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Britannicus, de Racine, mise en scène Laurent Domingos, théâtre desCorps Saints, Avignon Off 2017

La mise en scène atemporelle, accompagnant ici l’une des plus puissantes tragédies de Jean Racine fait ressortir les teintes symboliques de cette œuvre et le caractère universel de son propos


Agrippine attend, seule, que Néron, son fils, daigne enfin lui accorder un entretien, et lui expliquer pourquoi il a fait enlever Junie.
Comment Agrippine a-t-elle pu ainsi être mise de côté ? Elle, le fauve, qui n’a reculé devant aucun obstacle pour accéder à Rome. Elle, qui a épousé l’empereur Claude, avant de l’assassiner, et écarter de la Cour le fils de ce dernier, Britannicus. Elle, qui a réussi à placer sa progéniture, sur le trône, sous son contrôle et celui de Burrhus, son gouverneur.
Est-ce parce qu’elle a promis à Britannicus, pour calmer sa rancoeur, de lui permettre d’épouser celle qu’il aime, Junie, pourtant de sang impérial et donc potentielle source de rébellion ?
Est-ce l’influence néfaste de Narcisse, ancien conseiller de Claude, confident de Britannicus, mais surtout traître assoiffé de revanche et ange noir de Néron ?
Agrippine pourra-t-elle empêcher Néron de lui échapper ?
Britannicus est en effet le récit d’un accouchement, celui d’un « monstre naissant », tiraillé entre le venin de Narcisse, les conseils de Burrhus, l’emprise puissante de sa mère et ses propres désirs pervers.
Dès lors, l’amour entre Junie et Britannicus va devenir le prétexte à une lutte sauvage pour le pouvoir où vice, trahison, manipulation et crime vont actionner les rouages d’une des plus puissantes tragédies de Jean Racine.

Symbolique autour de l’accouchement d’un monstre

La mise en scène met tout d’abord en évidence le fait que Burrhus et Narcisse tiennent une place clef et tout à fait symbolique dans le propos de la tragédie. Ils sont respectivement l’ange blanc et l’ange noir de Néron et personnifient le combat intérieur que livre l’empereur, entre la conscience de son devoir et sa perversion, aboutissant à l’avènement de ce monstre célèbre, ici tout juste naissant. Britannicus décrit en effet en premier lieu le processus de cet accouchement.
Nous formalisons cette idée en faisant interpréter ces personnages par le même comédien, avec un changement de corps et de jeu, ainsi qu’une légère modification de costume, pour associer symbolisme et clarté à notre mise en scène.
Il est à noter qu’historiquement Narcisse n’est pas seulement un traître machiavélique, mais aussi un réel pervers, comme l’évoque Racine lui- même dans sa préface en citant Tacite : «[Narcisse] avait une conformité merveilleuse avec les vices du Prince encore cachés». Burrhus, quant à lui, s’est avéré être un modèle de loyauté et de courage politique dans l’Histoire romaine.
L’Histoire et le choix de Racine sont ainsi cohérents avec cette symbolique.

Une sauvagerie et une perversion fidèle à l’Histoire

Racine a choisi une période de l’histoire romaine où la perversité et le crime étaient à leur apogée. Lorsqu’on lit les historiens de cette époque (Tacite, Suétone, Don Cassius), on s’aperçoit très vite de l’extrême perversion et de l’extraordinaire sauvagerie des personnages. Narcisse était complice des orgies et des viols organisés par la première femme de Claude, Messaline. Il manipulait l’empereur et détournait les deniers de l’Etat. Agrippine, forte de son charme voluptueux, n’hésitait pas à contrôler les hommes de pouvoir et les assassiner pour arriver à ses fins.
Enfin, on ne pourrait lister ici la totalité des actes lubriques et cruels perpétrés par Néron en quatorze années de règne seulement. Ajoutons également que Narcisse et Agrippine sont ennemis de longue date au début de l’action de Britannicus.
Or, si ces personnages sont probablement connus des spectateurs au XVIIème siècle, ce qui expliquerait que Racine les introduit peu, il nous paraît indispensable aujourd’hui d’en expliciter la nature et les liens, afin d’exploiter la richesse du choix de ces personnages par l’auteur. Une écoute attentive du texte permet de saisir la nature de ces protagonistes et leurs relations, mais nous avons pris le parti de rendre ces informations accessibles au-delà des vers raciniens.
Outre une scénographie évocatrice que nous détaillons plus bas, nous avons particulièrement travaillé avec notre chorégraphe sur le corps des personnages ainsi que sur leurs costumes pour rendre compte de ce point. Certaines parties sont également chorégraphiées pour matérialiser l’affrontement entre les personnages et la mise en espace de leurs fantasmes.

Créer un huis-clos, symboliser l’emprise de la mère sur un pouvoir phallique

Notre scénographie consiste en un seul décor ayant une portée symbolique forte : une araignée en métal industriel, forgée sur mesure pour la pièce. Sa taille permet de recouvrir une grande partie de la scène, elle permet au jeu de s’effectuer à l’intérieur tout en laissant de la place à l’extérieur. Le corps de l’araignée, vertical, de forme oblongue, représente le trône. Néron peut y siéger, et disparaître par simple rotation, sa présence étant alors toujours évoquée par ce corps au symbole phallique évident. L’araignée est aussi la représentation de la mère et de son emprise sur l’Empire et sur son fils. Trois pattes de l’araignée sont en contact permanent avec le sol. Les cinq autres sont mobiles et déformables. Ainsi on peut changer rapidement la nature des lieux et les ambiances : on peut figurer un enfermement, une arène, créer plusieurs espaces distincts en même temps et représenter le huis-clos étouffant si caractéristique de la description de la Cour de Néron. Cette araignée évoque à la fois l’aspect puissant et monstrueux de la Cour et d’Agrippine, mais crée aussi par ses pattes fines et mobiles, une véritable dynamique dans l’enchaînement de l’action. La symbolique induite chez le spectateur permet de saisir ces nuances complémentaires au jeu et au texte.
Forts de cette structure, il nous paraissait alors naturel que les comédiens soient en permanence présents sur le plateau. Des codes simples permettront au spectateur de savoir si la présence des personnages est réelle ou seulement évoquée. La symbolique créée à la fois par cette araignée en fer industriel imposante et par la pression de tous les personnages décuple la puissance du parti pris de notre mise en scène.

Pratique

Théâtre des Corps Saints
76 place des Corps Saints
84000 Avignon
Réservations: 04 90 16 07 50


Pierre Aimar
Mis en ligne le Lundi 10 Juillet 2017 à 06:21 | Lu 566 fois

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