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Texte de Maurice Frechuret sur l'interdiction de l'expo Zineb Sedira à Vallauris

Il faudra sans doute encore beaucoup de travail pour faire admettre qu’une œuvre d’art est une œuvre d’art et que, même si elle soulève des interrogations de toutes sortes, notamment dans le domaine historique ou politique, elle est avant tout le résultat d’une recherche spécifique dont forme et fond relèvent d’un choix exclusif, celui de l’artiste qui en est à l’origine. L’« affaire » au musée Pablo Picasso, la Guerre et la Paix à Vallauris est, à ce titre, un exemple rare d’incompréhension.


Texte de Maurice Frechuret sur l'interdiction de l'expo Zineb Sedira à Vallauris
Zineb Sedira, artiste française d’origine algérienne, vivant à Londres avec les siens depuis plus de vingt ans, a réalisé de nombreuses photos, installations et vidéos dont le propos porte essentiellement sur le problème de la mémoire et du langage, de la transmission de la première par le second, des moyens par lesquels elle passe d’une génération à une autre génération lorsque les outils habituels de la communication viennent à manquer.

C’est cela qui est particulièrement bien mis en évidence dans une vidéo réalisée en 2003 et intitulée Retelling Histories (Histoires re-racontées). Pourtant c’est cette œuvre qui, programmée dans l’exposition dès la fin avril, a déclenché une inexplicable polémique et, à sa suite, amené le maire de la ville à fermer le musée. L’émotion suscitée par la diffusion de l’œuvre a pu, un moment, être expliquée par la présence du mot « collaborateur » associé, dans le sous-titrage en français au mot Harki (qualificatif nécessaire dans le sous-titrage anglais mais plus problématique dans la traduction française du fait de sa connotation historique). Force est de constater que cette explication ne tient pas car le musée est resté fermé en dépit du fait que l’artiste, consciente du problème posé et afin de montrer qu’elle n’avait aucune volonté d’offenser qui que ce soit, a aussitôt choisi de supprimer le mot litigieux. Le Tribunal administratif de Nice a, par ailleurs, suspendu l’arrêté municipal, jugeant que les risques de troubles à l’ordre public, contrairement aux allégations de la ville, n’étaient pas fondés. Cela n’a pas cependant décidé le maire à permettre la réouverture du musée.

Le récit autobiographique de la mère de l’artiste qui sert d’architecture à Retelling Histories porte sur les faits vécus par elle durant les épisodes douloureux de la guerre d’Algérie. Il sert de trame à l’œuvre et n’est aucunement déclaratif. La caméra qui cadre les deux femmes - l’artiste et sa mère - est fixe et enregistre objectivement le dialogue qui s’établit entre elles. Les mots viennent, se succèdent les uns aux autres, finissent par redonner forme aux épisodes d’une histoire vécue, celle toute personnelle d’une femme confrontée aux événements. « C’était la guerre » conclut Madame Sedira avec une certaine fatalité, montrant à l’évidence qu’aucun esprit de haine ou de revanche ne vient aujourd’hui assombrir ce difficile exercice de restitution. Ce travail de mémoire et de restitution transgénérationnelle est l’enjeu principal des recherches dans les œuvres de Zineb Sedira à cette époque et ne saurait se confondre avec celui de l’historien encore moins avec l’action du partisan de telle ou telle cause. C’est la totale incompréhension de cela qui conduit ainsi à certaines décisions aussi arbitraires qu’injustifiées.

L’histoire de l’art est riche d’œuvres qui pourraient, pareillement à celle de Zineb Sedira, faire l’objet d’une demande de retrait ou de mise à l’index, suite aux pressions de telle ou telle communauté ou de telle ou telle autorité. Ainsi, Tres de Mayo de Goya, au motif que la scène dépeinte -“ la fusillade par les soldats français des combattants espagnols en 1808 -“ porterait atteinte à l’image ou au moral de l’armée française ; ainsi Massacre en Corée de Picasso, présentée justement au musée de Vallauris il y a quelques années, parce que ce tableau discréditerait l’armée d’un pays ami ; ainsi, encore, les œuvres de Courbet, Daumier, Trouille parce qu’elles malmèneraient par trop la justice ou le clergé. Il est à craindre, dans cette optique, que la pratique de la censure se poursuive pour, prenant les formes nouvelles que certaines administrations seront capables d’inventer, complaire à ceux que dérangent l’œuvre d’art et les interrogations qu’elle porte. La censure n’est donc pas morte qui, dans l’histoire, a durablement frappé livres et films. De Georges Darien ou Lucien Descaves au début du XXe siècle à Jean-Luc Godard, Gillo Pontecorvo, Alain Resnais ou René Vautier au tournant des années 50, elle n’a eu de cesse de combattre des œuvres qui, aujourd’hui, appartiennent au patrimoine culturel national et international. Gageons que c’est le même sort que connaîtra l’œuvre de Zineb Sedira !
Maurice Fréchuret,
Directeur des musées nationaux du XXe siècle des Alpes- Maritimes, commissaire de l’exposition Zineb Sedira


pierre aimar
Mis en ligne le Samedi 26 Juin 2010 à 15:50 | Lu 790 fois

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