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Teotihuacán (Mexique), de la base spatiale à la cité des Dieux. En résonnance avec l'exposition du musée du Quai Branly

Teotihuacán se découvre presque par hasard lorsque l’on vient de Mexico. D’abord, il faut s’extraire de la mégapole ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu de l’importance de la circulation, de la longueur des avenues et de la construction aléatoire des grands ilôts d’immeubles qui forment les 350 colonias (quartiers) de la mégapole de 32 millions d’habitants.


Teotihuacán (Mexique), de la base spatiale à la cité des Dieux. En résonnance avec l'exposition du musée du Quai Branly
Ainsi, l’avenida Insurgentes parcourt près de 25 km et il faut rouler en contrôlant le nombre de kilomètres parcourus pour être sûr de bifurquer au bon endroit. On ne louera jamais assez les bienfaits du GPS pour se sortir de la tentaculaire capitale.

Le vaste plateau sur lequel s’étale le site de Teotihuacán est morne et triste. Rien à ne se mettre sous l’œil. Un panneau indique la route à suivre et, sans crier gare, on se retrouve sur un des nombreux parkings. Et toujours pas la moindre vieille pierre à se mettre sous l’objectif.
Le site est si vaste (25 km2) et rectangulaire que les pyramides du Soleil (70 m de haut) et de la Lune ne se voient qu’une fois franchies les portes du site.

Une base de lancement d’engins spatiaux ?

Du haut de la pyramide de la Lune © P. Aimar
Du haut de la pyramide de la Lune © P. Aimar
Les travaux de recherches archéologiques ont dégagé les vestiges monumentaux et mis fortement en évidence la planéité du site. Pour un plateau, c’est un vrai plateau. Cap Canaveral, Kourou, Teotihuacán, la « ressemblance » est frappante et les objectifs des hommes de ces trois lieux en quelque sorte identiques : à la conquête du ciel pour maîtriser le monde terrestre.
A Teotihuacán, l’astronomie est au cœur de tout le système religieux. Pyramide de la Lune, pyramide du Soleil, en deux pyramides qui comptent parmi les plus hautes avec Keops en Egypte, tout est dit.
Le culte du soleil exige de continuels sacrifices humains « pour que l’astre de jour puisse apparaître jour après jour ». Le sacrifice humain est sur tous les continents à la base de toutes les religions. L’évolution de certaines civilisations entraîne la disparition du sacrifice humain, remplacé par le sacrifice d’animaux. La religion juive impose à Abraham de sacrifier son fils à Jehova qui, dans sa bonté, retient son bras et se contente du sacrifice d’un mouton. Plus avant dans le temps, c’est le bœuf qui fait les frais des religions du Proche-Orient ; de nos jours, dans les pays islamiques, le continent indien, le continent africain, moutons et volailles sont sacrifiées dans ces mêmes canons. Les catholiques se contentent de « boire le sang du Christ et de manger le corps du Christ » à travers la communion.

Des cérémonies sanglantes selon des rituels imposants

© P. Aimar
© P. Aimar
On ne connaît pas l’importance des sacrifices humains pratiqués à Teotihuacán contrairement à ceux qui eurent lieu juste avant l’arrivée des Conquistadores à Mexico. En effet, vers 750 de notre ère, la ville et les temples de Teotihuacán sont abandonnés et près de 800 ans vont couvrir et effacer toute trace de ce haut lieu au bénéfice du site de Mexico. Ce n’est qu’au 20e siècle, soit 1 200 ans après la désertion du site par ses prêtres et ses habitants que seront entreprises fouilles (bâclées) et reconstruction à « neuf » des pyramides.
Combien d’hommes auront eu la poitrine pourfendue au coutelas pour qu’en soit arraché le cœur palpitant ? Nul ne le saura jamais.

Mais on peut faire une évaluation au travers de l’étude des textes sur la découverte et la conquête de Tenochtitlán, actuelle Mexico, par la poignée d’Espagnols emmenés par Cortés en 1519.
A la lecture de l’ouvrage The Course of Mexican History, de Michael Meyer et William Sherman, on apprend qu’en 1487, à la suite de la reconstruction du temple de Tenochtitlán (situé sous l’actuelle cathédrale de Mexico, place du Zocalo) des sacrifices rituels eurent lieu comme cela était exigé à la fin de la construction des temples. « Lors d’une cérmonie qui dura quatre jours, les victimes (des soldats faits prisonniers au cours de diverses campagnes) furent rangées en quatre colonnes qui s’étendaient chacune sur 5 km. 20 000 cœurs humains furent ainsi arrachés pour honorer la divinité…. C’est l’épuisement qui contraint, finalement, les prêtres à arrêter les sacrifices. »
5 000 victimes par jour. Le soleil pouvait se relever en pleine forme pendant quelques temps.

Plus avant, ce sont 80 400 personnes qui sont tuées en quatre jours lors des fêtes d’intronisation du tlatoani Ahuitzoff. Un chiffre rapporté par les chroniqueurs mexicas eux-mêmes.

Le regard tourné vers le ciel nocturne développe-t-il l’intelligence ?

Pyramide de la Lune, escalier vers les étoiles ? © P. Aimar
Pyramide de la Lune, escalier vers les étoiles ? © P. Aimar
Pyramide de la Lune, pyramide du Soleil, à l’évidence l’astronomie fut au cœur – et à l’origine – de la civilisation pré colombienne et des religions qui en découlèrent.
Comme dans les autres parties du monde où les nuits sont particulièrement étoilées et surtout sans nuages, les hommes observèrent, identifièrent les étoiles, constatèrent leur mouvement apparent et cyclique.
Est-ce que l’intelligence -capacité d’abstraction, de déduction, de logique – s’est développée grâce à l’observation astronomique ? L’homme était-il à l’origine capable seulement de constater que la lune revenait régulièrement avec des formes différentes sans en tirer d’autres conséquences : elle était là, ou pas là ? En tout cas, ces constats effectués au long des millénaires ont débouché sur une forme supérieure de l’intelligence qui a permis d’élaborer les calendriers lunaires qui sont encore en usage chez les musulmans ou les juifs par exemple.

Dans le calendrier juif, l’année solaire est de 365 jours et 6 heures, ce qui aboutit à un cycle de 52 ans 1 jour et 6 heures pour retrouver tous les astres dans leur position initiale. [On rapprochera ce chiffre de 52 ans de celui des 50 ans du Jubilé de la tradition juive qui consistait à prévoir un nouveau partage des terres tous les quarante-neuf ans et une année sans travaux agricoles ainsi que la libération des Hébreux qui auraient perdu leur statut d'hommes libres].
A Teotihuacán et Tenochtitlán, deux calendriers complémentaires se conjuguent : le premier, tzolkin (en maya) ou tomalpohualli (en aztèque), compte 260 jours ; le second calendrier est solaire (haab en maya) comporte 18 mois de 20 jours plus 1 mois de 5 jours néfastes. Combinés, ces deux calendriers aboutissent à un cycle de 18 980 jours, soit environ 52 ans.
Quel que soit le continent, la bonne observation du ciel débouche sur les mêmes bonnes constatations.

Au stade suivant, que ce soit en Mésopotamie, en Chine ou aux Amériques, l’intelligence s’est affinée au fur et à mesure de l’identification des étoiles et de leur mouvement apparent et de l’établissement de repères mobiles quant aux levers et couchers du soleil selon les périodes de l’année.
Il en résulte une telle connaissance des mouvements stellaires que les prêtres –détenteurs du savoir- « prédisaient » les éclipses de soleil et de lune avec une grande précision et renforçaient par là une autorité incontestable et « octroyée » directement par les dieux.
Bien pratique pour gouverner des peuples incultes et dont le modèle de gouvernance se perpétue encore de nous jours avec, hélas, un très bel avenir.

Promenade sur l'Allée des Morts, la « plus belle avenue du monde »

L'Allée des Morts © P. Aimar
L'Allée des Morts © P. Aimar
Les Aztèques appelaient l'artère principale de Teotihuacán, Miccaotli, littéralement, allée des morts car ils croyaient que les ruines qui la longeaient étaient celles de tombeaux. En fait, les Teotihuacanos disparus, il n’y eut plus de transmission orale ou écrite des 7 siècles de Teotihuacán. Le souvenir d’une ville immense, tracée au cordeau et dans laquelle vivaient certainement 200 000 habitants, s’effaça aussi facilement qu’un dessin tracé sur le sable humide de la plage.
Pourtant cette dite Allée des Morts demeure la plus belle avenue du monde et n’a pas été détrônée par les Champs-Elysées dessinés par André Le Nôtre à la demande de Louis XIV et constamment embellis durant trois siècles. L’Allée des Morts s’allonge actuellement sur près de 2 km et, à l’origine, dépassait les 4 km. Les 1 910 m des Champs-Elysées font petite mesure. [Champs Élysées, le lieu des Enfers où séjournaient les âmes vertueuses dans la mythologie grecque. Des Enfers aux Morts ….]
Si l’on pousse la comparaison entre les deux plus belles avenues du monde, force est de constater que les Champs sont joliment bordés d’arbres et d’immeubles élégants dont les façades sont les plus beaux exemples d’architecture du XIXe siècle. A contrario, l’Allée des Morts frappe par la solennité et la puissance des constructions qui la bordent.
La vue sur l’Allée des Morts que l’on découvre du haut de la pyramide de la Lune est majestueuse mais rigide avec ses enfilades de pyramides tronquées. La symétrie est de règle, la fantaisie exclue.

Descendre à pied l’Allée des Morts vers la citadelle et le temple du Serpent à plume n’apporte rien si ce n’est de la fatigue due à l’altitude et à la monotonie du déplacement. Heureusement, les nombreux visiteurs, en majorité Mexicains, apportent vie, couleurs et sonorités variées.
Une musique aigrelette s’élève des marches de pierre alors que j’aborde la vaste étendue qui mène au temple du Serpent à plume. Une vieille femme, assise sur les marches, joue sur une sorte de flûte de Pan un air tristounet et plaintif. C’est le moment de s’asseoir et de contempler le vaste mur de pierres grises qui cache le temple. Et d’écouter.
Musique pour les ancêtres ? Musique pour l’éternité ? Musique pour quémander quelques pesos ? Nous ne le saurons jamais. La femme semble absente, indifférente aux gens qui passent, indifférente à ma présence.
Et si c’était une supplique à Tláloc, le dieu de la pluie ?

Face aux monstres du temple du Serpent à plume

Quetzalcóatl, le dieu Serpent à plumes © P. Aimar
Quetzalcóatl, le dieu Serpent à plumes © P. Aimar
Le Serpent à plumes ou Quetzalcóatl ou Tlahuizcalpantecuhtli (l’Etoile du matin, le maître de l'étoile de l'aube) est abrité dans le temple éponyme.
Il était aussi considéré comme l'inventeur des livres et du calendrier, comme celui qui avait offert le maïs à l'humanité, et quelquefois comme le symbole de la mort et de la résurrection. Quetzalcoatl était le dieu tutélaire des prêtres et son nom était le titre porté par le grand prêtre des Aztèques.
Il ne reste que quelques degrés de ce temple, mais les nombreuses sculptures encore en place sont impressionnantes à cause de leurs grimaçantes menaces. Encore ont-elles perdu les couleurs qui devaient accentuer fortement leur aspect terrifiant.
Car, comme les temples grecs, romains, comme les églises du Moyen-Âge et de la Renaissance, les temples, les palais, les pyramides précolombiens sont entièrement polychromes. Les sculptures grimaçantes sont à imaginer avec leur couleur verte soulignée de rouge sur les lèvres et les sourcils. Il n’est plus question pour les prêtres du temple de Quetzalcóatl de couvrir les murs de gentilles peintures pour évoquer la vie des saints comme on le voit dans nos églises ayant échappé à « l’autodafé » des architectes des Bâtiments de France. Non, sur les plateaux du Mexique et ailleurs dans les trois Amériques, il s’agit d’effrayer le petit peuple, le frapper de stupeur par des décors terrifiants.
« Les Dieux te regardent ! Obéis ! »
Et qui oserait désobéir quand il voit ces flots de sang qui dégoulinent des marches des pyramides sans avoir le temps de sécher, tant le nombre de sacrifiés est grand ? Comment désobéir, quand seule la fatigue des bras qui enfoncent le couteau de pierre dans la poitrine met un terme à des nuits et des jours de carnage ?
Les prêtres ne manquaient pourtant pas d’humanité. N’avaient-ils pas fait peindre les pyramides en rouge pour que les flots de sang soient moins frappants ? Comme les organisateurs des jeux romains qui répandaient du sable rouge sur l’arène des combats de gladiateurs pour atténuer (un peu) la cruauté des « jeux » dont raffolaient les citoyens.

Il est l’heure de quitter Quetzalcóatl, Tláloc, l’Allée des Morts, Teotihuacán et cette base spatiale d’un genre douteux. Le site se vide peu à peu. Les visiteurs sont moins nombreux. Il faut quitter le parking et retrouver la circulation automobile qui a remplacé « avantageusement » les sacrifices du passé. En 2005, il y a eu 17 000 tués sur la route, 700 000 blessés et 15 millions de personnes nécessitent des soins médicaux pour leurs blessures.
Pierre Aimar, octobre 2009

Lien vers l'exposition du Quai Branly

pierre aimar
Mis en ligne le Mardi 27 Octobre 2009 à 20:54 | Lu 2163 fois

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