossible de dissocier Tarentino de sa matière première : la rue. La couleur, chez lui, ne se choisit pas, elles se trouve. Le rose acidulé d’une palissade, le bleu pétrole d’un mur tagué, le jaune corrodé d’une tôle, le brun ferreux d’une rouille : tout devient pigment qu’il associe à ses collages. Les couleurs chez Tarantonio ne cherchent pas la séduction : elles évoquent, elles chuchotent, elles interrogent, elles fantasment et peuvent aussi blesser. Entre le rouge de la colère, le bleu du rêve et le jaune de la lumière, ses compositions se teintent de sentiments. Il y a dans ses œuvres une palette émotionnelle plutôt qu’esthétique. Chaque ton devient la trace d’un état du monde, la mélancolie d’un horizon perdu, la violence d’une fracture, la douceur d’une renaissance.

Les créatures de Tarantonio : miroirs de l’humanité
A l’heure où la technologie redessine nos corps, où l’image façonne notre mémoire, Tarantonio redonne à la main et à la matière un rôle fondamental.
Les personnages de Tarantonio ont la gravité absurde des héros de Terry Gilliam et la solitude des protagonistes de Wong Kar-wai. Ils sont beaux d’être décalés. Dans leur immobilité, ils semblent attendre le générique de fin. Les êtres que l’artiste invente ne sont pas des monstres. Ce sont des métaphores du vivant. Ils portent en eux la vulnérabilité du corps et une marque puissante d’onirisme. Certains ont des ailes, d’autres des masques, d’autres encore des instruments de musique, des animaux ou des objets greffés. On peut y voir de l’humour, de la tendresse, de la mélancolie, de la peur, de l’angoisse. Ils portent à la réflexion. Quels que soient les sentiments et pensées qu’ils inspirent, tous les regardent avec plaisir.
Les figures de Tarantonio ne ressemblent à rien de connu, et pourtant tout en elles évoque quelque chose de familier, qui nous touche.

Entre humour, inquiétude, poésie, tendresse et vertige : le collage de Tarantonio est Révélation
Un enfant trapu au visage de batracien s’habille d’un blouson fluo et de baskets oversize, tel un mutant de banlieue cyberpunk fan de basketball. Une jeune femme accroupie, coiffée d’un masque de super-héros et dotée d’ailes translucides semble hésiter entre l’envol et la chute. Un cupidon moderne, lunettes en cœur et arc de pacotille, plane au-dessus d’un impact de balle sur une vitre brisée. Un autre mi-homme, mi-insecte, traverse un hublot circulaire comme un cosmonaute déréglé en mission urbaine.
Chaque collage semble capturé entre l’humour, l’inquiétude et la poésie. Ce sont des êtres d’entre-deux, survivants d’un monde saturé d’images, porteurs d’une douceur postapocalyptique. Le grotesque y devient poétique, le bizarre s’humanise. Chez Tarantonio, le collage est révélation.
Il y a dans ses collages un humour discret, presque enfantins. Les personnages -mutants drôles, anges maladroits, super-héros déchus- portent sur leurs épaules une ironie douce. Tarantonio regarde le monde avec une tendresse d’anthropologue rêveur.

Un dialogue silencieux entre l’humain et son double
Mais derrière cette légèreté, plane un vertige existentiel. Le spectateur se sent observé par ces êtres collés sur les murs, comme si eux aussi les scrutaient, de leur dimension parallèle. Ce renversement du regard crée une émotion rare : celle d’un dialogue silencieux entre l’humain et son double.

Une méditation sur la fragilité
Le papier, fragile et humble, devient le témoignage du passage du temps. L’eau, la poussière, le vent, y inscrivent leur écriture. Ainsi l’œuvre vit et meurt à ciel ouvert. Ce destin éphémère, loin d’être une fatalité, est la condition même de sa beauté. Rien ne demeure, tout se transforme. En ce sens son art rejoint la philosophie, il nous rappelle la finitude de l’humain. Dans un monde qui veut tout conserver, tout numériser, tout archiver, l’artiste choisit l’éphémère. L’art de Tarantonio est une méditation sur la fragilité, non pour s’en lamenter, mais pour en célébrer la grâce.

Un éclat d’espérance
Il y a chez Tarantonio une humanité désarmante. Son art ne cherche pas à plaire, encore moins à convaincre. Il témoigne. Il observe l’effritement du monde, mais il refuse de céder au désespoir. Dans le silence de ses collages, on devine l’obstination d’un homme qui croit encore à la puissance du regard. Ses créatures, ses collages, ses fragments collés à même la peau des villes, sont autant de prières visuelles, des appels à la conscience. Derrière la déchirure du papier, on perçoit l’espérance de la réconciliation. L’artiste, en découpant des images du monde, ne le détruit pas : il le ressuscite.

L’Humain, le fragment et la pensée
Au cœur de l’œuvre de Tarantonio, il y a une idée simple mais vertigineuse : l’humain est un collage. Nous sommes faits de morceaux -souvenirs, blessures, désirs, influences, accidents. Son art matérialise cette vérité : chaque corps qu’il compose, chaque visage qu’il découpe, reflète cette condition fragmentaire.
Le collage devient une métaphore de la construction identitaire. Dans un monde éclaté, il redonne au fragment la dignité du tout. Cette philosophie du fragment n’est pas seulement esthétique, elle est éthique. Elle nous invite à accepter notre incomplétude, à voir dans la vulnérabilité la source de la création.

L’écho d’une lumière posée sur le monde
Peut-être est-ce cela, au fond, être artiste aujourd’hui : chercher la lumière dans les ruines. Refuser l’indifférence, redonner à la matière la dignité du sens. Tarantonio accomplit chaque jour cette mission silencieuse. Entre ses mains, les déchets du visible deviennent des promesses d’avenir. Et quand le vent emporte ses œuvres, quand la pluie les efface, il n’en reste rien. Il reste la trace du geste, la mémoire du regard, l’écho d’une lumière posée sur le monde. Ses chimères, collées à même la peau des villes, sont des questions vivantes.
Tarantonio est un artiste profondément contemporain. Ses œuvres sont un mélange de culture urbaine, de mode et d’art de rue, symbolisant une identité contemporaine et un sens d’appartenance à un monde souvent marginalisé. Ses compositions sont de hommages vibrants à la culture de rue, à l’expression personnelle et aux influences multiples qui forment notre identité collective.

Tarantonio ne cherche pas l’immortalité, mais la justesse, l’intensité du présent.
Tarantonio, par le prisme du collage, permet de redonner une voix à ceux qui, dans notre société, se sentent souvent invisibles et négligés. Cette dualité visible dans ses œuvres pousse à réfléchir sur la place de chacun dans le monde, questionnant les interactions humaines, les rapports de pouvoir et l’impact de l’homme sur son environnement.
Danielle Dufour-Verna

Instagram : @tarantonio_

Les expos
Vous pouvez retrouver les photographies des œuvres de l’artiste :
Jusqu’au 17 novembre 2025
Tattoo art club
51 rue Edmond Rostand
13006 MARSEILLE

Et à Grenoble, du 3 au 14 févier à la Galerie Collberg




Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Dimanche 19 Octobre 2025 à 15:42 | Lu 139 fois
Danielle Dufour-Verna
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