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Marseille, Théâtre Toursky : Les Trois sœurs, La Cerisaie de Tchekhov

En tournée en France,produit par Vladimir Dachevski et Rosbank,le théâtre Sovremennik de Moscou,héritier du Théâtre d'Art de Stanislavsky,actuellement dirigé par Galina Voltchek,a fait escale au théâtre Toursky avec deux pièces de Tchekhov:Les Trois Soeurs et La Cerisaie,interprétées avec virtuosité dans la grande tradition du théâtre psychologique russe.


Un retour aux sources en quelque sorte qui n'a rien à voir,c'est le moins qu'on puisse dire,avec les étonnantes créations théâtrales de ces deux pièces par Krejca,Brook,Strehler,Efros,Stein ou Langhoff à la fin du XXème siècle.
           Les Trois Soeurs qui évoque la vie végétative,dans une bourgade provinciale de trois orphelines,filles de général,rêvant de retourner à Moscou,passe pour être la plus tchekhovienne des pièces de Tchekhov,battant des records d'inaction,de mélancolie,et s'achevant sur un constat d'impuissance à élucider le sens même  de la vie.Chaque caractère fonctionne ici comme une entité autonome,comme un automate à discours et comportements qui se remonte périodiquement sans qu'il soit possible de l'impliquer dans une intrigue dynamique.C'est ce que traduit symboliquement  la scénographie de Viatcheslav Zaïtsev et Piotr Kirilov avec un plateau tournant qui entraîne à vive allure,au cours de chaque acte,les personnages dans son manège sous un pont  japonais participant à la fois du mouvement et de l'immobilité.Et bien que l'ameublement,les costumes,nous plongent dans  l'univers aristocratique de Tolstoï et la nostalgie d'une époque révolue,avec des déplacements élégamment chorégraphiés dans  les tournoiements des capes et des manteaux,c'est la dégradation physique et morale de ces naufragés de la vie qui permet de ressentir de la compassion  pour leurs malheurs,pendant les deux derniers actes de la pièce.
            Galina Voltchek a réalisé trois mises en scène des Trois Soeurs.Celle-ci,la dernière,jouée par de jeunes comédiens déjà très connus en Russie,met l'accent sur la cécité ou la surdité des personnages envers leurs proches,un défaut dans lequel chacun se complait jusqu'à l'autodestruction.Devenus presque étrangers  les uns aux autres parce que lâchés dans un espace sans repères,s'observant mais ne s'entendant pas,ces personnages tournent en rond dans leurs rêves qui se rétrécit de plus en plus,et construisent l'essentiel de leur jeu autour des tensions qui naissent d'une incapacité à se laisser aller à l'amour.
             Au quatrième acte,la rupture avec l'univers vivant est totale:les trois soeurs, sur le pont,ressemblent aux fileuses du destin,aux sorcières de Macbeth,elles appartiennent au domaine de la nuit,de la mort,elles posent pour l'éternité.
              Tous les acteurs de ce spectacle poignant se sont fixés à un tel point sur les motivations profondes de leur jeu qu'ils s'identifient totalement à leur personnage: Olga(Olga Drozdova) en soeur aînée raisonnable et sérieuse,Macha(Chulpan Khamatova) en amoureuse maniaco-dépressive,Irina(Viktoria Romanenko) en femme-enfant enthousiaste,Andreï(Ilya Drevnov) en musicien romantique brisé par la vie,Tcheboutykine(Igor Kvasha)en épave alcoolique,Touzenbach(Ivan Stebunov) en aristocrate mal à l'aise dans son uniforme,et surtout Soliony(Artur Smolyaninov) en pervers monstrueux fascinant,réalisent la performance scénique inouïe de continuer à vivre d'une vie intense,à nous éblouir même lorsqu'ils se taisent.
              Du très grand art  qui se trouve confirmé avec La Cerisaie interprétée,depuis 1997,par les doyens de la compagnie,dans un décor de Pavel Kaplevicth qui mêle judicieusement,sur une scène fantasmatique,univers intérieur(la chambre des enfants) et extérieur(des arbres en forme de nuages blancs et roses tourbillonnants).Galina Voltchek considère ce chant du cygne de Tchekhov comme "un drame  de gens qui n'ont pas la force de s'opposer aux temps nouveaux et qui préfèrent sombrer plutôt que de vendre leur vieille propriété familiale pour qu'on y construise des datchas",un drame du temps impitoyable où le processus économique contemporain ne peut s'accomoder de la nostalgie du passé.Sa mise en scène refuse cependant de distinguer des bourreaux et des victimes.A chacun sa vérité,son point de vue.
             Comme son frère Gaev(Igor Kvasha),chiffe molle maternée et grondée par son très vieux valet Firs(Valentin Gaft),Liouba(Marina Neelova) incarne une aristocrate infantile qui se ment constamment à elle-même,qui attribue son malheur aux pêchés commis,qui fait le compte des châtiments subis,et qui ricane nerveusement lorsque  Lopakine( Sergey Garmash) ce marchand,ce fils d'un ancien serf du domaine,lui apprend qu'il a acheté La Cerisaie aux enchères.Ania(Maria Anikanova),la fille de Liouba,et Trofimov,l'éternel étudiant(Alexander Khovansky)  font figure de héros positifs qui regardent l'avenir sans angoisse et ne souffrent pas de voir disparaître La Cerisaie.Charlotta Ivanovna(Olga Drozdova),la gouvernante illusionniste,est un pince-sans-rire omniprésent qui tourne en dérision toutes les situations.Quand le rideau tombe,à la lueur de faibles bougies,on a l'impression que tous les acteurs du drame se figent avec Firs dans le royaume des ombres.Moment émouvant ovationné par le public russe de Marseille qui a chargé de fleurs les bras des comédiens pour leur dire combien il était séduit.
Philippe Oualid

LES TROIS SOEURS,LA CERISAIE de Tchekhov
par le théâtre Sovremennik de Moscou
Théâtre Toursky,du 12 au 16 Septembre 2008.

pierre aimar
Mis en ligne le Jeudi 18 Septembre 2008 à 14:14 | Lu 617 fois

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