Hôtel de la Marine. Alexandre ALLARD «J’entends promouvoir l’artisanat d’art», Interview Le Figaro

À 42 ANS, ce millionnaire d’Internet aurait pu prendre sa retraite. Mais il aime les défis et, après avoir remis à flot le Royal Monceau, rêve d’un chantier parisien encore plus grand. (Intégralité de l’info dans Le Figaro daté du 25 janvier 2011 et sur Lefigaro.fr)


Devant l’émoi provoqué par le projet de concession, le président de la République a annoncé la création d’une commission chargée de réfléchir à la « meilleure utilisation » de l’hôtel de la Marine. Cela vous inquiète-t-il ?
« Au contraire ! J’ai toujours entendu dire qu’un groupe d’évaluation serait constitué, et la décision est toujours prévue fin novembre. Je serais heureux qu’avec lui le vrai débat s’installe, car, pour l’instant, personne ne sait vraiment de quoi il parle. La polémique actuelle n’a qu’un mérite : celui de montrer l’enjeu. »

Une pétition circule qui qualifie votre projet de «_Barnum commercial assorti de suites de luxe_». _Que répondez-vous_?
« Tout ce que l’on croit savoir résulte de bruits de couloirs. Vous comprendrez que je ne peux apporter de précisions sur mon dossier avant de l’avoir déposé. Ce sera fait le 7 février prochain. En attendant, je peux dire que mon _groupe ne se serait jamais lancé dans l’aventure sans l’éthique nécessaire. Voudrait-on s’en passer que le risque financier nous en empêcherait. »

Pas de pirates à l’hôtel de la Marine, donc_?
« Des pirates non, Mais des corsaires oui. Il en faut_! »

Le rapport des Monuments historiques recommande de ne pas couvrir la grande cour et appelle au respect scrupuleux de l’ensemble des décors conservés. Pas uniquement dans les pièces d’apparat mais dans l’ensemble du bâtiment.
Ces contraintes sont-elles compatibles avec vos plans_?

« Primo, c’est très bien que l’hôtel de la Marine soit totalement protégé. Cela dissuade les destructeurs. Secundo, j’ai pu constater en visitant quatre fois le site que les cloisons montées après guerre pour l’aménagement de petits bureaux sont extrêmement nombreuses. La partie noble est largement inférieure à celle où une intervention est envisageable. À cet effet, Jean Nouvel travaille déjà en concertation avec une architecte en chef des Monuments historiques, Christiane Schmückle-Mollard. Cette grande professionnelle a notamment été chargée de la restauration de la cathédrale de Strasbourg. »

L’Association des maîtres d’art et celle des Grands Ateliers de France vous soutiennent.
Comment, et jusqu’à quel point, comptez-vous œuvrer pour l’artisanat d’art_?

« À l’origine, avant d’accueillir l’état-major de la marine, le bâtiment construit par Jacques Ange Gabriel entre 1757 et 1774 était réservé au Garde-Meuble royal, ancêtre de notre Mobilier national. Il abritait alors des magasins et des ateliers pour tout ce qui touchait à l’ameublement des résidences royales. Ces espaces, où il n’y a jamais eu la moindre moulure, étaient ouverts au public afin qu’il puisse jouir des collections, parmi les plus riches du genre. Cela montrait la grandeur de la France. Je souhaite que ces espaces retrouvent cette vocation première. Il n’y aurait pas d’ateliers mais des centres de formation, d’exposition et de vente des produits de l’artisanat d’art. Bref, une vitrine qui, pour l’instant, fait cruellement défaut à ce secteur, alors que nous avons des maîtres au savoir-faire unique, que le monde entier nous envie. »

L’Ile-de-France a connu plusieurs grands projets culturels privés avortés, comme la Fondation Pinault sur l’île Seguin. Le vôtre suscite une forte opposition_: 7_200 signatures sur une pétition en ligne.
Récemment, c’est l’Académie des beaux-arts qui a fait part de son inquiétude. Songez-vous à abandonner_?

« J’irai jusqu’au bout. L’enjeu est différent de celui de l’île Seguin où François Pinault envisageait un pur mécénat. Ici, il s’agit d’un dossier qui doit trouver son équilibre commercial, dégager des revenus suffisants, en particulier pour les 1_200 emplois directs qu’il va générer. Je suis prêt à investir 200 millions d’euros pour les seuls travaux. Je rappelle qu’il ne s’agira pas d’une cession, comme on voudrait le faire croire, mais d’une concession sur soixante ou quatre-vingts ans. Ainsi, à terme, l’État, et donc le contribuable, récupérera un bâtiment sain et rayonnant, qui vaudra des milliards. J’ajoute que la puissance publique peut fixer les contraintes qu’elle veut dans le contrat de bail. »

Dans votre plan de rentabilisation figurerait un hôtel…
« J ’imagine plutôt des suites conçues pour de grands mécènes qui paieraient leur séjour et des artistes qui seraient invités à résidence gratuitement ou dans la mesure de leurs moyens. »

Existe-t-il un lieu de ce type ailleurs_?
« Non, c’est un concept nouveau. J’espère qu’il sera repris. Je suis convaincu que le monde a pris conscience de l’importance de la qualité et de la création. Pourquoi vouloir enterrer les grandes idées avant même d’en connaître les détails_? Je demande qu’au moins on m’écoute. »

Édouard Balladur : Les responsabilités dont l’État ne doit pas se dégager

Il est question que l’État rétrocède l’hôtel de la Marine, place de la Concorde, à un groupe privé auquel il serait loué pour une longue période, à charge pour ce dernier de l’exploiter commercialement «_en le faisant revivre_».
C’est une mauvaise idée. Il s’agit de l’un des monuments les plus prestigieux de notre pays, témoin irremplaçable de notre art et de notre culture, où se sont déroulés de grands événements historiques. Il doit être préservé_; pour cela l’État doit conserver la responsabilité directe de sa gestion, sans la rétrocéder à quiconque. Au moment où il est question de créer un Musée de l’histoire de France, sans qu’on sache encore précisément quelle serait sa mission, il serait surprenant que l’État se défasse de l’un des témoignages les plus prestigieux et les plus beaux de notre histoire.
On peut s’interroger sur le bien-fondé d’une politique qui consiste, depuis quelques années, à vendre des monuments de notre patrimoine, souvent à des étrangers, sans toujours un grand discernement et ni des précautions suffisantes pour leur sauvegarde. C’est une action à courte vue, dont l’efficacité financière est d’ailleurs douteuse si l’on fait, sur le long terme, un compte complet des recettes et des dépenses entraînées pour l’État par de telles opérations.
Et surtout ce n’est pas un heureux symbole. L’État ne doit pas donner le sentiment qu’il se désintéresse de notre passé. Il s’agit aussi de préserver les témoins à travers les âges de notre identité.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 24 Janvier 2011 à 23:54 | Lu 907 fois
Pierre Aimar
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