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Roméo & Juliette, de Boris Blacher, théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, du 24 février au 4 mars 2015

« Je voudrais faire le portrait de Boris Blacher dans les années 40. Je le vois sur une photo, grand, jeune, blond, très sec, le visage taillé à la serpe avec un regard perçant. Il parle le dialecte berlinois avec un fort accent russe (il est né en Chine mais a été élevé à Irkoutsk dans un collège anglais). Il ne mange rien mais il fume et boit beaucoup au café Romain de Berlin où se retrouvent les artistes de la bohème malgré la guerre et la gestapo. » Jean Lacornerie


Roméo et Juliette sous le III e Reich

Roméo & Juliette, de Boris Blacher, théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, du 24 février au 4 mars 2015
Compositeur pédagogue allemand né à Niu-chang (Chine) de parents germano-baltes en 1903 et mort à Berlin en 1975, Boris Blacher a été l’élève de Friedrich Ernst Koch au Conservatoire de Berlin, où il a fait également des études universitaires d’architecture, de mathématiques et d’histoire de la musique. Avant la Seconde Guerre mondiale, il enseigne la composition au Conservatoire de Dresde en 1938-1939, puis, à partir de 1948, à la Musikhochschule de Berlin dont il est directeur de 1953 à 1970.

Blacher est l’une des figures les plus marquantes de la musique allemande du XXe siècle. Mû par une rythmique puissante fondée sur sa propre théorie mathématique du mètre variable, son langage use autant de la polytonalité que du dodécaphonisme. Sa musique se particularise également par une orchestration colorée, transparente et économe qui la rattache à la tradition française plutôt qu’à l’austro-allemande. « Son orchestre est fin, léger, discret, délicat, il ne s’y trouve pas de boursouflures », constatait en mars 2001 le compositeur Claude Ballif, qui fut son élève à Berlin de 1954 à 1958. Et Marius Constant, autre de ses élèves réputé pour son art de l’orchestration, qui, en novembre 1999, rapportait un conseil de son maître : « Petit, tu ne dois jamais doubler un instrument. » Parmi ses autres élèves, Aribert Reimann, Isang Yun, Maki Ishii, Fritz Geissler, Giselher Klebe, Heimo Erbse, Klaus Huber, Gottfried von Einem, Kalevi Aho, Richard Wernick…

L’activité de Boris Blacher a été soudain brisée par les nazis, qui classèrent sa musique comme « dégénérée ». Condamné à l’exil intérieur, à l’instar de Karl-Amadeus Hartmann à Munich, Blacher perdit son poste d’enseignant au conservatoire de Dresde au début de la Seconde Guerre mondiale. Il n’en continua pas moins à être joué et à composer, notamment un opéra de chambre en trois parties dont il rédige lui-même le livret en anglais adapté du drame de Shakespeare Romeo and Juliet.

C’est à la demande de l’éditeur viennois Universal Edition que Blacher compose Romeo und Julia en 1943- 1944. Le compositeur a extrait de la pièce éponyme les passages qui lui paraissaient essentiels au déploiement de l’intrigue, qui vise plus à l’allégorie du théâtre de tréteaux dans l’esprit de la Turandot de Busoni ou de L’Histoire du soldat de Stravinsky qu’au grand opéra.

La musique se caractérise en effet par son économie de moyens, sa transparence et sa clarté qui mettent à nu la violence de l’action et la passion des amants, tandis que le compositeur se plaît à insérer des chansons de cabaret. Créé en concert à Berlin en 1947, cet opéra de chambre a connu sa première production en août 1950 dans le cadre du Festival de Salzbourg mis en scène par Josef Gielen et dirigé par Josef Krips à la tête de solistes du Philharmonique de Vienne, avec, dans les rôles principaux, Kurt Böhme, Dagmar Hermann, Richard Holm, Hilde Güden et Hermann Uhde.

Résumé, par Jean Lacornerie

L’opéra s’ouvre par la menace proclamée par le Prince à l’égard de Capulet et Montaigu. Si les affrontements continuent entre les deux clans, ils seront condamnés à mort. De son côté Lady Capulet exhorte Juliette à se marier avec le comte Paris.
Au cours d’une fête chez les Capulet, coup de foudre entre Roméo et Juliette. Tybalt, qui a reconnu Roméo (qui se croyait incognito), veut le chasser. Capulet s’y oppose. Mais Roméo et Juliette découvrent qu’ils appartiennent à des clans irréconciliables. Mercutio, avec l’histoire de la Reine Mab, proclame la toute-puissance du rêve.
Roméo retrouve Juliette, nuitamment à son balcon. Ils se promettent le mariage. Grâce à la nourrice, Juliette retrouve Roméo le lendemain à l’église Saint-Pierre où Frère Laurent les marie secrètement. Mais Tybalt provoque les Montaigu, il tue Mercutio sous les yeux de Roméo. Roméo venge Mercutio en tuant Tybalt. Lui trouvant des circonstances atténuantes, le Prince se contente de bannir Roméo à Mantoue. Avant le départ, Roméo passe une première et une dernière nuit d’amour avec Juliette.
Les parents de Juliette dans une scène d’une rare violence décident de marier de force Juliette à Paris. Elle demande secours à Frère Laurent qui lui propose un philtre qui la fera passer pour morte. Il lui promet de prévenir Roméo qui s’est réfugié à Mantoue pour qu’il vienne la réveiller.
Les parents découvrent Juliette apparemment morte, le mariage devient funérailles mais les musiciens refusent de jouer s’ils ne sont pas payés deux fois.
Le messager de Frère Laurent n’arrivera jamais à Mantoue et Roméo apprend lui aussi la mort de Juliette. Il décide de rentrer à Vérone pour mourir sur sa tombe.
En arrivant au cimetière, il se bat avec Paris qui est là lui aussi. Il le tue, puis absorbe un poison. Juliette se réveille dans les bras de Frère Laurent. Elle l’éloigne pour se poignarder aux côtés de Roméo. Les deux clans les découvrent. Le Prince pense que la haine des deux clans s’est épuisée dans cette double mort.

Looking for Boris par Jean Lacornerie

Je voudrais faire le portrait de Boris Blacher dans les années 40. Je le vois sur une photo, grand, jeune, blond, très sec, le visage taillé à la serpe avec un regard perçant. Il parle le dialecte berlinois avec un fort accent russe (il est né en Chine mais a été élevé à Irkoutsk dans un collège anglais). Il ne mange rien mais il fume et boit beaucoup au café Romain de Berlin où se retrouvent les artistes de la bohème malgré la guerre et la gestapo. La musique qu’il écrit est une musique allègre, festive, totalement dépouillée de pathos. Il déteste le sentimentalisme. Il est passionné de théâtre, écrit des musiques de scène, des ballets, des opéras. Il parle anglais, il aime Shakespeare. Le Colonel de Basil, un imprésario à la mode de Diaghilev le fait même venir à Londres en 1939 pour écrire un ballet sur Hamlet. Il y reste deux mois et rentre à Berlin. Toujours Berlin, envers et contre tout. Mais la guerre s’intensifie, les villes allemandes sont de plus en plus bombardées. Les théâtres sont des cibles pour les avions alliés. Il souffre d’une maladie pulmonaire. Son élève et ami Gottfried von Einem lui permet de se réfugier dans les montagnes autrichiennes. Il veut écrire encore. Il faut écrire d’urgence des ouvrages qui puissent être joués sous les bombes hors des théâtres, n’importe où. Il songe au modèle de L’Histoire du Soldat, et à son esthétique de théâtre de tréteaux. Il décide d’écrire un Roméo et Juliette.
La partition est le miroir de ce portrait. Lui, le compositeur de la joie et de la virtuosité, écrit une musique dépouillée. Une musique de chambre minimaliste où les timbres des instruments s’opposent plus qu’ils ne s’accordent. Une sorte de fantôme d’orchestre.
Ne pas changer une virgule du texte de Shakespeare semble avoir été son mot d’ordre. Garder quelques scènes essentielles centrées sur le thème du rêve. Il en résulte un Roméo antiromantique, halluciné, passionnant, radical. Il place au centre de son Roméo et Juliette l’histoire de la Reine Mab qui avait déjà tant fasciné Berlioz.
La Reine Mab, dit Shakespeare, est la fée « accoucheuse des songes », celle qui fait s’accomplir dans nos rêves nos désirs enfouis.

L’opéra de Boris Blacher est comme un rêve de Roméo et Juliette où il fait subir au matériau shakespearien les mêmes principes de dépla-cements, d’inversions et de condensations décrits par Freud. C’est particulièrement sensible dans le rôle qu’il donne au chœur. Celui-ci joue aussi bien les Capulet que les Montaigu, porte aussi bien la parole de l’autorité (Le Prince) que celle du défi (Frère Laurent).
Ramenant son opéra à une durée de 1h15, Blacher condense la pièce de manière très cohérente. Ses ellipses font sens : Eros et Thanatos sont plus que jamais à l’œuvre dans le désir des amants de s’aimer et de mourir. J’ai l’impres-sion que Blacher, écrivant au milieu de l’horreur de la guerre, a choisi de mettre en valeur dans son opéra l’as-pect pulsionnel de la pièce. Les pulsions meurtrières des pères et des fils qui emportent tout dans le drame. Mais le rêve par son étrangeté reste toujours mystérieux. C’est la grande qualité de cette partition de préserver toujours la poésie, le fantasme au sens de fantaisie sans aucune fascination pour la violence. Celle-ci n’est jamais montrée, la musique au contraire permet de s’en échapper. Et au beau milieu de cela, des chansons dans la plus pure tradition du cabaret berlinois avec un piano bastringue. Un hommage à cette avant-garde insolente que les nazis voulaient effacer, là au milieu de la tragédie. Comment imaginer de contraste plus Shakespearien ? Pour notre spectacle, avec Lisa Navarro, nous avons imaginé un groupe de jeunes gens qui se retrouvent dans une cave pour jouer Roméo et Juliette avec les moyens qui leur tombent sous la main dans les gravats et la poussière. Les photos du Reichstag noirci par les bom-bardements et couvert de graffiti par les soldats russes ont été notre point de départ. Nous voudrions retrouver l’éphémère de ces gestes, la naïveté de ces signes pour donner une certaine forme de légèreté à cet opéra « sans scène » écrit sous les bombes.

Pratique

Roméo & Juliette, de Boris Blacher
Direction musicale Philippe Forget
Mise en scène Jean Lacornerie

Décors Lisa Navarro
Costumes Robin Chemin
Lumières David Debrinay
Chorégraphie Raphaël Cottin

Distribution :
Roméo Tyler Clarke
Juliette Laure Barras
Diseuse / Nurse / Peter Maria Mallé
Lady Capulet Alix Le Saux
Tybalt Robert Macfarlane
Capulet / Benvolio Thibault De Damas
Soliste Sophie-Nouchka Wemel

Les dates :
Au Théâtre de la Croix-Rousse , Lyon
février 2015
Mardi 24 20h
Jeudi 26 20h
Vendredi 27 20h
Samedi 28 19h30

mars 2015
Dimanche 1er 15h
Mardi 3 20h
Mercredi 4 20h

Pierre Aimar
Mis en ligne le Mardi 6 Janvier 2015 à 12:50 | Lu 603 fois

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