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Quand le diable s'en mêle aux Fêtes nocturnes de Grignan 2015. Par Jacqueline et Pierre Aimar


Philippe Bérodot, diablement bon © Pierre Aimar
Philippe Bérodot, diablement bon © Pierre Aimar

Quand Didier Bezace emmêle les affaires du diable. Par Jacqueline Aimar

Didier Bezace, magistral © Pierre Aimar
Didier Bezace, magistral © Pierre Aimar
Du mariage et de la mort le diable se rit encore
Décidément, Feydeau écrit du théâtre toujours aussi mauvais. Théâtre de facilité, simplet parfois proche du cirque, excessif et souvent niais. Pour spectateurs peu malins, au rire facile.
Samedi à Grignan, dernière représentation de cette longue saison de théâtre d’été avec pour seule œuvre, une réunion de trois pièces en un acte de Feydeau, intitulée Quand le Diable s’en mêle. Didier Bezace, adaptateur et metteur en scène soucieux, présent au spectacle et visiblement proche et complice de ses acteurs suit la pièce avec une extrême attention.

Un diable cornu et grinçant
Un fil rouge guide la recomposition de la pièce, -en fait une juxtaposition des textes avec des effets de fondus-enchaînés, fumeux et fumées- qui contribuent à l’illusion, autour d’un personnage fumeux lui aussi, sous la forme d’un diable venu se glisser dans les familles où il se fond sans peine. Et où il semble trouver un nid tout prêt car le mal est partout à son aise. Ou le malin.
Longues oreilles en pointes, petites cornes qui poussent au front, le personnage s’exprime en grognements et grimaces dans Léonie est en avance grâce à un Philippe Bérodot au mieux de ses mimiques diablesques. Il est là, devenu sage-femme diabolique aux bas déchirés, à bustier rouge, cape noire et visage haineux : on s’y croirait car il compose là le plus vrai des diables ! Au moment de la naissance en avance d’un enfant-illusion, l’enfant des rêves déçus, des échecs amers : manque d’argent du gendre, falot et soumis, Toudoux mal aimé, mal accepté, il est brusqué par madame, femme enfant qui joue les enfants gâtés et exige l’attention permanente de tous. On disait jadis, ne l’oublions pas « à la naissance, au mariage et à la mort, le diable n’est jamais loin ».
Dans Feu la mère de Madame, il est là aussi, messager fatal et cynique à l’air fourbe. Messager de la fausse nouvelle amère et révélatrice.
Devenu l’enfant monstrueux et pervers, adulé et possédé par sa mère, il est tout entier là dans la troisième pièce, On purge bébé : il fait éclater la famille entière par son refus «de prendre sa purgation » : petite cause ( ridicule) grands effets.

Personnages et acteurs
Dans les trois familles où se glisse avec aisance le diable, les personnages sont vigoureux et souvent décidés ; personnages alertes aux réparties vives, ils vont au but et s’expriment clair. Beaucoup de mouvements sur scène où le champ des déplacements impose une course folle parfois lassante au regard, à des acteurs à rôles multiples, sauf le diable, bien possédé par son personnage.
Ainsi Claudine Mollet, excellente madame Follavoine, si peu digne en vieux peignoir, bigoudis et bas roulottés sur les pieds, porte son seau de toilette partout sur la scène et avec le seau, son excès d’amour pour son fils et sa folie naissante ; ou Luc Tremblais en Toudoux, tour à tour pauvre mari rejeté, ou servante dévouée, en personnage brimé et sympathique, qui recueille les pots cassés. Car il y a aussi les pots de chambre, (fabriqués à la poterie du Château de Grignan) au fur et à mesure que Bastien Follavoine et ses illusions les envoyaient se fracasser contre les murs. Des pots de terre incassables… et pas loin, les pots de fer…Quant au décor, souvent difficile dans ce lieu de vent exposé à la pluie (mais pas en 2015), il se résume en un plateau surélevé tour à tour placard, lit , décor de vie, scène aussi, dont l’agencement et la mobilité ont rempli tous les rôles qui leur étaient confiés.

Un théâtre pas si mauvais que ça
Feydeau fait une véritable peinture sociale, peinture de mœurs et de travers, une acerbe critique de son temps et de l’ignorance qui semble être le fonds commun de la bourgeoisie. Le diable-sage-femme met ainsi en évidence l’ignorance de Toudoux : qu’est-ce qu’une primipare et une grossesse gémellaire ? On rit. Comprend-on mieux aujourd’hui, là tout autour de nous ? Quant aux îles ébrides ou zébrides et enfin Hébrides, elles ont posé bien des problèmes à Bastien Follavoine.

Mais le plus éblouissant chez Feydeau, ce sont ses dénouements, coups de théâtre et autres révélations. Il est toujours prêt à faire une farce, à livrer au public une joyeuse bulle, comme ce ventre illusoire de Léonie… Expression des rêves de madame et qui fait de Toudoux, père trop précoce, un autre coupable : celui qui n’est pas père… Esprits étroits et temps des mépris et de trop de rejets… qui fondaient les rapports sociaux

Pas si mauvais que ça en définitive ce théâtre, si daté et si niaisement embourgeoisé. Il se joue de son temps et de ses mœurs, il ironise et « sarcasmise » et à la façon du diable, grince de ses dents aiguës et de ses petites cornes malignes, s’accordant à trois niveaux de spectateurs : les enfantins, naïfs, prêts à rire de tout, pipi-caca et pots de chambres ; un second, qui vise la bêtise humaine et l’absence de culture et un troisième niveau, presque politique : ainsi ces domestiques mal traités dans leur sommeil, méprisés mais indispensables, infiniment corvéables, critique sociale de ce moment où la société d’avant-guerre prend son élan avant les grands désordres et les souffrances qui vont venir.
Jacqueline Aimar

La longue terrasse du château est aussi redoutée des acteurs que le mur d'Orange par les chanteurs lyriques © Pierre Aimar
La longue terrasse du château est aussi redoutée des acteurs que le mur d'Orange par les chanteurs lyriques © Pierre Aimar

Feydeau, cruellement vôtre. Par Pierre Aimar

Mettre en scène les pièces en un acte de Feydeau n’est pas une mince affaire. Elles ont été tant jouées depuis plus de 100 ans qu’il est difficile de passionner le public du XXIe siècle pour des textes et des contextes datés, dépassés, vieillis et quelque peu agaçants pour nos perceptions aiguisées à l’immédiateté.

Datés, dépassés, vieillis ?
La bêtise, la méchanceté, le mépris, l’arrivisme, auraient-ils disparu de la société actuelle ? Bien sûr que non. Donc le théâtre de Feydeau est d’actualité, bien de notre temps, avec un souffle de jeunesse insufflé par Didier Bezace sur cet immense plateau qu’est le perron du château de Grignan.

Un souffle de jeunesse avec ce diable d’homme de Philippe Bérodot qui personnifie malignement le malin qui sommeille en nous. Il est reproché, ici et là, à Bezace d’avoir introduit le personnage du diable dans chacune des pièces en un acte servies à Grignan. Et alors ? Est-il incongru de forcer le trait et de nous rappeler que l’enfer c’est les autres et que nous sommes l’enfer pour les autres.
Cela est dit par Feydeau sur le ton apparent de la comédie. Un Feydeau qui n’en pense pas moins, spectateur privilégié de la comédie humaine de son temps. Et le petit Georges sait de quoi il parle en matière de portes qui claquent et de coups de théâtre, dit vaudeville.
Il est haut comme trois pommes et déjà il baigne dans une ambiance familiale de haute volée.
Pensez, il est le fils présumé d’Ernest Feydeau et de Léocadie Boguslawa Zalewska. Un bon début qui se complique quand sa mère lui apprend qu’il est en fait le fils de … Napoléon III ! Pas moins. Mais, cela se complique, en fait, il serait le fils du duc de Morny, demi-frère de l’Empereur. Faites claquer les portes. Porte suivante ? Le duc de Morny était le fils naturel du comte de Flahaut. Porte suivante ? Flahaut était le fils illégitime de Talleyrand. Fermez le ban.

Quand vous démarrez dans la vie avec une telle carte de visite pouvez-vous raisonnablement faire autre chose qu’écrire La Dame de chez Maxim, La Puce à l’oreille, On purge bébé, Mais ne te promène donc pas toute nue, …
Le vaudeville était dans son berceau. Feydeau n’en sortira pas.

Osons dire que le Second Empire -et la Belle Epoque qui sert de trait d’union entre le passé et les temps modernes-, furent des époques brillantes pour les capitalistes, les grands bourgeois, et une calamité pour le peuple. Feydeau vilipende, - en riant ( ?)-, les vilénies et les bassesses d’une société pour laquelle une seule chose compte : l’argent. Cette époque produit beaucoup de richesses, de fortunes et … de rentiers. Mais la classe moyenne n’existe pas encore et le petit peuple en mauvaise galoche peut seulement espérer servir dans la haute société. Les nantis de ces périodes ne voient que Bécassine dans le petit personnel, sûrement pas des humains doués d’intelligence et de sentiments. Belle époque dans laquelle le vaudeville trouve une source inépuisable de bêtise et de superficialité.

Bravo donc à Didier Bezace pour avoir forcé le trait et remis cette époque à sa vraie place.
Pierre Aimar

Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 24 Août 2015 à 11:20 | Lu 300 fois

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